Les auteurs rappellent la définition de Fille du Roy : « Parmi les femmes venues de France au Canada sous le Régime français, est qualifiée de Fille du Roy « toute immigrante, célibataire ou veuve, venue au Canada entre 1663 et 1673 et ayant vraisemblablement bénéficié de l’aide royale dans son transport ou son établissement » (p. 14). Voici l’histoire de l’installation de ces femmes après 1672 et la création sur la rive sud du Saint-Laurent de deux seigneuries fraîchement créées pour deux officiers du régiment de Carignan-Salière : René Gaultier de Varennes, lieutenant de la compagnie Laubia qui donne son nom à la seigneurie de Varennes et François Jarret de Verchères, enseigne de la compagnie Contrecœur.

Cet épisode de l’histoire de la Nouvelle-France reste très présent dans la mémoire québécoiseExemple d’utilisation scolaire, dossier documentaire et exercices dans le second cycle des écoles québécoise : Qui sont les Filles du Roy? Pourquoi et comment sont-elles venues en Nouvelle-France?. une importante commémoration a lieu en 2013 pour le 350e anniversaire de l’arrivée du premier bateau de filles du roi.

Comme pour les précédentes études de la Société d’histoire des Filles du Roy : Les Filles du Roy pionnières de Montréal ( 2017), Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de La Prairie (2019) et Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de Repentigny (2021), les auteurs détaillent le contexte local avant les biographies de chacun des filles du roi.

Les filles à marier débarquent en Nouvelle-France !

Cela fait maintenant 10 ans que pour peupler la colonie le roi envoie depuis la France des filles et des femmes à marier. Les auteurs rappellent combien était difficile la traversée qui les amenait dans un monde presque inconnu. D’abord prises en charge à Québec par les Ursulines ou les Augustines, les sœurs soignantes de l’Hôtel-Dieu, elles poursuivent leur route vers les nouvelles seigneuries où elles sont attendues, cinq ou six jours pour remonter le fleuve, longtemps à la merci des attaques iroquoises.

Vivre sur une terre entre fleuve et rivières

Pour la plupart c’est un mode de vie nouveau puisqu’elles arrivent majoritairement de la région parisienne. Elles sont souvent analphabètes d’après leur acte de mariage, le plus souvent peu de temps après leur arrivée. Pour cette première partie les auteurs s’appuient largement sur l’étude qu’Yves Landry a consacré à l’ensemble des filles du roi pour sa thèseThèse de doctorat d’Yves Landry publiée en 1992 dans Les Filles du roi au XVIIe siècle : orphelines en France, pionnières au Canada, Montréal, Leméac, 1992..

Pour celles qui s’installent sur cette rive sud du fleuve, on dénombre trente-six unionsCertaines furent veuves et se sont remariées célébrées à l’église ou devant un notaire, naissent cent soixante et onze enfants, auxquels il faut en ajouter deux, nés hors mariage. Les auteurs proposent un décompte précis de la descendance, au gré des difficultés du quotidien, des épidémies (typhus en 1687). Ils constatent leur fécondité et leur longévité plus grandes que pour les Françaises à la même époque. Mais la vie dans ces seigneuries peut être dangereuse comme le montre les noyades dans le fleuve, principal axe de communication.

Cadre de cette vie rude sur les bords du Saint-Laurent

Occupation du territoire et régime seigneurial

Un rappel des conditions de l’arrivée et de l’installation des premiers colons remet en lumière le choc à la fois culturel et microbien des premiers contacts avec les Amérindiens, les alliances pour la traite des fourrures depuis le Traité de Tadoussac (1603).

Pour occuper ce territoire, la France met, progressivement, en place un système de seigneurie, sur le modèle français dont le but est l’exploitation des ressources et approvisionnement agricole de la colonie. Après le système de la concession à la Compagnie des Cent-Associés, Louis XIV décide d’administrer directement la colonie en 1663. C’est dans ce contexte que la question du peuplement et du manque d’épouses non amérindiennes que se met en place la politique des filles du roi.

Les seigneuries peuvent être attribuées à des communautés religieuses d’hommes ou de femmes, des laïcs, nobles ou roturiers. A la demande des jésuites qui en assurent le contrôle, en mars 1651, la seigneurie de Sillery, près de Québec, est attribuée à des « néophytes sauvages chrétiens ».

Varennes et Verchères

Pour retenir les officiers et les soldats du régiment de Carignan-Salière qui viennent de pacifier la région, l’intendant Jean Talon leur attribue des terres à défricher sur la rive sud du fleuve et sur le bord de la rivière Richelieu.

Treize Filles du Roy se sont établies dans les seigneuries de Varennes sur des bandes de forêts, des concessions perpendiculaires à la rive et décrites avec précision. On y voit se mettre en place un système de seigneur et de concessionnaires et de métairies. Les contrats de mariage, les recensements et les actes de ventes sont assez précis pour permettre une représentation de l’organisation de la mise en valeur : « Le recensement indique que tous les censitaires possèdent au moins un fusil dont ils ont besoin pour chasser et pour se défendre. » (p. 64). Comme en Île-de-France (la Coutume de Paris applicable à tout le Canada à partir de 1664) le seigneur doit faire construire et entretenir un moulin banal. Très important quand le pain représente 60 % et 85 % du total de l’alimentation.

Le quotidien des anciens Canadiens baigne dans un climat religieux même si l’absence d’église peut affecter leur vie. Les missions créées par Mgr de Laval, le premier évêque de Québec sont confiées, pour la rive Sud aux prêtres missionnaires de Boucherville et de la Pointe-aux-Trembles. La première église fut construite à Cap-Varennes en 1692. La vie est marquée par la proximité des cours d’eau. On faisait paître le bétail dans les îles.

L’acte de concession d’une première seigneurie à François Jarret date de 1672. François Jarret, natif du DauphinéAyant séjourné au hameau Verchères à Saint-Savin en Isère, près de Lyon, le nom de Verchères accolé à celui de Jarret fut utilisé pour désigner sa seigneurie québécoise, est arrivé en Nouvelle-France, en 1665, comme « enseigne de la compagnie de Contrecœur au régiment de Carignan-Salières. Un premier fort rudimentaire permet la défense des habitants même si la menace iroquoise est, en principe, un fait passé. Une autre menace, celle des crues du Saint-Laurent a marqué l’histoire de Verchères (1798). La première seigneurie occupait un rectangle d’une demi-lieue de la rive sur une lieue en profondeur, à l’embouchure de la rivière Jarret qui constituait un abri pour les embarcations navigant sur le Saint-Laurent et une voie de pénétration de la forêt. Un bourg s’est développé proche du fort et du four banal au début du XVIIIe siècle. Le recensement de 1681, indique onze Filles du Roy installées à Verchères.

Le développement de cette seigneurie connaît deux temps forts : 1730-1735 et 1745-1758. Le recensement de 1665 indique que plus de 22 000 arpents de terre sont en culture. La vie de village est animée, les principales activités, d’après les professions relevées dans les recensements, concernent l’agriculture, le commerce et la construction. L’article de Martin Massicotte, urbaniste à la Municipalité de Verchères évoque l’évolution du village jusqu’à 1960.

Un chapitre est consacré au moulin banal de Verchères. Il fut construit entre 1733 et 1737.

Un autre chapitre présente des éléments concernant Varennes et Verchères dans les « Extraits de La Nouvelle-France au fil des édits »Chronologie reconstituée d’après les principaux édits, ordonnances, arrêts, lois et règlements émis sous le Régime français, par Philippe Fournier, Québec, Septentrion, 2011, 610 p..

Un rapide rappel de l’organisation administrative de la Nouvelle-France après 1663, le rôle du Conseil souverain en matière de justice civile et criminelle; l’auteur détaille quelques mesures : défenses d’empêcher les filles venues de France de se marier, obligation pour les concessionnaires de mettre deux arpents en culture chaque année, arrêt encourageant les mariages des garçons et filles du Canada, incitation au mariage des célibataires, défense aux habitants de quitter leurs demeures pour courir les bois et faire la traite, consultation royale sur le commerce de l’eau-de-vie avec les Sauvages, ordonnance au sujet de la construction des forts pour se défendre contre les Iroquois…

On voit à quel point la question démographique, les bonnes mœurs et la sécurité de la colonie sont importantes pour l’intendant Jean Talon.

Biographies des Filles du Roy

Varennes

On découvre d’abord les paroisses d’origine des Filles du Roy installées à Varennes.

Ce sont treize portraits précis, pour chacune on apprend ses origines, le mariage, l’établissement à Repentigny, vie de famille et histoire de la descendance, la vie sociale et économique. Au fil des pages le lecteur entre dans la vie de Louise André, Jeanne Braconnier, Marie Madeleine Canard qui se noie un an après son arrivée et son mariage, Catherine Clérice, Marguerite Collet, Catherine Fourrier, Françoise Guillin, Catherine Isambert, Anne Julien, Charlotte Lamarche, Nicole Philippeau, Marguerite Provost et Jeanne Quentin qui rentra en France dès 1678 avec deux jeunes enfants.

Au fil de ces histoires de familles on voit le refus des protestants qui doivent abjurer à leur arrivéeComme Crespin Thuillier, soldat du régiment de Carignan-Salière dans la compagnie Laubia et époux de Jeanne Braconnier, les descendances nombreusesA propos du couple Jacques Bissonnet – Marguerite Collet« Au recensement de 1681 en Nouvelle-France, Jacques a 36 ans et Marguerite 28 ans. Six enfants, entre deux et neuf ans » p. 161 ; ils auront 16 enfants., les hommes absents pour la traite Comme, sans doute, Jean-Baptiste Bousquet, le mari de Catherine Fourrier, l’appartenance à une confrérie pour se placer sous sa protection.

Épouser un soldat du régiment de Carignan-Salière est une bonne solution pour les Filles du Roy puisque, pour les inciter à s’établir dans la colonie, ils ont reçu cent francs, ou cinquante francs avec les vivres d’une année pour les soldats, cent cinquante francs ou cent francs et les vivres d’une année pour les sergents alors que les officiers ont reçu une terre et des privilèges de chasse et de pêche. Pourtant, dans les documents de vente, les locations attestent d’une certaine instabilité dans l’exploitation du sol par certains (couple Nicolas Choquet – Anne Julien).

Un encart propose le portrait de Marie-Marguerite d’Youville, Marie Marguerite Dufrost de Lajemmerais née à Varennes en 1701 dans une famille de l’élite de la colonieElle est la petite fille de Pierre Boucher de Boucherville, gouverneur de Trois-Rivières. Jeune veuve, elle fut à l’origine de de la congrégation des Sœurs de la Charité ou Sœurs Grises chargées de l’Hôpital général de Montréal.

Verchères

Le tableau est assez semblable à celui des filles du Varennes : origines puis biographie de chacune des onze jeunes femmes arrivées de France et installées à Verchères (Jeanne Amiot la Bourguignonne dont on connaît le mince bagage, Michelle Charlier qui est veuve à 40 ans avec cinq enfants et se remarie six mois plus tard, la Parisienne Marguerite Charpentier, l’une des plus âgées, 57 ans à son arrivée). On retrouve également Madeleine Chrétien, une femme d’affaires avertie qui signent de nombreux contrats, Anne Foubert, Marie Madeleine Guillebœuf, arrivée a seulement 13 ans, Marie Anne Leroy, Jeanne Mansion, une fille de Lorraine, Charlotte Pecquet dont on sait peu de chose sinon que veuve et ayant un enfant illégitime avec un valet de cuisine du gouverneur à Québec, Françoise Pilois, marié à André Barsa, ancien soldat et tonnelier à Verchères et Marie Priault.

Une remarque s’impose sur le destin croisé de toutes ces femmes. Elles sont présentes sur certains actes et contrats, souvent marraine des enfants des autres. Les liens, parfois nés durant la traversée, demeurent solides une fois débarquée dans ce pays nouveau, d’autant que les époux, aussi peuvent se connaître, comme anciens soldats du régiment de Carignan-Salière. Au recensement de 1681, on dénombre dans la seigneurie onze femmes dont huit sont des Filles du Roy arrivées en 1668, 1669 et 1670. Dans la descendance de ces hommes et de ces femmes on retrouve les mêmes noms, des cousinages se sont créés.

Pour compléter le tableau des familles installées à Verchères, un encart présente Madeleine de Verchères et son exploit de 1692, connu par plusieurs récits. Elle avait alors 14 ans et fait face à une attaque iroquoise comme sa mère deux ans plus tôt.

L’ouvrage est complété par une ligne du temps de la Nouvelle-France au XVIIe siècle ; la liste des gouverneurs de 1663 à 1747 (Date du décès en 1747 de la dernière Fille du Roy) agrémentée des principaux événements du temps ; la présentation des auteurs des différents chapitres et d’une bibliographie.