En 1995 paraissait une première édition du Dictionnaire de la vie politique, dirigée par Jean-François Sirinelli, professeur d’histoire à l’I.E.P. de Paris titulaire de la chaire d’histoire politique et culturelle, et directeur du Centre d’histoire de l’Europe du vingtième siècle. La présente version est aussi le résultat du travail d’une centaine d’auteurs (cent deux, exactement), parmi les meilleurs spécialistes comme on le verra avec les exemples de notices proposés dans ce compte rendu. La couverture indique qu’on a dans les mains un « dictionnaire de poche ». La mention est précieuse, car le poids et le bon millier de pages auraient pu en faire aisément douter. L’intérêt de cette nouvelle version ne se réduit évidemment pas à cette banale question de quantité.
_ Comme la précédente édition, la période couverte commence à l’après-Première Guerre mondiale. Ce choix ne relève pas d’un parti pris historiographique dans un débat qui n’est pas clos, mais plutôt de l’importance du conflit mondial qui aurait valu un volume à lui seul.
_ L’ouvrage a été réactualisé : « les textes […] ont été, dans la mesure du possible, prolongés jusqu’au 31 décembre 2002 ». On aurait eu mauvaise grâce à le vérifier systématiquement, mais la lecture de quelques notices suffit à s’en convaincre. Toutes celles des personnages politiques encore en fonction ont été complétées voire réécrites, y compris les sources bibliographiques qui ont servi à leurs auteurs. On en profitera pour constater qu’un bon nombre des meilleurs spécialistes de l’histoire politique, en particulier, mais aussi de l’histoire culturelle ont été sollicités. On le verra ci-dessous.
_ Mais le plus grand intérêt du Dictionnaire tient au souci d’intégrer les avancées de l’historiographie, souci que J.-F. Sirinelli tient pour un témoignage de la reviviscence de l’histoire politique, « relégitimée » aux yeux de la « corporation historienne » (voir son avant-propos). Il faut suivre la définition qu’il en donne pour le comprendre tout à fait. L’histoire politique « a pour objet […] la dévolution et de la répartition de l’autorité et du pouvoir dans une communauté donnée, l’étude des tensions, des antagonistes et des conflits en découlant et l’analyse des forces visibles ou souterraines, des idées explicitées et des sensibilités informulées qui affleurent à travers ces tensions et conflits ». On est loin des caractères qui ont contribué au rejet de l’histoire politique : celle-ci se conçoit désormais « comme une histoire à forte densité culturelle et anthropologique ». Les notices ont donc été construites en respectant ce souci, sans pour autant faire de ce dictionnaire un ouvrage épistémologique ; on y trouve d’ailleurs des fiches biographiques sur les acteurs de la vie politique et d’autres concernant des événements, qui sont autant de repères.Le Dictionnaire permet ainsi d’aller de l’ « Académie française » (C. Aubey-Berthelot) à « Jean Zay » (A. Prost), ce qui ne rend évidemment compte en rien de l’intérêt de l’ouvrage. Une lecture linéaire n’ayant ici guère de sens, le parti a été pris de se laisser guider à la façon de celui qui feuilletterait nonchalamment ce genre d’ouvrage, ce qui permettra d’en approcher la richesse mais aussi les limites._
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_Partons donc des notices biographiques. La quasi-totalité des dirigeants politiques et syndicaux actuels est présente, sauf quelques exceptions : on cherchera en vain la fiche sur M.-G. Buffet (bien que les changements à la tête du P.C.F. consécutifs aux élections présidentielles de 2002 soient passés), les Verts D. Voynet, N. Mamère ou même D. Cohn-Bendit, ou du jeune candidat de la L.C.R., O. Besancenot. On le regrette d’autant que des personnages a priori moins significatifs des seuls points de vue des derniers résultats électoraux et de l’influence politique (appréciation toute subjective) se voient consacrer un article, comme Bruno Mégret. Il faut y voir les conséquences inévitables de choix difficiles, mais pleinement assumés par J.-F. Sirinelli.
_ En remontant le temps, on trouvera logiquement les principaux acteurs politiques qui ont marqué le XXe siècle depuis 1918. C’est le cas des chefs de l’État, des présidents du Conseil, des Premiers Ministres, et des présidents des assemblées parlementaires : « Poincaré Raymond » (N. Roussellier), « Clemenceau Georges » (J.-C. Montant) ou « Briand Aristide » (J. Bariéty), mais aussi « Pétain Philippe (maréchal) » (J.-J. Becker), « Laval Pierre » (J. Vavasseur-Desperriers), « Debré Michel » (M. Cointet), « Barre Raymond » (H. Portelli), etc. On remarque quelques (trop rares) femmes comme « Veil Simone » (D. Zéraffa-Dray), « Aubry Martine » (Ph. Tétart), « Garaud Marie-France » (J.-P. Cointet), « Cresson Edith » (H. Portelli), qu’une notice sur les « Femmes et politique » (J. Mossuz-Lavau) s’efforce de compléter. Comme déjà dit plus haut, des personnages apparaissent de façon plus surprenante (comparativement à d’autres) si l’on considère la marque qu’ils laissent dans la vie politique française du XXe siècle malgré leurs responsabilités : « Delebarre Michel » (H. Portelli), mais aussi, pour remonter un peu plus loin dans le temps, « Castelnau Édouard de (général) » (J. Vavasseur-Desperriers), « Spinasse Charles » (E. Nadaud) ou même « De Lattre de Tassigny Jean de (maréchal) » (M. Vaïsse), alors que Raymond Aron n’est pas traité (ou seulement dans le cadre de ses relations avec Sartre).
_ Toutefois, et il s’agit d’une idée originale, il n’y a pas que des hommes (et des femmes) politiques. Quelques spécialistes de l’histoire politique figurent également dans le Dictionnaire : « Rémond René » (Jean-Noël Jeannenay), qui présente la particularité d’être le seul personnage à être sujet et auteur d’une notice, puisqu’on lui doit « Goguel François ». On a aussi un article sur « Siegfried André » (P. Favre) et « Thibaudet Albert » (R. Rémond), dont on connaît l’importance des contributions pour la connaissance de la IIIe République. Dans le même ordre d’esprit, on peut trouver la biographie de deux artistes impliqués en politique, comme « Aragon Louis » (M. Lazar) ou « Picasso Pablo » (M. Lazar). Autre personnage intéressant, mais comme objet de mémoire, le « Soldat inconnu » (J.-J. Becker).

La vie politique est aussi rythmée par des événements qui la marquent, par la violence comme la « Semaine des Barricades » (G. Pervillé), « Mai 1968 » (A. Monchablon) ou le « Six Février 1934 » (J.-P. Brunet), toujours par la passion, comme le « Congrès d’Épinay » (H. Portelli) ou le « Congrès de Tours » (M. Lazar). Elle l’est également par des actes particuliers comme l’ « Appel du 18 juin 1940 » (M. Cointet), les « Accords d’Évian » (C.-R. Ageron), les « Congés payés » (J.-P. Brunet), etc.
_ Certaines périodes ont bénéficié de notices particulières. C’est le cas de la Seconde Guerre mondiale avec « Vichy (régime de) » (H. Rousso), à compléter par « Vichy et les juifs (A. Kaspi), « Collaboration et collaborationnisme » (H. Rousso), « Milice » (J.-M. Guillon), « SOL » (J.-P. Cointet), d’une part, mais aussi « Résistance » (J.-F. Murraciole), « France libre » (M. Cointet), « CNR » (C. Andrieu) ou encore « Épuration » (H. Rousso).

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Au-delà de ces notices, la diversité et la richesse des thèmes abordés sont un élément qui séduit tout de suite le lecteur. Tout parcours dans le Dictionnaire empruntera alors les points de passage obligés que sont les articles « Droite » (que l’on doit bien évidemment à J.-F. Sirinelli, auteur d’une Histoire des Droites en France, Gallimard, 1992, 3 tomes), « Gauche » (Marc Sadoun) voire même « Deuxième Gauche » (idem) et « Nouvelles Gauches » (P. Tétart), avant d’arriver à « Centre, centrisme » (D. Zéffara-Dray), le tout pour avoir une vision générale sur le domaine politique. Il ne sera pas possible de se rendre aux confins de ce domaine, puisqu’il n’y a pas de fiche sur l’extrême gauche ou l’extrême droite. À défaut, celui qui voudra le faire passera par « Front national » (qu’on ne confondra pas avec l’organisation créée par le Parti communiste français à la Libération) de « Le Pen Jean-Marie » (notices de P. Perrineau). Pour l’extrême gauche, faute de notices consacrées à la L.C.R. ou à Lutte ouvrière, on sera bien inspiré d’aller voir à « Krivine Alain » (M. Lazar), « Laguiller Arlette » (idem), mais aussi à « Trotskysme » (idem) ou même à « Marxisme » (T. Judt).
_ On pourra alors se laisser dériver avec les courants idéologiques, et l’on parviendra alors à « Maoïsme » (A. Monchablon), « Libéralisme » (N. Roussellier), « Anarchisme » (A. Monchablon), « Gaullisme » (J.-P. Cointet), mais aussi des courants d’opinion moins structurés, comme « Antisémitisme » (A. Kaspi), « Antiparlementarisme » (D. Borne), « Anti-communisme » (J.-J. Becker) ou « Anti-américanisme » (P. Milza). L’anti-mondialisme (ou altermondialisme) attend probablement une prochaine réédition, mais pas la « Mondialisation » (J.-F. Eck). On n’oubliera pas les questions qui ont été ou font l’objet de grands débats : la « Question scolaire » (R. Vandenbussche) et « Laïcité » (A.-R. Michel), « Peine de mort et débat politique » (D. Vernier), « Nationalisations » (C. Andrieu) et bien sûr « Privatisations » (H. Bonin), « Immigration » (P. Weil), « Contraception et interruption volontaire de grossesse » (J. Mossuz-Lavau)…
_ Il sera alors grand temps de poursuivre le périple en accédant aux différentes formes d’associations politiques, voire syndicales (« F.O. », « C.G.T. », « C.F.D.T. », « C.F.T.C », « F.E.N. »…). Comme pour les principaux responsables actuels, la plupart des partis actuels figurent dans le Dictionnaire, mais pas tous : les Verts sont oubliés, et il faudra alors se replier sur un article « Écologistes » bien général. Il est de même pour des formations moins importantes : le M.N.R., le R.P.F. (celui de « Pasqua Charles », par J. Charlot et B. Lachaise), le M.P.F. de « Villiers Philippe de » (B. Lachaise) ; mais leurs responsables ont chacun une fiche. Mais on trouvera quelque chose sur des formations aujourd’hui moins connues : c’est le cas des chrétiens-démocrates du parti démocrate-populaire (1924-1944) ou « P.D.P. » (J.-C. Delbreil), de la Convention des institutions républicaines (« C.I.R. » – E. Duhamel) qui a été l’une des étapes du rassemblement des gauches non-communistes autour de Fr. Mitterrand (1964-1971)… Les alliances politiques, plus ou moins éphémères, ne sont pas pour autant oubliées : le « Cartel des gauches » (J.-P. Brunet), l’ « Alliance républicaine et démocratique » des droites (R. Sanson), la « F.G.D.S. » (E. Duhamel). Il en est de même pour les cercles de réflexion, comme le « Club Jean-Moulin » (C. Andrieu), la « Franc-Maçonnerie » (J.-P. Brunet). Des associations ayant un rôle ou une influence politiques parfois non négligeables peuvent être rencontrées : la « Ligue des Droits de l’Homme » (J. El Gammal), l’ « Union des étudiants communistes » (S. Curinier)…
_ Des auteurs se sont intéressés au fonctionnement des partis : « Propagande politique » (C. Delporte), « Financement des partis politiques » (M. Riglet), « Groupes de pression et politique » (G. Le Béguec), et surtout la notice sur les « Rites et rituels politiques » (S. Berstein). Il en est de même des relations qu’entretiennent des fractions de la société avec la politique : les « Jeunes et politique » (A. Muxel), les « Anciens combattants (A. Prost), les « Classes moyennes et politique » (N. Mayer), les « Protestants » (A. Encrevé) ou les « Paysans » (B. Hervieu). Les institutions sont également traitées, d’abord au travers des principes, avec le « Président du Conseil (IIIe et IVe République) » (J.-M. Guislin), le « Premier ministre (Ve République) » (J. Gicquel), le « Président de la République (IIIe, IVe et Ve République) » (idem), ou encore des « Cabinets ministériels » (N. Carré de Malberg). Elles le sont encore dans les pratiques, que ce soit les référendums et chacune des élections présidentielles de la Ve République, ou encore la « Cohabitation » (P. Avril et J. Gicquel).

Les vecteurs de la politique ne sont pas oubliés, à commencer par les grands journaux d’opinion : « L’Humanité » (S. Courtois), « Je suis partout » (J.-M. Guillon), « France-Observateur » (P. Tétart), « Le Monde » (B. Rémond)… Sur la radio et la télévision, il faudra se reporter à « Audiovisuel et politique (jusqu’en 1958) » (H. Eck) à compléter par « Audiovisuel et politique (sous la Ve République) » (A. Chauveau).

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On n’insistera jamais assez sur la qualité des renseignements offerts, résultat du travail de spécialistes dûment reconnus. En tout cas, ce trop rapide parcours doit pouvoir bien montrer l’intérêt pour les enseignants à avoir ce Dictionnaire sous la main, qui satisfait toutes les intentions affichées par J.-F. Sirinelli dans l’avant-propos. À ce titre, il constitue indéniablement un précieux instrument de travail et de référence que l’on conseillera volontiers aux élèves ou à « l’honnête homme », auxquels il s’adresse aussi. La consultation en est d’ailleurs très aisée. Un index des notices est présenté dans les premières pages ; chaque fiche se termine par des corrélats permettant d’aller de l’une à l’autre en élargissant progressivement son champ d’investigation ; enfin, dans la mesure du possible, chacune est accompagnée de sources bibliographiques. Les étudiants, et notamment ceux qui préparent les concours, trouveront rapidement et facilement de quoi faire l’état des connaissances sur une question donnée, même si on peut regretter l’absence d’un index (pour les noms et les thèmes) qui aurait permis de compléter encore mieux les corrélats. Il ne reste plus qu’à espérer qu’un CD-Rom soit envisagé.