Philippe Méguelle après des études universitaires à Paris puis à Dakar, soutient une thèse d’histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Cet ouvrage en est la publication. Depuis 2008 il enseigne l’histoire africaine aux étudiants en sociologie de l’université de Ziguinchor – Casamance.
La problématique de cette recherche repose un principe fondateur de la colonisation française en Afrique : « Il n’y a pas de colonisation sans politique indigène, pas de politique indigène sans commandement territorial, et pas de commandement territorial sans chefs indigènes qui servent de rouages entre l’autorité coloniale et la population.» et sur la question comment ce principe a-t-il pu être appliqué en pays diola, espace morcelé, sans société africaine étatique et individualiste de l’implantation française en Casamance (1828) à l’instauration de chefferies administratives (1923).
Dans un texte très structuré ce qui en rend la lecture agréable, cet ouvrage propose une analyse pointue liée à la documentation très riche. Une thèse d’histoire qui donne aussi des bases pour une meilleure compréhension des populations diola aujourd’hui.
En introduction, l’auteur dresse un inventaire commenté des sources disponibles côté français : descriptions de voyageurs, sources politiques, administratives, mais aussi des missions, des ressources historiographiques, les études d’anthropologie, les études récentes menées pour éclairer la crise casamançaise et rend hommage aux travaux d’un géographe Paul Pelissier sur les paysans du Sénégal. Mais Philippe Méguelle a aussi, par des enquêtes de terrain approfondies, collecté la tradition orale dans près de 80 villages entre 1997 et 2007.
L’expansion française face au particularisme diola (1828-1886)
La première partie présente une description géographique du bas pays casamançais ( réseau très dense de marigots qui morcellent l’espace) et une analyse historique de son peuplement. Contrairement à l’image véhiculé dans les textes des agents coloniaux français les Diolas ne sont pas un peuple de la forêt sans organisation. Il a existé un puissant royaume du Kasa, d’un État théocratique « floup » attesté par les récits des navigateurs portugais qui explorèrent le fleuve Casamance au début du XVIe siècle. Malgré son isolement la Casamance ne fut épargné par les effets destructeurs de la traite atlantique : le commerce des esclaves et les raids organisés pour l’alimenter contribuèrent pour beaucoup à l’effondrement de la royauté floup en tant qu’organisation politique et les villages devinrent la seule entité politique, les autorités religieuses élaborèrent un système visant à préserver l’ordre et l’unité entre les différentes communautés. Les rois-prêtres bénéficiaient de vastes rizières cultivées par la collectivité, les provisions de riz servaient à nourrir les indigents et toute la population en cas de disette, ils avaient aussi des fonctions judiciaires. Ce personnage s’imposa comme le symbole de l’unité spirituelle de la communauté diola. Le pouvoir politique revenait aux anciens qui l’exerçaient collégialement dans le cadre d’un conseil des anciens. Ce système reste fragile face aux influences extérieures : traite atlantique, avancée Mandingue et conflits entre villages.
Le pays diola de Basse-Casamance se caractérisait par un émiettement politique lié au morcellement géographique, à la diversité des populations et à l’histoire mouvementée de ce peuple. On peut ajouter la mentalité du Diola, à la fois solidaire et individualiste, soumis au contrôle strict des anciens et à de multiples interdits religieux, mais également réfractaire à l’autorité lorsque celle-ci était imposée et permanente.
A la suite des Portugais les Français s’intéressent à la côte à partir de 1828 mais c’est en 1836 que les Français fondent le premier comptoir de Carabane. Dès le début de la présence française en Casamance, la question des chefs se posa comme le montre l’étude de l’action du résident Bocandé pour instaurer des relations diplomatiques avec les principaux notables du pays. Dans les années 1850 les rapports entre le commerce français et les villages de l’estuaire se dégradèrent rapidement comme en attestent les nombreux exemples exposés ici. Les traités signés étaient plus formels que réels malgré les interventions militaires sous les ordres du commandant Pinet-Laprade à partir de 1859. L’auteur montre l’inadaptation de la politique indigène de Faidherbe, en tournée dans les rivières du Sud en avril 1860 : transformer les chefs de villageet leur descendance en collaborateurs de l’administration, notamment pour assurer la perception de l’impôt destiné à financer le projet colonial. Mais l’existence même des villages diolas comme entité politique était une construction des autorités coloniales comme le montre l’exemple du premier chef local à Kagnout rapporté d’après le légende locale. L’échec du recrutement des fils de chefs pour l’école des otages de St Louis chargée de la formation d’agents africains capables d’employer les techniques administratives introduites par le colonisateur montre les limites de l’action sur les paysans diolas très attachés à leurs rizières. Les relations entre les autorités et les villages sont rompues en 1870. Durant les années 70 et 80 les heurts entre traitants et villageois sont fréquents et m^me des accrochages sérieux comme l’affaire de Séléki en 1887.
L’expérience malheureuse des intermédiaires étrangers (1860-1901)
L’absence de chefferie authentique fut l’un des principaux obstacles à l’expansion française en pays diola. L’incapacité à établir un contrôle sur les populations amena les autorités à vouloir imposer arbitrairement des chefs mena à la politique des intermédiaires étrangers.
L’auteur cherche à comprendre comment des Sénégalais venus du Nord, anciens esclaves affranchis ou anciens guerriers des troupes coloniales sont venus à s’installer sur les bords du fleuve Casamance.
Les relations furent parfois difficiles entre les autorités françaises de Carabane et les représentants des
villages « étrangers » comme Birame Diaw, chef de Diakène-Wolof promu au rang de chef de canton, Birama Guèye chef wolof de Carabane ou Dominga Lopez, une mulâtresse surnommée la « reine » de la
Pointe Saint-Georges,. Ces exemples montrent l’influence acquise par ces collaborateurs de l’administration coloniale. Cette politique suscita de fortes oppositions dans l’administration coloniale (Galibert- Martin) d’autant que les administrateurs font preuve d’une méconnaissance complète du pays. Elle a aussi généré de graves troubles pour partie liés aux exactions des chefs wolofs, à l’attachement des Diolas à leur terre et à l’opposition entre Diolas animistes et riziculteurs et « étrangers » musulmans et commerçants, par exemple dans la province du Kombo ou dans le Fogny avec la reconnaissance comme chef de Fodé Kaba, un Mandingue. La résistance des guerriers diola contre ces envahisseurs est très présente dans les récits épiques transmis par la tradition orale. Si l’auteur montre les aspects géopolitiques des choix français: rivalités avec les Anglais, poids des États mandingues il montre aussi que les Français n’exercèrent, jusqu’en 1894, aucun contrôle sur les pays diola soumis à l’expansion mandingue, Dans leurs rapports sur le Kombo et le Fogny, les administrateurs et chefs de poste de Carabane et de Sédhiou se basaient sur les informations lacunaires et souvent erronées rapportées par les quelques traitants établis dans ces contrées, par exemple la conception très pragmatique du pouvoir dérouta le colonisateur européen : la plupart des chefs de guerre diola se maintenaient à la tête de leur communauté aussi longtemps que persistait la menace d’agression étrangère. Sitôt le retour à la paix.
Après la chute de Fodé Kaba en 1901, le gouvernement du Sénégal imposa un commandement européen dans le Fogny et le KomboL La présence de postes militaires même peu fournis et l’action de résidents isolés et peu informés des réalités locales qui avaient la charge était de prélever l’impôt ne permettaient pas un ralliement des populations comme le montre les rapports concernant le poste de Bignona, d’autant que la quasi-absence de chefs de village ayant un réel pouvoir sur leur communauté ne permettait pas un maillage du territoire. Les difficultés du commandement indigène furent importantes dans des pays diola qui ne reconnaissaient aucun pouvoir centralisé avant l’installation des Français, la chefferie de province apparut comme une création abstraite du colonisateur.
La difficile implantation de la chefferie administrative dans les pays diola 1900-1923)
Jusqu’au XXe siècle, les contrées forestières de la rive Sud avaient été presque inexplorées par les Européens et les communautés qu’elles abritaient avaient continué à évoluer en toute indépendance. C’est grâce à la consultation de la tradition orale que l’auteur retrace l’évolution de la « royauté floup » avant l’occupation française. Cette étude permet de mieux comprendre le choc provoqué par la rencontre entre les « rois-prêtres » diola et les premiers administrateurs français qui les percevaient comme des chefs politiques alors que leur pouvoir était avant tout religieux. L’incompréhension réciproque a rendu impossible toute entente entre l’autorité coloniale qui ne mesurait ni les crises de succession, ni les luttes d’influence qui
touchaient toutes les « royautés diola » et ceux qu’elle nomme « chefs fétichistes ». À partir de 1901 la répression contre les villages réfractaires à l’impôt fut très dure comme le montre les exemples détaillés chez les Bayotte, les Floup et les Diola du Bandial . La confrontation des sources coloniales à la parole des anciens permet de rechercher le rôle joué par ces chefs religieux diola dans la résistance de leur peuple à l’emprise coloniale et de mieux appréhender les formes originales des réactions villageoise à la pénétration coloniale. Cette partie offre aussi l’occasion de découvrir un certain nombre de rites religieux et en particulier le « bougout», cérémonie de l’initiation qui demeure organisée dans chaque village une fois tous les 30 ans.
Cette situation troublée fut un obstacle à l’organisation de la Basse-Casamance par le pouvoir colonial français. Ne pouvant organiser un commandement indigène dans les villages sans chefs de la rive Sud, il fut envisagé d’utiliser le modèle d’administration directe ébauché à Bignona.
A la veille du premier conflit mondial l’administration tente, malgré la faiblesse des moyens budgétaires, d’organiser la justice indigène, en opposition complète avec la justice traditionnelle, et de développer les « œuvres sociales » (écoles rurales, assistance médicale) pour faciliter la pénétration et la pacification coloniales. Les résistances du milieu culturel diola contrarièrent l’application de cette « politique d’assimilation ».
Pourtant l’action d’un administrateur, le Docteur Maclaud, par sa perception de la complexité de la mentalité diola a permis quelques avancées, une «politique d’apprivoisement»
À partir de 1911, il tenta d’associer les notables diola du Fogny à l’administration de leur pays, conformément à la « politique des races » préconisée par le gouverneur général William Ponty, pour une adaptation de l’administration française aux contingences locales. Par exemple en septembre 1911, l’administrateur profit du changement de résident à Bignona pour tenter une expérience : se passer des
notables étrangers qui avaient servi d’intermédiaires entre l’administration et les populations du Fogny. Si ces agents mandingue, wolof, sarakholé ou même diola venus d’ailleurs, avaient eu leur utilité tant que les
Diola autochtones refusaient le moindre contact direct avec les Européens le nouveau résident s’appuya sur les chefs dans plusieurs gros villages qui satisfaits d’ être reconnus promirent de s’occuper personnellement du paiement de l’impôt. Autre exemple le parcours de deux jeunes interprètes d’Oussouye et de Diouloulou dans l’administration française.
La première guerre mondiale eut un effet de déstabilisation de l’administration coloniale et mis à contribution forcée les populations dans le cadre de l’«effort de guerre» ce qui provoqua un retour à des pratiques coercitives et au système des intermédiaires étrangers.
Dès 1914 la mise en œuvre du recrutement de soldats s’avéra d’autant plus difficile que les méthodes employées par les officiers chargés d’administrer les cercles de Bignona et de Kamobeul furent brutales et arbitraires. De graves troubles justifièrent en 1917 l’occupation militaire de la Basse-Casamance. L’auteur montre la brutalité et la coercition pour contraindre les populations à soutenir l’effort de guerre d’autant que les richesses forestières et les réserves de riz et de bétail de la Casamance, avaient toujours attisé les convoitises des colonisateurs européens.
La paix allait permettre l’apaisement et l’arrivée d’un administrateur civil qui permit l’installation d’un commandement indigène avec l’institution des conseils de notables. En 1922, les coutumes des habitants et les réalités des pays diola sont prises en compte par l’administrateur Descemet pour la formation des chefferies provinciales et cantonales, il s’appuyait sur la circulaire Van Vollenhoven de 1917 qui n’avait pu être mise en ouvre du fait de la guerre. Son redécoupage en six provinces et vingt-six cantons était plus conforme aux divisions claniques avec une recherche de chefs acceptés par les populations. Ce découpage demeure utilisé aujourd’hui pour désigner les ethnies et les différents terroirs de la Basse-Casamance. L’auteur constate pourtant les défaillances de la nouvelle chefferie administrative : faible solde des chefs de canton qui peut expliquer aux malversations liées au recouvrement de l’impôt.
La conclusion offre une synthèse très claire où l’auteur reprend les principes et les résultats de sa recherche.
Si les stratégies de résistance ont permis à la société diola de conserver une certaine indépendance politique et son identité culturelle sous l’occupation française ion assis à une certaine acculturation du peuple diola : assimilation des Baïnoun par les communautés diola, l’expansionnisme mandingue, pression croissante du système colonial. Cette thèse contribue à l’histoire de la colonisation mais aussi de la Casamance et des Diola, elle apporte des éléments de compréhension les problèmes actuels d’intégration des « populations du Sud » dans la nation sénégalaise.
En annexe quelques textes utilisables en cours pour le regard du colonisateur viennent enrichir l’ouvrage de même qu’une abondante bibliographie
Un beau texte qui devrait passionner mes amis bignonois : Ndèye Fatou ,Yaya, Amoro, Kaloumbene, .. et tous les autres
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