Sous ce nouveau titre, la réédition des Mémoires de Mme de Motteville pour la période de la Fronde met à la disposition d’un large public un témoignage vivant et bien informé des troubles politiques français du milieu du 17e siècle.
Par Alain Hugon, maître de conférences en histoire moderne à l’Université de Caen

Françoise Bertaut (1621-1689) fut le précieux témoin de la vie quotidienne d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, mère de Louis XIV et régente de 1643 jusqu’à la majorité royale du 5 septembre 1651. Fille de Pierre Bertaut, gentilhomme ordinaire de la Chambre, et de Louise de Bessein de Mathonville, elle possède des ascendances espagnoles par sa grand-mère maternelle qui sont à l’origine de son introduction à la Cour. Enfant, elle écoute les conversations en espagnol de sa mère avec Anne d’Autriche, alors persécutée par le Cardinal de Richelieu. La conséquence en fut le renvoi de Mme Bertaut et de sa fille dans leur Normandie. Par la suite, à 18 ans, Françoise Bertaut épousa Nicolas Langlois, sieur de Motteville et 1er président de la Chambre des comptes de Rouen. Agé de 80 ans, ce dernier mourut en 1643, ce qui permit à Anne d’Autriche d’appeler auprès d’elle la jeune Mme de Motteville pour être sa femme de chambre jusqu’à sa mort en 1666.

L’intérêt de ce témoin paraît dès lors évident. Mme de Motteville côtoie quotidiennement la reine, recueille ses confidences et lui communique ses remarques. D’autre part, le contexte trouble de ces années justifie la publication de mémoires que rédigea la confidente de la reine. La guerre de Trente ans ne se termine qu’en 1648, la guerre franco-espagnole déclenchée en 1635 ne trouve sa conclusion qu’avec le traité des Pyrénées de 1659, et surtout la Fronde ajoute la guerre civile à la guerre étrangère. Ainsi que le note Mme de Motteville dans la préface de ses Mémoires, Anne d’Autriche eut à soutenir une guerre étrangère et deux guerres civiles (p.29), c’est-à-dire les guerres de la Fronde.

L’édition proposée ici sous le titre Chronique de la Fronde, constitue une partie seulement des Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche qu’écrivit Mme de Motteville, puisque la première partie, de 1643 à 1647, antérieure à la Fronde, se trouve exclue, comme les années postérieures à la conclusion de la Fronde. Toutefois, il ne s’agit pas non plus de l’intégralité des mémoires concernant les années 1648-1652, mais seulement d’extraits puisque l’éditeur a choisi de réaliser des coupes dans le texte original. Enfin, la répartition chronologique est inégale, puisque à peine 25 pages sont consacrées à l’année 1652, 110 à l’année 1651, 70 à 1650, 150 à 1649 et une centaine à l’année 1648 !

Outre le volume impressionnant des souvenirs de Mme de Motteville, leur importance apparaît rapidement à la lecture. Ils ont largement influencé les historiens par les schémas, les analyses et les portraits que présente Mme de Motteville. L’extraordinaire complexité des événements qui se succèdent au cours de la Fronde s’y manifeste clairement, et notre témoin avoue ne pas comprendre les enjeux des diverses luttes : « Dans ces temps si brouillés, il se passa une si grande confusion de négociations, qu’il faut nécessairement que j’en aie ignoré une grande partie. J’avais une continuelle assiduité auprès de la Reine, qui me faisait cet honneur de prendre quelque confiance en moi ; mais elle ne savait pas elle même les particularités des intrigues qui l’environnaient […] » (mars 1651 : p.400).

La qualité des portraits réalisés par Mme de Motteville explique en grande partie cette influence historique des Mémoires. Tout d’abord, il s’agit pour l’auteur d’un plaidoyer en faveur de sa maîtresse, la reine Anne d’Autriche, à laquelle elle a consacré sa vie ; la souveraine est forcément parée de qualités et d’attributs positifs par Mme de Motteville. Le sens de l’honneur, la franchise, la dévotion ou encore le courage sont exposés à plusieurs reprises par la confidente, même lorsque la situation est catastrophique pour la monarchie. Ainsi, en février 1651, à la suite de la comédie royale pour dissimuler une tentative de fuite de Paris alors que le duc d’Orléans, oncle du roi mineur, a fermé les portes de la capitale, la petite-fille de Charles Quint livre en riant à sa confidente « qu’au moins sa prison était belle et commode, puisqu’elle était chez elle, et dans une ville qu’elle avait assez aimée autrefois pour croire qu’elle ne pourrait jamais y être mal » (p.389). Pour autant, dans la préface, la mémorialiste critique la paresse de la souveraine mais elle contrebalance immédiatement ce jugement par l’énumération d’autres qualités (p.31). Si les portraits de la régente sont globalement très avantageux, ceux des protagonistes apparaissent plus contrastés. Mme de Motteville ne ménage pas Mazarin, qu’elle désigne très souvent par l’expression rapide de « le ministre ». A propos des événements d’août 1648, elle note : « On murmurait contre la Reine : elle était attaquée ouvertement ; on la haïssait à cause de celui dont elle soutenait la grandeur » (p.83) ; à propos des Barricades (26-28 août 1648) elle écrit « Il fallut qu’elle [Anne] en cherchât la guérison dans sa propre fermeté ; car le cardinal de Mazarin était si rempli de trouble et d’effroi qu’elle n’en recevait nul secours » p.101. Cette froideur à l’égard du Cardinal n’empêche pas notre témoin de lui reconnaître des qualités, lui donnant raison à plusieurs reprises (à l’automne 1648p.122, en 1651 p.379). Il se peut que la concurrence avec le Cardinal dans la proximité de la reine ait joué chez Mme de Motteville mais, plus sûrement, l’ingratitude du ministre est à l’origine de cette animosité, comme elle le relève elle même (p.484 de cette édition). D’autres portraits égrènent ces Mémoires. Gaston d’Orléans est un acteur central de ces années. Il trouve grâce aux yeux de la confidente, mais elle lui imprime ce trait velléitaire que les biographes ont souvent répété à satiété : « le Duc d’Orléans agissait comme un bon prince qui ne voulait pas faire de mal à la Reine, mais qui était fâché du siège de Paris, et qui ne voulait pas perdre les créatures qu’il avait dans le parlement » (février 1649 p.160 ou encore p.382). Ses jugements sur les autres aristocrates sont rarement aimables : « On accusait facilement le cardinal [Mazarin] d’en usurper pour lui une bonne partie ; mais sa modestie était encore renfermée dans des bornes étroites. Les deux princes [Orléans et Condé] en prenant beaucoup d’argent, l’empêchaient d’en user à sa fantaisie ; il n’était alors que le corsaire, et les princes étaient les grands voleurs qui ressemblaient à Alexandre » (p.40). Si le portrait du duc de Longueville est nuancé, celui de sa seconde épouse est terrible ; Mme de Motteville, et beaucoup d’auteurs après elle, lui attribue une lourde responsabilité dans le malheur du temps : « les desseins déréglés de madame de Longueville étaient la véritable source de tant de maux » (p.414). Bien d’autres descriptions restent à évoquer pour rendre compte de la richesse de ces Mémoires. On doit noter dans cette galerie de portrait, la belle relation de la personnalité de Mme la Princesse, mère du prince de Condé, à l’occasion de sa mort (p.351 et suivantes).

Dans cette chronique, « le récit se débat dans le champ clos des grandes familles » note à juste titre l’éditeur (p.12). L’acteur principal – le peuple – reste pourtant caché ; le lecteur ne fait que le pressentir par ses vociférations et ses pillages ; il constitue l’arrière plan angoissant de la scène agitée sur laquelle les princes se meuvent car ce peuple, pour Mme de Motteville, est cette masse informe, tumultueuse, violente, tonitruante et dangereuse. Elle utilise abondamment les qualificatifs de coquins, de canailles ou de furie pour désigner ces Parisiens mécontents. Sa conception du pouvoir est proche de celle des dévots, et sa narration des événements se trouve ponctuée de maximes politiques et morales. Selon elle, « la France qui est accoutumée à cette belle et honorable servitude de nos souverains, regardait la puissance que le peuple voulait prendre dans Paris comme une grande maladie de l’Etat, et le parlement même en était surpris » (à propos des barricades des 26-28 août 1648 p.95). Outre l’insistance sur l’aspect épidémiologique de cette « maladie » que représente la contestation du pouvoir, Mme de Motteville est une partisane de la Monarchie absolue, et elle exprime une perception conspiratoire de l’histoire, affirmant par exemple que « les partis dans les Etats naissent d’ordinaire de quelque cause cachée que les passions des hommes produisent ; et souvent ces grands mouvements du monde, qui détruisent ou qui établissent les empires, n’ont point d’autre source que les intrigues secrètes de peu de personnes et sur des matières très légères » (p.108). Pour elle, l’impuissance des divers acteurs et la méconnaissance des mécanismes historiques dépassent les hommes : « Quand les sujets se révoltent, ils y sont poussés par des causes qu’ils ignorent ; et pour l’ordinaire, ce qu’ils demandent n’est pas ce qu’il faut pour les apaiser » (p.269). Bien sûr, la liaison avec le courant dévot explique le constat d’impuissance humaine. Mme de Motteville le précise dans ses Mémoires : elle est anti-machiavélienne et demeure très fortement attachée au courant catholique pacifiste qu’incarnaient les Marillac (p.409). Les mentions de pratiques de dévotion abondent dans son ouvrage, qu’elles émanent de la reine – si pieuse, de l’auteur, ou de leurs ennemis (comme lors de la procession de sortie de la châsse de Sainte Geneviève par les Parisiens en 1652 pour « chasser le Mazarin et avoir la paix » p.478).

Bien d’autres événements et réflexions seraient à noter, comme la belle description de la fuite de la reine en janvier 1649 (p.141-152), celle de l’arrestation des princes (pp.294-304)… La conscience des contemporains de vivre une période de trouble général se manifeste aussi par les multiples notations des bouleversements qu’entraînent la révolution anglaise, les guerres en Catalogne, en Italie ou en Flandres.

A l’image de la plupart des mémorialistes, Mme de Motteville rédige ici aussi son autobiographie, même si elle semble beaucoup plus modeste que celle du cardinal de Retz, son contemporain. Au détour d’une page, elle décrit sa situation dans Paris, pourchassée par le populaire en tant que « mazarine », ne devant sa survie qu’à la protection de la reine d’Angleterre, elle-même réfugiée à Paris… Outre l’affirmation de ses conceptions politiques et sociales, Mme de Motteville raconte sa vie par digressions successives et par touches indirectes. De cette façon, on apprend qu’elle dispose d’amitiés dans divers partis, même adverses de ceux de sa maîtresse ; le comte de Maure est son ami (p.195) comme « Arnauld, un grand confident du prince de Condé » (p.375). Cette diversité conforte la richesse de la documentation de Mme de Motteville.

A plus d’un titre, cette publication par le Mercure de France apparaît nécessaire. Vu l’intérêt de ces Mémoires, on ne peut dès lors que très vivement regretter l’absence d’un index correct puisque celui qui est présent ne fait que renvoyer aux notes de l’éditeur et non au texte de Mme de Motteville.
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