Dans les pas de François-Michel Le Tourneau et de l’armée
Comment s’enquérir de l’orpaillage illégal en Guyane pour un scientifique qui pratique le terrain ? C’est pour répondre à cette question que le géographe François-Michel Le Tourneau nous emmène sur le terrain sur les traces des garimpeiros. Après la sortie d’un livre de référence sur l’Amazonie en 2019 et grâce au soutien des Forces armées de Guyane (FAG) qui assurent sa sécurité, le géographe a mené un projet original de recherche pendant 4 ans.
En un peu plus de 400 pages, François-Michel Le Tourneau décrit le fonctionnement de la production et la société organisées par les orpailleurs. Il n’oublie pas de présenter le long processus l’amenant à gagner progressivement la confiance des garimpeiros. Dans la jungle, les radios font et défont les réputations à travers un réseau de communication particulièrement développé. Les alertes pour signaler la patrouille d’un hélicoptère ou l’arrivée possible d’une pirogue sont fréquentes. La maîtrise de la langue portugaise, notamment celle de l’argot utilisé par les garimpeiros permet de mettre en confiance son interlocuteur. Le bouche à oreille, d’un site à l’autre, fait le reste.
Ce travail de recherche se caractérise par sa très grande richesse. Depuis l’histoire de l’orpaillage dans cette région du plateau des Guyanes, l’auteur présente avec minutie cette activité à l’origine d’un véritable « système garimpeiros ». L’orpaillage illégal est un secteur économique s’inscrit dans des cycles économiques, politiques et militaires. Il reflète également les évolutions techniques pour extraire l’or depuis la terre ou au fond des cours d’eau. L’extraction de l’or est à l’origine d’un réseau logistique particulièrement ramifié. Sur les cours d’eau en fonction de la saison (sèche ou humide), des routes de terres ou des sentiers, les individus sont très mobiles : piroguiers, ouvriers, patrons, prostituées, cuisinières, conducteurs de quads, commerçants, gérants de cabarets, mécaniciens. Un tableau indique même la présence de professions plus inattendues comme une esthéticienne, un scieur et un bijoutier. L’espoir de faire fortune est dans tous les esprits. Pour beaucoup, l’objectif est de ramener quelques centaines de grammes d’or pour s’acheter un terrain ou une boutique à la ville.
Les nombreux entretiens de l’auteur sont mis en perspective afin de décrire les itinéraires empruntés par les acteurs et les risques rencontrés. Les passages dédiés au prix de l’or et à l’ensemble des frais logistiques sont particulièrement intéressants pour un lecteur simplement curieux de mieux connaître cette activité. La part de chaque ouvrier, le prix d’un kilo de riz, d’un quad, d’un moteur chinois, d’une passe dans un cabaret, du contournement d’un barrage de gendarmerie ou le prix des investissements de départ sont minutieusement consignés dans des tableaux. Par exemple, à la page 267, on y apprend qu’une caisse de 48 canettes de bière est achetée environ 160€, soit 4 grammes d’or par le patron d’un cabaret proche des sites d’extraction. A la revente, le cabaretier obtiendra environ 16 grammes d’or, soit 640€. Auquel seront ajoutés les revenus tirés de la prostitution et de la restauration. Une simple plaquette de 10 comprimés de paracétamol est revendue 1 gramme d’or à Pega Voando, soit 44 €.
« La logistique des garimpeiros repose sur une combinaison de segments fluviaux et terrestres. Les facteurs qui les amènent à privilégier tel ou tel itinéraire ou telle ou telle modalité sont complexes et s’adaptent en permanence à la situation sur le terrain. Ils tiennent compte des réalités géographiques (profondeur des criques, configuration des bassins, difficulté de navigation sur les rivières), des saisons (hauteur d’eau en saison des pluies ou en saison sèche) et, bien sûr, des postes de contrôles et de barrages. »
Extrait tiré de : François-Michel Le Tourneau, Chercheurs d’or – L’orpaillage clandestin en Guyane française, CNRS Editions, page 163
Les très nombreuses photographies de ce livre sont en couleur et complètent les cartes réalisées par l’auteur. Elles sont extrêmement utiles pour apprécier les paysages (crique, forêt, fleuve), l’organisation des orpailleurs au quotidien (logement, ravitaillement, pirogue, chemin) et les conditions d’exploitation (machines, mercure dans un tube à essai).
Les annexes à la fin de l’ouvrage se révèlent très riches. Après le démantèlement d’un camp illégal par une opération Harpie en janvier 2011, des fonctionnaires retrouvent le carnet d’une cuisinière (page 397). La traduction en français de ce carnet rédigé en portugais sur un agenda est un témoignage de première main. En mars 2010, E.S rejoint sa sœur en Guyane. Elle devient la cuisinière d’un camp de l’Est de la Guyane et dirigé par le compagnon de sa sœur. Pendant 10 mois, elle relate le quotidien du camp (la production, l’alcoolisme), son travail de cuisinière (les approvisionnements) et les fréquents changements de sites (en évitant les patrouilles de surveillance). Un exemple ci-dessous permet d’apprécier ce témoignage sous la forme d’un journal intime à travers les yeux d’une actrice de la société des garimpeiros. Les notations entre crochets sont de François-Michel le Tourneau.
« 15 avril
Aujourd’hui, je me suis levée à 5 heures, j’ai préparé le café et je suis retournée dormir, je me suis levée à 7 heures et j’ai préparé la collation des hommes et j’ai commencé à préparer le déjeuner ; une sœur [au sens religieux, sœur en religion évangélique] qui s’appelle Maria, qui habite à Tailândia, mais qui est ici en ce moment, est venue déjeuner avec nous et vendre des choses ; j’ai acheté une robe et un haut pour 3,5 g [environ 125 €], on a déjeuné, deux hommes qui travaillent avec Beau-frère se sont saoulés et du coup ils n’ont pas pu retourner au boulot pour le reste de l’après-midi et Beau-frère n’a pas apprécié du tout ; je suis restée tout l’après-midi dans mon Fuscão à écrire. A 5 heures, j’ai commencé à préparer le dîner et 7 heures on a dîné, j’ai rangé la cuisine et je suis allée me coucher. »
Extrait tiré de : François-Michel Le Tourneau, Chercheurs d’or – L’orpaillage clandestin en Guyane française, CNRS Editions, page 402
Un livre très dense, accessible, précis et parsemé d’anecdotes concrètes récoltées au fil des aventures d’un chercheur sur un terrain difficile. Au delà de l’intérêt strictement scientifique, François-Michel Le Tourneau lève le voile sur une société organisée et consciente d’exploiter l’un des milieux les plus difficiles à valoriser du territoire français.
Pour aller plus loin :
- Présentation de l’éditeur -> Lien
- La vidéo de Gildas Leprince (« Mister Geopolitix ») qui présente une mission de surveillance contre l’orpaillage illégal en Guyane -> Lien
Antoine BARONNET @ Clionautes