Comment Charles IX, alors qu’il tentait de rendre durable la paix de Saint-Germain-en-Laye du 10 août 1570 après trois guerres civiles, pouvait-il également être l’auteur du massacre des protestants de la Saint-Barthélémy ? C’est la principale question qui guide Jean-François Labourdette, professeur honoraire d’histoire moderne à l’université de Lille, dans son dernier ouvrage, Charles IX, un roi dans la tourmente des guerres civiles (1560-1574), paru en 2018 aux éditions Honoré Champion. Pour répondre à cette interrogation, l’auteur laisse volontiers de côté la légende noire qui entoure le souverain, tout comme les débats historiographiques qui ont cours aujourd’hui entre les historiens. Il réalise au contraire un véritable retour aux sources et donne la parole à Charles IX à travers les manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, qui contiennent la très riche correspondance d’État du souverain. L’auteur, spécialiste des relations internationales à l’époque moderne, avait déjà publié un ouvrage qui lui avait permis de montrer comment Charles IX avait été soucieux d’écarter les interventions étrangères dans les guerres civiles du royaume de France, tout en essayant de lui redonner la place de « fille aînée de l’Église » et de brider les appétits de Philippe II d’EspagneJean-François Labourdette, Charles IX et la puissance espagnole : diplomatie et guerres civiles, 1563-1574, Paris, Honoré Champion, 2013. L’ouvrage que nous vous présentons permet quant à lui de montrer l’obstination de Charles IX pour apparaître comme un roi de concorde jusqu’à la date du 24 août 1572. Au sein de ce travail, J-F. Labourdette y présente également une hypothèse sur les origines et les responsabilités du massacre de la Saint-Barthélémy.
Comme le rappelle l’auteur, la correspondance du roi Charles IX, contrairement à celles de sa mère Catherine de Médicis et de son frère Henri III, n’a été que partiellement publiée, malgré la richesse de la source. Les principaux correspondants du roi étaient avant tout ses frères : Henri, duc d’Anjou, futur Henri III, qui avait été fait lieutenant-général des armées et François, duc d’Alençon, qui portait la charge de représenter le roi lors de ses absences. Le premier président du parlement de Paris faisait également partie des interlocuteurs du roi pour les affaires intérieures du royaume. Le roi correspondait aussi avec les gouverneurs de province dont les plus importants étaient des princes de sang, de grands seigneurs du royaume ou des maréchaux de France. Il arrivait régulièrement que ces derniers soient suppléés par des lieutenants-généraux, lorsque les gouverneurs étaient appelés à mener les armées du roi. Enfin, lors de son avènement, Charles IX a hérité d’une administration créée par son père Henri II, celle des secrétaires d’État chargés à la fois des affaires intérieures et extérieures du royaume. Ainsi la correspondance du roi permet à l’auteur de mettre en lumière trois particularités du souverain, le roi de guerre, le roi de concorde et le roi de tragédie, qui forment les trois parties de l’ouvrage.
Avant de se lancer dans l’étude de la correspondance du souverain, l’auteur débute par un prologue où il présente les premières années du règne de Charles IX. La minorité du roi impose la mise en place d’une régence qui ouvre une période de troubles. C’est au cours de ses premières années de règne que le jeune Charles IX est confronté à la première guerre civile. L’ouvrage est ensuite divisé en trois grandes parties organisées chronologiquement. Dans la première, « Le roi de guerre (1566-1570) », J-F. Labourdette présente Charles IX comme un roi ayant la volonté de réconcilier les différentes parties. Le souverain souhaitait instaurer la paix dans le royaume entre les catholiques et les protestants. Toutefois, il ne parvint pas à empêcher les deuxième et troisième guerres civiles dont il sortit victorieux grâce à la victoire de Jarnac du 13 mars 1569 obtenue par son frère le duc d’Anjou. La deuxième partie, « Le roi de concorde (1570-1572) » permet de comprendre que la pacification du royaume ne pouvait se faire que par les armes. Cette partie met donc l’accent sur la paix de Saint-Germain-en-Laye, dont l’édit date du 8 août 1570, ainsi que ses conséquences. Dans la dernière partie, l’auteur montre comment Charles IX se transforme « [en] roi de tragédie (1672-1574) », à partir du massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572 qui débouche sur la quatrième guerre civile, jusqu’à sa mort le 30 mai 1574. Au sein de cette troisième partie, l’auteur ne fait pas le récit événementiel de l’épisode de la Saint-Barthélemy. Il renvoie d’ailleurs en notes de bas de page aux ouvrages consacrés à ce thème, à celui des guerres civiles ou encore aux nombreuses biographies des principaux acteurs.
Le premier chapitre de la troisième partie est l’occasion pour J-F. Labourdette de dresser son hypothèse sur la responsabilité du roi concernant les « matines parisiennes », et ce à partir de la correspondance royale. Pour l’auteur, le 11 août 1572 l’amiral de Coligny avait mis Charles IX dans une position inconfortable. Il ne lui laissait que deux possibilités : une intervention de la France dans les affaires des Pays-Bas, ce qui aurait pour conséquence un casus belli avec l’Espagne, ou une nouvelle guerre civile. Le roi aurait alors pris la décision d’exécuter l’amiral pour éviter une nouvelle prise d’armes entre protestants et catholiques. En effet, depuis la mort de Louis de Bourbon prince de Condé à la bataille de Jarnac et celle de Jeanne d’Albret, Coligny était le seul chef en mesure de mener les protestants sur le champ de bataille (le prince de Condé et le roi de Navarre étant trop jeunes et inexpérimentés). Il n’était toutefois pas prévu par le roi que Coligny réchapperait du coup d’arquebuse dont il avait été victime le 22 août. Il semblerait que Charles IX ait songé à faire porter la responsabilité de l’attentat aux Guise, parti dont il se serait bien débarrassé. Toutefois, des rumeurs de projets de vengeance de la part des protestants inquiétaient le roi, car certaines parlaient de véritables complots. Après avoir réuni autour du roi les plus farouches ennemis des huguenots, il fut décidé de prévenir tout complot en exécutant les chefs protestants présents à Paris. Le roi et sa famille furent extrêmement réticents, préférant passer par les voies légales. Charles IX ne se laissa pas convaincre facilement, mais céda devant l’insistance des principaux chefs catholiques réunis au Louvre. Le roi voulut d’abord faire porter la responsabilité du massacre sur la maison de Guise, avant de prendre conscience que ce serait un aveu de faiblesse de la part de la couronne. Toutefois il s’est défendu d’avoir ordonné le massacre général des protestants.
En guise d’épilogue, J-F. Labourdette dresse un portrait complexe du roi Charles IX, qui est présenté comme un roi machiavélien, c’est-à-dire que certains lui ont fait le reproche de la dissimulation tandis que d’autres ont loué ses qualités de secret et de prudence. C’est également un roi autoritaire qui se réclamait de l’absolutisme. L’auteur rappelle à plusieurs reprises que le roi poursuivait les rebelles non pas pour combattre la religion réformée, mais bien parce qu’ils remettaient en question son autorité. Charles IX était aussi un roi de concorde, pacificateur, qui avait la préférence de la négociation, y compris au temps des conflits. Ses édits accordaient la liberté de conscience et de culte aux protestants jusqu’à la Saint-Barthélemy. Le souverain se présentait également comme le Roi Très-Chrétien car ses édits de pacification avaient également pour objectif de sauver la religion catholique de son État. Après le 24 août 1572, il vit l’occasion de rétablir l’unité religieuse du royaume. Enfin l’auteur le voit comme un roi de miséricorde et de compassion. Dans les différents édits de pacification ainsi que dans les traités de paix signés par le souverain, les sujets du royaume tiennent une place importante. Le roi souhaitait soulager la population des conséquences de la guerre. Il exprimait sa douleur et sa colère lorsque ses sujets étaient les victimes collatérales des conflits entre catholiques et protestants.
Au final, il s’agit d’un ouvrage très intéressant où le lecteur pourra comprendre les différents enjeux des guerres civiles mais surtout la place du roi dans la gestion de celles-ci. En effet, pour l’auteur, le véritable sujet est bien le souverain français qui ressort de cette étude avec une image plutôt positive. Le texte est ponctué de citations et de notes de bas de page qui rappellent au lecteur qu’il ne s’agit pas d’une synthèse mais bel et bien d’un retour aux sources à partir de la correspondance royale.