Les auteurs se veulent porteurs d’espoir à la lumière de quelques expériences encourageantes.
La sécurité alimentaire et le développement durable à la croisée des chemins.
L’introduction situe le cadre du colloque. Des débats nombreux et récents ont mis en accusations nos modèles de développement face à l’équilibre fragile des écosystèmes et dans un contexte d’insécurité alimentaire. La question de la faim dans le monde est aujourd’hui analysée à l’aide d’un grand nombre de variables: coût, qualité, accessibilité, impact de la mondialisation, effets des changements d’habitudes alimentaires, effets sur la biodiversité… d’autant que le changement climatique viendra modifier les bases de la production agricole, imposant donc des adaptations. La production alimentaire est aussi sur certaines terres mise en concurrence avec la production d’agro- carburants destinés à pallier la prochaine, annoncée par les experts, du pétrole, situation d’autant plus inquiétante que leurs conditions de production sont souvent polluantes et pénalisantes pour l’environnement.
Toutefois la question cruciale pour la sécurité alimentaire est certes la disponibilité mais surtout la capacité des populations à l’acquérir, les auteurs appellent à un nouveau contrat social.
Agriculture durable, développement rural et sécurité alimentaire: un nouveau regard conceptuel
Trois chapitres pour une étude à caractère agronomique, trois argumentaires pour convaincre.
Quels sont les enjeux et les défis quand il faut concilier agroécologie et sécurité alimentaire? L’aggravation de l’insécurité alimentaire demande des mesures radicales, les difficultés d’accès à la ressource, l’insuffisance chronique des revenus, la volatilité de l’offre et de la demande et surmonter les catastrophes naturelles ou non empêchent la satisfaction du droit fondamental à se nourrir. Mais le développement de l’agriculture doit se faire dans le respect du développement durable et l’agroécologie semble être le seul moyen à moyen et long terme. Les transferts de technologie de pointe apportent, en effet, plus de problème que de solutions par inadaptation au contexte économique, social, culturel des pays du Sud. L’appropriation par les paysanneries des principes de l’agroécologie et une protection de leurs productions face aux importations subventionnées des pays du Nord sont au cœur des débats publics dans plusieurs pays. L’accès à l’eau est également un facteur déterminant dans les régions arides et semi-arides et impose une gestion rigoureuse. La sécurité alimentaire est une problématique transversale à prendre en compte dans sa complexité par les politiques publiques. Il serait souhaitable que les valeurs sociales et les droits humains soient mieux pris en compte dans les négociations de l’OMC.
Des pistes d’actions sont proposées: relance de l’agriculture, transfert sociaux en situation d’urgence, lutte contre la malnutrition par un accès à des aliments de qualité, développement d’une information de qualité pour des décisions politiques adaptées.
Un contrat social pour une agriculture durable dans l’espace local?
Aucun projet de développement ne peut faire l’économie d’une étude approfondie de l’organisation sociale du travail et des échanges, des relations entre communautés locales et l’environnement régional, national… L’approche par le terroir est un des fondements de la construction d’un développement participatif.
L’auteur articule sa contribution autour de deux questions, appliquées à deux pays: L’Algérie et la France: En quoi l’agriculture est-elle une pratique durable? La lutte d’urgence contre la faim et la pauvreté implique-t-elle le développement d’une agriculture intensive?
Quand l’intégration agricole dans le secteur de l’économie compétitive induit une spécialisation, une segmentation du travail et présente le milieu physique et social comme un ensemble de contraintes à dépasser, elle délite les rapports sociaux: rupture de la relation agriculteur/consommateur, apparition d’agents économiques abstraits. Ces évolutions amènent à redéfinir le projet social de l’agriculture. En Kabylie, les résistances culturelles ont amené à une mobilisation pour préserver les relations sociales locales, évoquées en parallèle des AMAP en France ou le « Wwoofing » américain. Ces mouvements inscrivent l’agriculture dans le développement durable en remettant au centre les liens entre le producteur et sa terre, entre le producteur et le consommateur.
« L’approche terroir », une compétence à viser dans une perspective de développement agricole durable. Cette approche fait-elle sens dans la formation des agriculteurs? Après une définition de concept d’approche terroir et un repérage de son emploi en géographie, c’est le point de vue des acteurs qui est ciblé dans ce chapitre. Le terroir est un système: un produit, in paysage et une communauté historique et culturelle. La relation entre terroir et dynamique locale, son impact dans la construction identitaire d’une localité ne fait pas consensus. Mais, au dire des auteurs, c’est une notion à enseigner dans les formations agricoles pour un développement économique local, sans oublier de rendre compte de sa complexité et en vue de faire acquérir des compétences transdisciplinaires: géographiques, économiques, agronomiques.
La sécurité alimentaire et ses aspects socio-bio-politiques: une analyse
Droits humains, légitimité démocratique et praxis de responsabilité dont au cœur de la gouvernance alimentaire et agricole durable.
La sécurité alimentaire est d’abord une question de gouvernance, une question politique. la notion de droit humain à l’alimentation doit être perçue comme une valeur et une règle, appropriée pour conduire à la transformation des comportements et à la naissance de contre-pouvoirs de contrôle. La situation actuelle se caractérise par des contradictions, d’une part l’affirmation de droit humain, de justice sociale et d’autre part de droits humains qui dans les faits sont subordonnés aux intérêts commerciaux. La régulation internationale doit inverser les priorités: normes sociales et environnement doivent être plus importants que les règles commerciales. Les enjeux sont de trois ordres: un développement agricole durable suppose un recul des inégalités sociales, n’est possible que si la répartition des moyens de production est équitable, est liés à la souveraineté en mettant l’accent sur le marché local.
Le chapitre 5 est une étude de cas: le Cameroun entre acteurs internationaux et gouvernance de la faim. Si le concours de partenaires extérieurs restera encore utile pour atteindre la sécurité alimentaire, la mondialisation et la libéralisation économique ne garantissent pas les intérêts des pays les plus pauvres. L’observation des dispositifs internationaux d’aide au Cameroun dans le domaine du soutien aux femmes, du développement de l’élevage montre les limites de son efficacité: multiplication des acteurs; manque de coordination, corruption. Une vision critique qui demeure très « raisonnable ».
Depuis 1996 et le sommet mondial de l’alimentation, le concept de sécurité alimentaire a évolué, en même temps que la progression des effets de la mondialisation. Même si le concept n’est pas seulement juridique mais aussi social, économique et politique, l’évolution du droit international influe directement sur le concept. La sécurité alimentaire n »est plus seulement une question de disponibilité mais aussi d’accès physique et économique à une alimentation saine: de la malnutrition à la « mal-bouffe », en passant par une alimentation conforme à la demande culturelle. On assiste donc à un glissement du droit à la nourriture au droit à l’alimentation. La notion de durabilité influe sur un autre aspect, vers une protection et une promotion de la diversité des produits et des pratiques .
Changement climatique, énergie et gestion des ressources naturelles: vers une redéfinition de l’équation alimentaire mondiale.
Il s’agit d’abord d’analyser les relations entre production d’agrocarburants et crise alimentaire des années 2008/2009 à partir des rapports du gouvernement américain. Comment la demande en maïs a-t-elle impacté les cours mondiaux du maïs dès 2006? L’auteur constate que le choix de produire pour fabriquer un carburant à des effets de compétition sur les terres arables, génère des pollutions et conduit à une hausse des prix des denrées alimentaires y compris aux USA. Le prix de la viande augmente mais cela est atténué par l’utilisation en alimentation animale des résidus de fabrication de l’éthanol. L’étude monde montre que dans la crise alimentaire des pays du Sud, l’éthanol n’est qu’un facteur parmi d’autres comme l’augmentation de la demande en viande des pays émergents, il met en évidence la complexité du problème. L’optimisme de l’auteur qui avance que les agrocarburants pourraient être une opportunité pour que les agricultures du Sud deviennent rentables oublie que la question alimentaire est surtout un problème d’accès économique des populations et qu’une hausse des prix des céréales pourrait engendrer une crise plus grave.
Le chapitre huit décrit les grandes caractéristiques du marché agricole au niveau mondial et les mécanismes de formation des prix, il montre le rôle déterminant des grandes multinationales: Cargill, Nestlé etc…, la spéculation et le jeu des marchés subventionnés. Partant de ce constat, les auteurs analysent les attitudes possibles pour les gouvernements: libéralisation/protectionnisme à partir de l’exemple de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie.
Face à la sécheresse, la gestion des ressources hydriques est déterminante, la plasticulture est-elle une solution ?
Après une description de cette technique et de sa diffusion dans le monde, c’est l’expérience algérienne qui est évoquée, dans le cadre d’une expérimentation dans la région d’Oran. Si c’est une bonne solution pour la gestion de l’eau, reste le problème de l’élimination des déchets plastiques.
Toujours en Algérie, ici la Kabylie, le chapitre dix traite de l’agriculture pratiquée par les femmes. En symbiose avec l’environnement, elle semble être une réponse efficace face au changement climatique. C’est une démonstration par l’analyse des techniques culturales (désherbage, rotation et jachère) et de la diversité des cultures.
C’est au Bénin que l’acceptabilité de la lutte étagée ciblée dans la culture du coton est mesurée dans le cadre d’un projet pilote. Comment dans ce pas les petits agriculteurs ont réagit à l’introduction d’une technologie innovante destinée à réduire les traitements phytosanitaires? De la sensibilisation à l’utilisation, la phase de formation et les résultats économiques (baisse du coût des intrants) sont déterminants. L »acceptation est influencée par le facteur économique mais aussi les réalités socio-économiques.
Développement agricole et commerce des produits agricoles au défi de la sécurité alimentaire
Dans une économie globalisée, la sécurité alimentaire est étroitement liée à la souveraineté alimentaire. Après un tableau des causes de l’insuffisance alimentaire, phénomène à la fois agricole, commercial et géopolitique caractérisé par une compétition inégale, l’intervention des institutions financières en imposant des politiques libérales d’ouverture des marchés a aggravé la situation aux dépens des petits agriculteurs. L’aide alimentaire, nécessaire en temps de crise aiguë a eu à long terme des effets délétères.
Le concept de souveraineté alimentaire a émergé en 1996 à Rome (sommet de l’alimentation – Via Campesina), il a évolué autour de la question des semences, des zones de pêche et de l’équilibre possible entre cultures d’exportation et cultures vivrières. Les auteurs insistent sur la place de la gouvernance pour la sécurité alimentaire.
Le chapitre 13 est très technique, il tente de mesurer les effets de l’agriculture de précision subventionnée ou non dans le cas du coton sur les producteurs du Sud. L’agriculture de précision vise à la fois une augmentation des rendements et un meilleur respect de l’environnement : nouvelle gestion des sols, meilleure gestion des intrants en fonction des précisions bio-climatiques, cette technique impose des agriculteurs formés, informés en temps réel grâce à internet, on parle de cyberagriculture.
L’auteur analyse les politiques et les effets des subventions à l’exportation, véritable dumping pour le coton américain et les conséquences pour les autres pays producteurs.
Le concept de cycle de vie d’un produit utilisé pour les produits industriels afin de mesurer leur empreinte écologique commence à être envisagée pour l’agroalimentaire essentiellement en Europe. D’autre part la qualité sanitaire des denrées et leur adéquation avec les préférences des consommateurs est désormais prise en compte dans l’idée de sécurité alimentaire. Ces deux évolutions posent la question du droit en matière agroalimentaire pour l’établissement de normes de production, de transformation, de transport et d’étiquetage.
Ce chapitre éclaire le lecteur sur la méthodologie d’analyse du cycle de vie d’un produit et montre sa difficile adaptation en matière agricole.
Les deux derniers chapitres nous ramènent au Maghreb.
D’abord avec une analyse de la politique agricole algérienne pour maintenir la production de céréales, avec comme éléments de réflexion: l’apport en eau et la lutte pour conserver la qualité des sols.
Ensuite par un rappel diachronique depuis l’époque coloniale, une étude sur la production céréalière en déclin dans les oasis du Sud algérien montre la faiblesse des connaissances sur les ressources disponibles, en particulier en matière de diversité génétique des céréales cultivées et leur capacité à s’adapter à la sécheresse face à des techniques importées qui n’ont pas eu les résultats attendus.
Postface
C’est une synthèse sur la complexité du défi alimentaire en ce début de XXIème siècle. Les auteurs insistent sur les précautions indispensables pour un développement rural harmonieux pour limiter les effets négatifs du marché. C’est un plaidoyer pour le renforcement de la recherche et une réforme de la gouvernance mondiale en matière d’agriculture et de nutrition.
Christiane Peyronnard ©