L’an dernier, Yves Rouvière avait interrompu ses travaux consacrés à sa saga intitulée L’Espagnol de Malte pour rédiger un ouvrage dédié à la mort de Samuel Paty que nous vous avions présenté dans la Cliothèque. C’est donc en toute logique qu’après cette parenthèse littéraire salutaire et oh combien précieuse, il a repris son œuvre principale et s’apprête à publier le tome trois de son histoire ayant pour héros central Alonso de Contreras, publication qui devrait coïncider avec les Rendez-vous de l’histoire de Blois dont le thème cette année est, justement, celui de la mer.
Alonso de Contreras est né à Madrid le 6 janvier 1582. En 1645, les historiens perdent sa trace. Militaire, corsaire et écrivain espagnol, il laissa derrière lui l’une des rares œuvres, avec celle de del Castillo, permettant d’appréhender l’histoire des soldats espagnols de l’armée des Habsburg. Ses écrits, relatant sa vie et ses activités sont aujourd’hui conservées aux archives générales de Simancas et à la Bibliothèque nationale de Madrid. L’Espagnol de Malte est une saga historique directement inspirée des écrits et de ses mémoires intitulées Discurso de mi vida rédigées en 1633 et conservées à la Bibliothèque nationale de Madrid. Nous sommes alors à l’époque du Siècle d’or, période correspondant à l’apogée de l’empire espagnol. Si le premier tome « le secret des corsaires de Salé » publié en 2013 s’étendait sur la période 1582–1625 en prenant pour cadre géopolitique le conflit hispano-turc pour le contrôle de la Méditerranée, le second « le galion de Manille » publié en 2017 suit les aventures d’Alonso, de 1626 à 1654 et retrace les routes de l’argent ayant pour point de départ les mines d’argent de Potosi (actuelle Bolivie) et pour arrivées Manille pour la première route, et Séville en passant par Panama et Cartajena de Indias pour la seconde. Le tome trois devrait prendre pour cadre le ghetto de Manille qui a vu émerger le premier « Chinatown » au sens moderne du terme et la guerre de Quatre-Vingts Ans [1568-1648] ayant opposé la Couronne d’Espagne à une partie des Dix-Sept Provinces des Pays-Bas espagnols.
Yves Rouvière n’est pas le premierJean-Paul Le Flem, « La violence et la mort chez un aventurier espagnol. Le capitaine Alonso de Contreras et “sus vivencias », dans : La Vie, la mort, la foi. Mélanges offerts à Pierre Chaunu, , p. 331-338 à s’intéresser à ce personnage sur lequel il fait un point historique à la fin du tome 1, mais il est certainement celui qui a cherché à fouiller le plus ce personnage de l’Histoire devenu maître dans la guerre de course sous le surnom, justement, de « l’Espagnol de Malte ». Le récit proposé par Yves Rouvière reste relativement fidèle au personnage en lui-même et au contenu de ses écrits (tout en prenant de la distance avec ses écrits, certains passages posant question sur le plan historique) qui abordent tous les thèmes de la vie du corsaire mais l’auteur parvient à exploiter aussi les angles morts et les inconnues de la vie de cet homme hautement romanesque peu connu du grand public français, et tente ainsi, en rédigeant à la première personne, de proposer un personnage intime dans une époque qui est celle des débuts de la mondialisation. Rien n’est occulté de l’époque, pas même le racisme d’alors comme en témoigne la réflexion de Guillermo à l’égard de Victor (page 494). Le récit est dense, et permet de s’immerger et offre une immersion dans une époque, des lieux géographiques, des pratiques sociales et culturelles en Amérique latine nous emmenant du Rio de la Plata à Cuba en passant par Rome.
Les deux tomes sont agrémentés d’un certain nombre de documents non négligeables et appréciables qui rendent encore plus proches la réalité historique dont s’inspire ces deux premiers tomes. Notons par exemple la présence d’un très beau portrait d’ Honoré de Quiqueran de Beaujeu en tenue de prieur qui accompagne l’ouverture du tome 2, mais aussi des photos des lieux évoqués dans le récit, des cartes, tableau et gravures d’époque qui accompagnent judicieusement le récit et l’imaginaire du lecteur. Une chronologie, des notes concernant les circuits de l’argent aux cycles d’or, ainsi qu’une bibliographie présentant quelques ouvrages consacrés à l’empire espagnol en Méditerranée et à la Méditerranée américaine ainsi que sur les Andes. La deuxième partie s’ouvre sur un poème de Francisco de Quevedo la confession interminable et une interrogation où l’auteur et son héros pose la question du pourquoi de cette manie d’écrire le récit de [sa] vie (page 89). Bien entendu, il s’agit là de ne pas vous présenter en détail l’histoire et ses rebondissements, amis lecteurs, je vous laisse la découvrir (pas de spoil donc !). Cet ensemble témoigne de l’important travail documentaire réalisé par Yves Rouvière depuis vingt ans qui mêle ainsi réalisme et réalité historique au roman d’aventures et à la fiction à moins que ce soit cette dernière qui soit dépassée par l’Histoire. Il est d’ailleurs assez étonnant que le cinéma d’aventures ne soit pas encore emparé de ce personnage historique exception faite d’un film espagnol tourné en 1955 et réalisé par Rafael Gil.
Assurément, ce roman offre de beaux moments de lecture surtout en cette période estivale qui s’ouvre, mes exemplaires faisant déjà l’objet d’une tentative OPA de la part de quelques personnes de mon entourage…
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Yves Rouvière L’Espagnol de Malte, tome 1 le secret des corsaires de Salé, Cap Bear éditions, 2018 pour la seconde édition, 523 pages, 23 euros
Yves Rouvière L’Espagnol de Malte, tome 2 le Galion de Manille, Cap Bear éditions, 2017, 593 pages, 25 euros