John Iliffe, professeur d’histoire africaine à l’université de Cambridge, montre une empathie certaines pour ces Africains qui “ont colonisé la terre”.
Il se propose d’écrire une histoire des Africains en 13 chapitres de la préhistoire à 2006, l’Afrique au temps du Sida. Parcourir ce vaste continent dont l’auteur reconnaît la diversité et sur un temps si long en 625 pages de texte et 70 pages de notes et références bibliographiques est un pari ambitieux.
Le choix de retenir comme fil conducteur, face au défi de la diversité africaine, l’évolution démographique, la production alimentaire, la construction des élites politiques, les ancrages culturels et religieux propres à chaque période ne permet pas de restituer un récit événementiel et conduit présenter une multitude d’exemples dans le temps et dans l’espace.
Ce livre est l’occasion de découvrir l’historiographie anglo-saxonne sur ce continent, la très grande majorité des références sont en effet en langue anglaise.

Voilà la seconde édition revue et corrigée de cette histoire du continent africain dont la première version fut publiée au Royaume uni en 1995, traduite en français dès 1997, soit une dizaine d’années après a publication par l’UNESCO de son Histoire générale de l’Afrique.

S’appuyant sur les découvertes récentes de la paléontologie, l’auteur montre comment les groupes humains sont apparus dans la vallée de l’Awash et comment ils ont résisté à la désertification de vastes espaces en s’adaptant de 30 000 à 7 500 ans av. J.C. à des environnements variés, donnant naissance à des groupes humains différenciés vivant de pastoralisme.

La maîtrise progressive des métaux est abordée dans le second chapitre consacré à l’Egypte. L’histoire pharaonique n’est évoquée qu’à l’occasion de la description du système d’exploitation agricole qui permet d’entretenir une classe dirigeante, elle-même capable de transporter, stocker et gérer les surplus, instituant un système centralisé qui repose sur l’écriture et la religion et ce jusqu’à l’époque hellénistique. Un détour par la haute vallée du Nil, la civilisation de Méroë mais aussi les rivages carthaginois complète la période antique. L’auteur pose la question de l’origine externe ou interne de la métallurgie sub-saharienne à la lumière des découvertes récentes dans la vallée du Niger et sur les rives des grands lacs de l’Afrique orientale; il la met en relation avec l’expansion des peuples bantous vers l’Afrique australe.

Les Africains sont ensuite confrontés aux deux grandes religions monothéistes depuis les rives de la Méditerranée. Outre le rôle de l’évêque d’Hippone, l’auteur évoque l’Église copte et son expansion en Éthiopie. Dès le VIIème siècle l’Islam se développe à partir de l’Égypte et du Maghreb sous la dynastie Fatimide, Il se diffuse à travers le Sahara par les routes commerciales vers Djenné ou Tombouctou, mais aussi dans la zone orientale: Soudan, Zambèze, associé à la vente d’esclaves vers le Proche Orient. On retiendra un paragraphe consacré à l’épopée de Sundiata Keita et aux récits d’Inb Battuta.

La formation des États

Les chapitres 5 et 6 proposent un tableau de l’Afrique occidentale puis orientale avant le contact avec les Européens. Si on a peu de données fiables pour évaluer les densités de population et la démographie de ces populations soumises périodiquement à des famines ou à des maladies endémiques, il semble que ces groupes humains “clairsemés” aient été un obstacle à la formation d’états sauf peut-être dans la boucle du Niger (évocation des empires Mali, Songhaï et le royaume du Kongo) et que le modèle dominant ait été celui de petits groupes soumis à un chef rituel comme chez les Yoruba. Une vision foisonnante mais forcément superficielle et qui date de la première édition anglaise de 1995 d’après les notes bibliographiques. Aborder les éléments culturels ou religieux est, pour l’auteur, plus délicat en l’absence de sources écrites au risque, en s’appuyant trop sur l’anthropologie, de faire preuve d’anachronisme. Pour l’étude de la zone australe, il part des poteries des peuples du lac Nyasa avant de consacrer un paragraphe aux royaumes des grands lacs: Buganda, Rwanda et Burundi dont les systèmes agricoles reposent sur le yam et le sorgho, montrant l’importance à la fois du pastoralisme et de la bananeraie.

La chapitre suivant, consacré à la traite négrière ne cherche pas en faire une étude détaillée, même s’il décrit le parcours de la capture jusqu’à l’embarquement mais plutôt à en évaluer les conséquences humaines, économiques et politiques: une ponction démographique sans doute considérable qui semble difficile à chiffrer, l’introduction de nouvelles denrées comme le maïs et le manioc et l’apparition de micro-états armés par le commerce triangulaire comme en Sénégambie.

Dans le chapitre 8 sur la diversité régionale, l’auteur tente de dresser un tableau des diverses régions avant la conquête coloniale. De l’Afrique du Nord ottomane de Moulay Ismail à Méhémet Ali à l’Islam conquérant du califat de Sokoto, l’accent est mis sur l’organisation économique et les facteurs d’unité politique. La même étude est conduite à propos du royaume Swazi face aux Afrikaners du Cap, on observe également le développement des axes de commerce à partir de Zanzibar.

Conséquences de la conquête coloniale

La conquête coloniale de la seconde moitié du XIX ème siècle n’est pas présenté pour elle-même mais comme élément d’évolution des systèmes économiques et politiques d’où l’importance accordée à la conférence de Berlin de 1885. L’auteur analyse les facteurs de résistance ou d’acceptation de la domination coloniale en montrant que c’est la situation régionale, relation avec leurs voisins qui dicte l’attitude des peuples africains. Dans un second temps il montre le rôle de la collecte de l’impôt et la mise en place d’un système judiciaire. On est un peu surpris de ne pas retrouver l’opposition, décrite dans l’historiographie française, entre administration directe et indirecte, française et anglaise. L’auteur insiste sur les initiatives privées dans le développement des cultures de rente ou l’exploitation minière. Les aspects démographiques sont centrés sur les effets de la violence, la famine ou déplacements de population mais aussi la diffusion de maladies comme la maladie du sommeil qui aurait véritablement explosé entre 1895 et 1920.

Si les historiens ont des analyses divergentes sur la colonisation entre 1819 et 1951 c’est, selon John Iliffe, à cause des situations très diverses des régions. Ces deux chapitres paraissent les plus «datés», l’auteur cherche une expression la plus neutre possible, on est ici loin à la fois «des aspects positifs de la colonisation» que de la condamnation catégorique, ces débats ne sont même pas évoqués. Le premier XXème siècle est caractérisé comme celui de l’ouverture: moyens de transport motorisés et sont corollaire urbanisation, développement des cultures de rente: arachide, cacao, développement de cultures vivrières en remplacement du sorgho: manioc ou pomme de terre avec réduction des jachères et mise en culture des marges (trois exemples sont développés: Algérie, Kenya et Rhodésie) et migrations de travail. Le développement du secteur minier entraîne quant à lui les débuts du syndicalisme.

Élites et indépendances

Cette période est aussi celle de la naissance d’une nouvelle élite africaine éduquée pour fournir les cadres intermédiaires et souvent sensible au mouvement missionnaire en plein essor. Sur le plan politique l’expression d’un nationalisme voit le jour en Egypte. Les puissances coloniales figent voire créent des identités tribales comme les Igbo, c’est dans ce contexte que se construisent des revendications d’émanation qui pour l’auteur sont loin de la réalité africaine où chacun a des identités multiples, appartenance à une chefferie, un lignage, une classe d’age…

Avec le chapitre 11 s’ouvre le temps des indépendances, abordées de façon à la fois globale et chronologique: de la Libye en 1951 à l’Afrique occidentale, Ghana puis colonies françaises et belges et se clôt avec la fin de l’empire portugais, mais il ne faut pas chercher ici une histoire de la décolonisation. L’auteur privilégie l’approche démographique: le temps de l’essor, les grandes phases économiques: boum des trente glorieuses et crise des années 70 à travers l’exemple du Nigéria, pour ensuite consacrer un long paragraphe aux structures politiques: des états confrontés à des intérêts locaux parfois divergents, faiblesse des communications et alphabétisation limitée, frontières artificielles, développement du clientélisme autour des chefs politiques, régime du parti unique, rôle de l’armée mais aussi des grandes puissances. Un ensemble de réalités déclinées dans divers exemples (Congo, Mozambique ou Tchad) et aggravées par la crise économique et, le désengagement des états en matière de services publics (école et santé) qui expliquent les situations de guerre civile, mais aussi le renforcement des solidarités familiales et religieuses.

L’auteur a ensuite choisit de consacrer tout un chapitre à l’Afrique du Sud jusqu’à la victoire de Mandela: les débuts de la mise en valeur, les mines, la mise en place du régime d’Apartheid et son démantèlement sous la pression démographique, l’action de l’ANC, la crise pétrolière et les sanctions internationales.

Le dernier chapitre: l’Afrique au temps du SIDA est l’occasion de traiter de cette catastrophe démographique et humaine mais aussi l’analyser les effets de la politique d’ajustement structurel imposée par le FMI: chômage et développement de l’économie informelle, rôle croissant des femmes et renforcement des solidarités religieuses, une déstabilisation politique généralisée qui entraîne des tensions régionales ou ethniques (Somalie, Rwanda, RDC) et favorise la montée des intégrismes (Egypte, Maghreb).

Une absence de conclusion comme un goût d’inachevé pour l’histoire d’un continent en devenir.

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