Alexandre SchirattiIl est géographe des transports et de l’environnement. Cycliste intrépide, il parcourt régulièrement les routes de France et d’Europe. livre une histoire du voyage à vélo, le livre d’un géographe pour les routes estivales.

Un voyage en équilibre

C’est au début du XIXe siècle, à Mannheim, en 1817, qu’on assiste aux premières tentatives d’équilibre sur 2 roues, épisode narré avec humour : « L’homme vient de la ville, il est vêtu d’une longue culotte or et grenat, d’un gilet à queue-de-pie ajusté, c’est un bourgeois. » (p. 9). Le vélocipède est né ou plutôt la « draisienne » du nom de son inventeur le baron Drais. L’auteur replace cette invention dans le grand moment de la révolution industrielle et des débuts du tourisme (« les guides de voyage et les cartes routières se popularisent peu à peu. »).

Il faut attendre 1860 pour l’invention de la pédale dont la paternité demeure incertaine. La consécration est rendue possible par L’Exposition Universelle de 1867, deux ans après le premier voyage à vélo de Paris à Avignon. L’auteur raconte l’aventure des frères René et Aimé Olivier et leur ami Georges de la Bouglise avec comme objectif : identifier les dysfonctionnements de l’engin et imaginer des solutions, expérience dont il ne reste aucun compte rendu authentique.

Le développement de cet objet sportif est réel. La première la première course a lieu le 8 décembre 1867. Alexis Favre, fabricant de vélocipède à Voiron en construit près de deux mille vélocipèdes par an. En 1868, un premier ouvrage sur la pratique du bicycle est publié. Plus qu’un objet utilitaire le vélocipède est à mi-chemin entre la compétition de vitesse et la promenade touristique collective, comme le montrent les exemples cités. Après le développement en France50 000 vélos en France en 1890 contre 5 000 à 6 000 en 1870 (p. 41), l’auteur décrit l’essor outre-Manche.

A la fin du siècle des innovations (pneu, chaîne) en font un moyen de déplacement au quotidien.

Les vélocipédistes voyageurs

« Ils connaissent à peine le nom de leur localité terminus, partent sans la moindre carte, voûtés sur leur machine ils n’ont d’yeux que pour leur roue avant. » (p. 47), c’est ainsi que commence ce second chapitre consacré à la pratique bourgeoise du voyage à vélo. Cette pratique comme celle d’Albert Laumaillé du Bignon est opposée à la recherche d’ascension sociale des premiers coureurs cyclistes. Laumaillé est un adepte inépuisable : 216 000 km en 16 ans dont 24 000 km en 1879 qui emmène ses amis, mais aussi sa femme sur les routes de France et d’Europe. On suit d’autres aventuriers du vélo : Baroncelli qui n’hésite pas à affronter les routes de montagne ou Thomas Stevens et son grand-bi au départ de la Californie pour traverser les États-Unis puis parcourir le monde. Les femmes ne sont pas absentes comme Annie LondonderrySon arrière-petit-neveu, l’écrivain Peter Zheutlin a retracé ses aventures dans Around the world on two wheels. .

Des voyages, des brevets, des guides touristiques ou des conférences pour financer ces aventures quand la fortune bourgeoise ne suffit pas.

Quelques reproductions photographiques donnent à voir cette épopée cycliste.

Cultures cyclotouristes

Des clubs réunissent les pratiquants, souvent issus de la la classe moyenne naissante. Ils s’ouvrent ensuite aux classes populaires. De la pratique sportive, excursion dominicale de 40 à 80 km, la pratique évolue vers la découverte, c’est en 1890 qu’est fondé le Touring-Club de France.

L’auteur décrit les clubs anglais, la place des femmes et le scandale possible de leur accoutrement vestimentaire.

Abel Ballif, secrétaire général puis président du TCF, défend le voyage à vélo comme un outil de développement touristique. On assiste à la promotion de routes touristiques comme la route de la corniche d’or de l’Estérel ou le projet de route touristique entre Évian et Nice. Après la Première Guerre mondiale, le TC sera le promoteur du tourisme nautique et du développement du ski. L’auteur analyse les orientations politiques du TCF : « l’idéal d’une France rurale où les hommes, vivant en harmonie avec la nature, consacrent la valeur du travail par leur effort physique » (p. 114) « La bicyclette […] prépare le corps de l’enfant, endurcit l’homme, le transforme en soldat » (p. 115).

Un homme incarne cyclotouriste, Paul de Vivie. Son portrait montre un homme de la petite bourgeoisie commerçante dont la vie est liée au vélo. Il fonde en 1887 la revue Le Cycliste Forézien et invente le changement de vitesse si utile en montagne qui devient le Graal des cyclotouristes, le cyclisme muletier.

L’auteur présente une autre figure du cyclotourisme Georges Grillo, pour sa traversée de la France de Brest à Menton. Des « exploits » relatés dans la presse spécialisée.

Les femmes ne sont pas en reste, comme Germaine Boniface et Andrée Lescot qui témoignant en 1924 même si la pratique du vélo est entravée par les longues jupes et considérée par certains comme dangereuse pour les femmes qui y trouveraient un plaisir sexuel coupable !

Lily Sergueiew témoigne de sa passion : « L’appel de la route » exerce sur moi son attrait irrésistible. Partir !

Aller devant soi, au hasard de sa fantaisie et des routes ! Connaître la liberté des nomades : camper, dormir sous la tente, et se lever avec le soleil ! L’idée prend de plus en plus racine dans ma tête : faire un tour d’Europe – d’une partie de l’Europe – à bicyclette […]. »Cité p. 160.

Elle publie le récit de ses voyages : Routes, Risques, Rencontres, Paris – Alep, 6 000 kilomètres à bicyclette (ed. J. Susse, 1943). Entre les deux guerres, la bicyclette est devenue un moyen d’émancipation féminine.

Du guidon et des plumes

Ce chapitre est consacré à la littérature cycliste. Dès le XIXe siècle les récits des aventures vélocipédiques se multiplient dans une presse spécialisée : Le Vélocipède Illustré (1869), Le Sport Vélocipédique (1880), ou Cyclo-Camping International. Ces revues présentent des tests de matériels, des conseils pour la pratique et des récits des randonnées. Pour les voyages à longue distance, ce sont des livres qui sont publiés comme Around the world on a bicycle (1887-1888) de Thomas Stevens ou De Montélimar à Constantinople par mer et retour à bicyclette (1894), du lieutenant Louis-Victor Guyot. Véritables guides évoquant les efforts de la route, mais surtout les haltes possibles, auberges. L’approche sensible des paysages traversés n’est pas oubliée. Zola lui-même rapporte son goût du vélo dans le journal du TCF. Maurice Leblanc est le plus célèbre des cyclistes romanciers. L’auteur traque la bicyclette dans les écrits du premier XXe siècle. Il reprend, aussi, l’expérience de François Cavanna sur les routes de l’exode et les escapades à vélo de Sartre et Beauvoir

Le voyage au temps de l’automobile

Après 1945, il faut partager la route avec celle qui gagne du terrain, l’automobile. Dès le début du siècle, la cohabitation a rendu nécessaire quelques règles : le code de la route date de 1909. La solution pour les amoureux du vélo consiste à privilégier les routes secondaires, solution déjà évoquée en 1910 par Abel Ballif. Malgré le mécontentement des cyclistes qui se sentent rejetés, les premières pistes cyclables voient le jour (à la fin des années 1930,1 200 kilomètres). Le cyclotouriste devient même le premier défenseur de la lenteur et du respect de la nature face à la vitesse incarnée par la voiture. L’auteur décrit la bicyclette de voyage des années 1950, un compromis de robustesse et de légèreté. Pourtant, le cyclotourisme décline alors même que la randonnée pédestre a de plus en plus d’adeptes. La crise pétrolière de 1973 rappelle l’intérêt de ce mode de déplacement doux. Georges KrassovskyIl entreprend en 1978 un voyage de Paris à Varsovie se fait le porte-parole d’une nouvelle génération de voyageurs à vélo.

La naissance de l’association Mouvement de Défense de la Bicyclette est la marque de cette évolution : La Fédération française de cyclotourisme connaît une forte augmentation de ses licenciés entre 1971 et 1982. Les récits de voyages à vélo se multiplient : Pierre Roques, Du soleil dans mes rayons, Gallimard, 1976Des voyages au long court comme ce voyage en famille de Chambéry au Sénégal : Dans la roue du petit prince, Yannick Billard, Transboréal, 2021. De nouvelles routes cyclables reprennent les voies ferroviaires désaffectées : les voies vertes La « Véloroute de la Mer du Nord », est ouverte en 2001. Les 900 kilomètres de la Loire à vélo, a été empruntée en 2015 par 935 000 cyclistes..

Un paragraphe est consacré à une nouvelle pratique : le VTT.

L’ADEME, dans une enquête de 2020, montrait un « bouleversement de la pratique du vélo » dans les années 2010, notamment par la pratique du cycle en ville, une solution pour décarboner l’économie à horizon 2050 ?

Cartographie des voyages extraordinaires

Une série de cartes viennent illustrer les voyages depuis celui d’Aimé et René Olivier, Georges de la Bouglise, de Paris à Avignon en 1865, le premier tour du monde de Thomas Stevens, de San Francisco à Yokohama, environ 22 000 km parcourus à vélo, de 1884 à 1886…

 

Des idées pour de prochaines vacances à vélo !