« La montagne nous protégera toujours, comme elle l’a fait tant et tant de fois par le passé », ainsi s’exprime le personnage fictif Asmaïl, agriculteur yézidi vivant dans une ferme à l’extérieur du village de Snouni, au nord des monts Shingal, dans le nord-ouest de l’Irak.
Le pays yézidi
Avant de revenir sur les événements d’août 2014, le scénariste Tore Rorbaek et le dessinateur Mikkel Sommer prennent le soin de donner au lecteur, grâce à de magnifiques planches, des images mentales des paysages de cette région méconnue. Ces premières pages sont accompagnées d’une carte permettant d’appréhender la complexité géopolitique de ce territoire yézidi, à la croisée de l’Irak, de la Syrie et de la Turquie. Elles permettent également de rentrer rapidement dans le vif du sujet en rappelant les particularismes culturels et religieux du peuple yézidi ainsi que les persécutions subies depuis des siècles.
Les Yézidis sont les dépositaires d’une religion mêlant christianisme, judaïsme, islam et zoroastrisme et sont considérés comme des hérétiques par DAECH ou Al Quaïda.
Août 2014
Cet ouvrage se concentre sur ces quelques jours d’août 2014 où cette région montagneuse de Shingal a fait l’objet d’une attaque de l’État islamique. Si le drame des Yézidis, et notamment le sort réservé à quelques 6000 femmes réduites à la condition d’esclaves sexuelles, a pu être entendu dans le monde occidental grâce aux témoignages de survivantes, le propos de la bande dessinée est centré sur les zones d’ombre de ces quelques journées de combat.
Dans le contexte confus de l’avancée de l’État islamique dans un territoire disputé à la fois par le gouvernement irakien et la province autonome du Kurdistan, les peshmergas (combattants kurdes) s’étaient engagés à défendre cette population. Or des témoignages de Yézidis convergent sur l’idée que les troupes peshmergas auraient abandonné la région face aux troupes de l’État islamique.
Tore Rorbaek revient sur ces témoignages dans une postface bienvenue et justifiant la démarche des auteurs. Il y explique la méthode qui a été la leur pour la réalisation de cet ouvrage. Ainsi se sont-ils rendus dans la région et dans les camps de réfugiés pour recueillir la parole des survivants et la comparer aux livres parus sur le sujet. Il s’agit donc d’une vraie démarche journalistique de la part de Tore Rorbaek, titulaire d’un Master en Science Politique de l’université de Copenhague.
Le récit est donc celui de la fuite des Yézidis dans les monts Shingal et le combat de certains pour ralentir la progression des troupes et permettre la mise en sécurité du plus grand nombre. Pour incarner ces événements, des personnages fictifs, tels l’agriculteur Asmaïl et son frère Mazlum. Ils reflètent les témoins rencontrés par les auteurs.
Les populations civiles réfugiées dans la montagne font ensuite face à un nouveau drame, celui du dénuement le plus total dans l’attente d’être secourues. Si un corridor humanitaire permettant leur évacuation pourra être mis en place au bout de quelques jours, l’ouvrage revient sur les parachutages de vivres et d’eau de la part de pays occidentaux, une aide dérisoire face à la violence de cette attaque.
Le travail de Mikkel Sommer est superbe, souvent lumineux, notamment les planches exprimant les croyances yézidies. Les textes sont limités au strict minimum, tout comme les faits de violence, sous entendus plus que représentés.
L’actualité yézidie
L’actualité récente remet d’ailleurs la question yézidie au cœur de la géopolitique régionale. En effet un accord a été conclu entre le gouvernement autonome kurde et le gouvernement central de Bagdad concernant la région de Shingal le 9 octobre 2020, sous la pression des États Unis. Si les parties irakiennes et kurdes se félicitent d’avoir trouvé certains points d’accords, les Yézidis mettent en avant, qu’encore une fois, des décisions les concernant soient prises sans leur participation aux débats. Le but de ces discussions est de permettre leur retour dans cette région puisqu’une grande partie des civils ayant fui la région en août 2014 vivent toujours dans des camps de réfugiés en Syrie. Les Yézidis en appellent à la présence des Nations Unies ou de l’Union européenne car ils rappellent que les causes sous-jacentes du génocide comme la discrimination et la haine à leur égard sont toujours présentes.
Un témoignage émouvant et nécessaire.