Claudine Le Tourneur d’Ison Journaliste spécialisée en égyptologie, autrice de plusieurs ouvrages sur l’Egypte, a été élève de Christiane Desroches Noblecourt à l’école du Louvre nous livre avec cet ouvrage une biographie de la grande égyptologue.

Une vocation précoce

Née en 1913, Christiane Desroches a la chance de grandir dans une famille humaniste où on lui enseigne que la femme est l’égale de l’homme. C’est le récit de la découverte du tombeau de Toutankhamon, qu’elle découvre dans l’Illustration, qui décide très tôt de sa vocation. Après ses études secondaires, elle s’inscrit à l’école du Louvre pour suivre des cours d’archéologie et de philologie égyptienne puis à la Sorbonne, à l’Ecole pratique des hautes études, au Collège de France, à l’Institut catholique pour assouvir sa soif de connaissances. Elle y côtoie les plus brillants enseignants qui reconnaissent en elle une élève passionnée et érudite et vont l’aider à poursuivre sa voie dans l’égyptologie. Premier séjour en Égypte en 1937, premières fouilles, guide de Jean Zay, ministre de l’Instruction publique, qu’elle a déjà accueilli au Louvre. C’est là aussi qu’elle rencontre à l’IFAO (Institut français d’archéologie orientale) de la part des pensionnaires égyptologues une franche opposition à sa nomination pour la seule raison qu’elle est une femme. Dès sa première campagne de fouilles à Edfou, elle découvre une tombe inviolée. Déjà, elle se fait remarquer par sa rapide adaptation aux conditions spartiates dans les chantiers de fouilles, sa proximité avec les équipes d’ouvriers égyptiens avec qui elle fraternise et améliore son apprentissage de la langue arabe. Même ses ennemis sont obligés de reconnaître sa clairvoyance pour faire des découvertes.

La résistance pendant la guerre

De retour en France en mai 1940, en plein conflit, elle propose son aide au Louvre afin de mettre les objets et œuvres d’art à l’abri de la convoitise allemande. Avec l’ensemble du personnel, les élèves de l’Ecole du Louvre et les employés des magasins voisins du musée, Jaujard, nouveau directeur général des musées nationaux, organise l’évacuation des pièces majeures vers des châteaux à l’écart des combats. Christiane Desroches, à l’aide de deux camions, rapatrie les caisses contenant les pièces les plus précieuses du département d’égyptologie du château de Courtalain où elles avaient été provisoirement mises à l’abri jusqu’au château de Saint-Blancard dans le Gers, empruntant les routes envahies par une population fuyant les combats allemands. Après l’appel du 18 juin du général De Gaulle, elle entre dans la Résistance au sein du « Réseau du musée de l’Homme ». Elle participe ainsi à la confection du premier numéro du journal Résistance, tout en continuant ses voyages vers le Sud pour mettre les trésors d’Egypte à l’abri. Arrêtée par la Gestapo, interrogée, fouillée alors qu’elle détient un message secret, elle restera 3 jours en cellule avant d’être relâchée.

La grande œuvre de sa vie : sauver les temples de Nubie

Au cours de trois chapitres, Claudine Le Tourneur d’Ison nous raconte la fabuleuse épopée du sauvetage des temples de Nubie et notamment celui d’Abou Simbel. C’est grâce à la détermination de Christiane Desroches Noblecourt que cette opération à peine imaginable a pu être menée à terme. Ne ménageant pas son énergie, elle va convaincre les différents acteurs impliqués dans cette opération afin de sauver des vestiges millénaires de la submersion dans les eaux du nouveau barrage de Nasser. Après avoir étudié de nombreux projets, c’est celui que Christiane Desroches Noblecourt ne peut envisager qui est pourtant retenu par le gouvernement égyptien : le découpage des temples pour les reconstituer 60 mètres au-dessus du niveau des eaux du futur lac de retenue. C’est en 1963, après la signature entre l’Unesco et la République arabe unie d’Égypte des modalités des travaux, que débute l’incroyable opération : la mise en morceau de 837 blocs pour le grand temple, de 235 pour le temple de la reine Nofretari avec le déculottage de la montagne, grâce au savoir-faire des marbriers de Carrare qui supervisent les opérations. Le 22 septembre 1968 a lieu la cérémonie d’inauguration du nouvel Abou Simbel. A cette occasion, Christiane Desroches Noblecourt ainsi que son ami Saroïte Okacha, ministre de la Culture d’Egypte, reçoivent la médaille d’argent de l’Unesco pour leur rôle dans le sauvetage des temples.

Les pharaons à Paris

Les derniers chapitres racontent les combats menés par Christiane Desroches Noblecourt pour faire sortir d’Égypte des trésors afin de les exposer en France. Voulue par Malraux dès 1965, l’exposition Toutankhamon doit permettre un rapprochement entre De Gaulle et Nasser après la crise de Suez qui avait entraîné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. C’est tout naturellement Christiane Desroches Noblecourt qui est chargée des négociations pour faire venir en France le grand pharaon ainsi que de nombreux objets de grande valeur jamais sortis d’Égypte. Après bien des embûches, l’exposition a bien lieu et rencontre un franc succès populaire, bien plus que celle consacrée à Ramsès II quelques années plus tard.

Le Louvre

Tout au long de cet ouvrage qui parcourt la vie de la grande dame et dans un chapitre spécifique, les fonctions de Christiane Desroches Noblecourt au Louvre sont racontées, de l’étudiante qui prépare sa thèse et qui se retrouve chargée de mission à la conservatrice reconnue qui règne sur le département des antiquités égyptiennes.

Cet ouvrage présente plusieurs intérêts. Claudine Le Tourneur d’Ison sait captiver son lecteur avec une biographie très documentée, riche en anecdotes, qui permet de découvrir certaines facettes peu connues de la vie et de la personnalité de Christiane Desroches Noblecourt. Mais surtout, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre à la lecture de l’introduction, cette biographie n’est en rien une hagiographie. Si Christiane Desroches Noblecourt a été une grande égyptologue qui a contribué à faire connaître l’Égypte, si elle a été une résistance qui s’est battue pour sauver les chefs d’œuvre du Louvre, l’autrice se fait pas l’impasse sur les défauts de son sujet d’étude : en effet, si un caractère trempé était nécessaire pour s’imposer dans un monde d’hommes, ce même caractère, parfois excessif, a pu desservir Christiane Desroches Noblecourt qui a su se faire dans sa carrière de nombreux ennemis. C’est donc un portrait équilibré, riche en nuances, honnête et passionnant qui nous est fourni dans cet ouvrage.