Très bien illustré par l’auteur, largement fourni en plans des édifices et en enluminures l’ouvrage est parfaitement adapté à la recherche documentaire et comporte en fin une carte situant les 45 édifices présentés. Les plus représentatifs et les mieux conservés de ces grands vaisseaux de pierre sont évidemment cités et cet ouvrage pourrait largement accompagner une tournée sur le thème des châteaux forts.
« Les lys ne filent pas »
La guerre de 100 ans a été d’un point de vue militaire un véritable tournant. La guerre de siège des croisades, comme celle des Albigeois laisse pendant cette période aux batailles en rase campagne, à la guerre de mouvement en fait. Dans le même temps, l’apparition de la poudre remet en cause l’intérêt militaire de ces grands châteaux. Pourtant, lorsque l’on tient compte, comme le fait l’auteur, du caractère artisanal de cette artillerie à ses débuts, la guerre de siège a encore quelques épisodes à connaître. Plus peut-être que la poudre, c’est le renforcement du pouvoir royal qui remet en cause en France l’intérêt militaire des châteaux.
Dans le même temps, les puissants se sentent obligés de se protéger des bandes de routiers et autres soldats de fortune qui hantent les campagnes. Les châteaux forts peuvent alors jouer un rôle dissuasif.
L’ouvrage est composé de quatre chapitres qui présentent pour le premier et le dernier les tournants constitués par la guerre de cent ans elle-même et l’artillerie. Les deux autres présentent plus précisément l’architecture elle-même.
« Confort moderne ? »
Dans la partie intitulée « À l’abri des fortifications », l’auteur présente les remparts et les fortifications destinées à arrêter cet « anglois » qui chevauche dans le Royaume, comme le raconte Froissart.
Le texte qui accompagne les illustrations présente avec beaucoup de précision le contexte historique, la situation sociale du royaume objet de la conquête anglaise. De Jacques Le Goff à Jean Favier les travaux des grands auteurs sont largement évoqués en référence.
On appréciera aussi l’indispensable glossaire sur les termes d’architecture utilisé, un glossaire que l’on aurait peut-être pu accompagner de croquis, mais cela reste toutefois très compréhensible.
Parmi les évolutions notées par l’auteur, on trouve le passage, pendant la guerre de cent ans, et dès le règne de Philippe Auguste, au donjon habitation qui traduit aussi un besoin de confort supplémentaire par rapport aux périodes précédentes. Il suffit de comparer les plans et les photos avec ceux que l’on connaît des châteaux cathares pour constater la différence. C’est dans le chapitre consacré à « la folie des grandeurs » que l’auteur révèle les plus beaux aménagements de ces seigneurs qui peuvent envisager la construction de ces grands monuments. À cet égard, le palais des papes d’Avignon qui accueille aussi les fresques de Simone Martini est un des plus beaux exemples. L’intérêt défensif existe certes mais n’est pas essentiel.
L’ouvrage permet aussi de remettre en cause une idée fausse, celle de ces salles obscures du château fort. Les traditionnelles baies géminées laissent la place aux fenêtres à meneaux, à ces croisillons. On apprendra ainsi que le croisillon double à six ouvertures, désigne une personne de sang royal. En fait ce grand mouvement de rénovation architecturale se déroule au XIV et au XVe siècle ; avant la Renaissance donc.
« Laissez parler la poudre »
Les photographies qui accompagnent le propos sont évidemment essentielles. L’ouvrage est de ce point de vue une réussite pour la qualité d’impression, même si certaines illustrations sont perfectibles, notamment sur la balance des blancs lors de la prise de vue. (Mais on comprendra cette remarque eu égard à la pratique photographique de l’auteur de ces lignes.) Certaines photographies sont de vraies réussites comme celle de la page 63, fixant le château palais de Melun sur Yèvre, véritable prouesse verticale, impressionnant par ses proportions et son équilibre. De façon générale, la forteresse des années 1350 – 1450 gagne en hauteur face à des engins de siège plus sophistiqués et à l’utilisation de la poudre, même si, comme le raconte Froissart, elle impressionne davantage par le bruit que par les destructions qu’elle inflige.
Par ailleurs, si la bombarde est utilisée au départ pour battre les murailles, les bouches à feu de taille plus réduite trouvent leur utilité en défense. Les archères sont alors transformées par les maçons en canonnières. Un orifice rond permet d’adapter la bouche à feu et de « cracher mitraille » sur les assaillants. Pourtant c’est l’arbalète qui est la mieux utilisée par les défenseurs et le dispositif à treuil, l’arc métallique donnent à cette arme « proscrite pour la guerre entre chrétien », toute sa puissance.
Cet ouvrage est également enrichi d’enluminures, là aussi très bien reproduites, qui mettent en situation d’époque les explications de l’auteur, notamment sur les formes de combats et l’architecture militaire.
Au final ce livre est parfaitement à sa place dans un centre de documentation et peut aussi accompagner le visiteur curieux lors d’une tournée des châteaux. Les indications de visite et les coordonnées figurent dans l’ouvrage ce qui est bien utile.
Bruno Modica