Alba est une jeune femme d’une tribu préhistorique vivant au bord des calanques. Ce volume s’inscrit dans la série Chronique des Calanques, qui explore différentes époques et figures marseillaises, toujours dans une volonté de transmission du patrimoine culturel et naturel. La BD s’adresse autant aux amateurs d’Histoire qu’aux lecteurs en quête de récits initiatiques forts.

Joël Polomski, auteur et dessinateur lotois, développe depuis plusieurs années un projet artistique et patrimonial autour des Calanques de Marseille, mêlant l’Histoire, le mythe et la nature. Dans La Dernière Femme, il imagine un récit ancré à la Préhistoire, centré sur une héroïne en rupture avec les normes de son temps.

Un récit d’émancipation au temps de la Préhistoire

Alba est une jeune femme d’une tribu préhistorique vivant au bord des calanques. Rebelle, vive, passionnée, elle ne vit que pour la chasse. Cette activité, symbole de force et de prestige, lui procure un sentiment d’existence et d’égalité avec les hommes de sa communauté. Mais le jour où elle « devient femme » selon les règles du clan, elle apprend brutalement qu’elle devra abandonner cette passion, jugée incompatible avec son nouveau statut.

Refusant cet avenir imposé et profondément injuste, Alba se révolte. Elle décide de ne pas se soumettre et quitte le campement, entamant une quête personnelle, existentielle et spirituelle. Cette fuite devient une errance : elle affronte les éléments, la solitude, mais aussi les créatures sauvages de la nature. Poussée par son instinct de liberté, Alba finit par s’enfoncer dans une grotte sombre, mystérieuse et inondée — une grotte sanctuaire, presque sacrée.

Ce lieu, entre réalité tangible et monde symbolique, semble contenir les traces d’un passé oublié. Des peintures rupestres, des fossiles, des ombres… Alba y découvre les vestiges d’un autre temps, peut-être d’une autre manière d’être femme. Cette immersion dans les profondeurs de la Terre-Mère lui permet d’accéder à une forme de mémoire universelle. Elle comprend qu’avant l’ordre établi par sa tribu, d’autres femmes ont existé, libres, puissantes, respectées.

Ce récit d’émancipation prend alors une dimension mythique. Alba renaît de cette plongée intérieure, métaphorique autant que physique. Fortifiée par cette découverte, elle revient transformée, prête à se réapproprier son destin dans un monde encore hostile mais désormais porteur d’espoir.

Une BD qui interroge la place des femmes dans l’imaginaire collectif et les débuts de l’humanité

La Dernière Femme s’inscrit dans une tradition de récits initiatiques mettant en scène des figures féminines en rupture avec les normes sociales. En situant son intrigue à la Préhistoire, Joël Polomski interroge la place de la femme dans les sociétés premières, mais aussi dans l’imaginaire collectif.
Le personnage d’Alba cristallise une révolte fondatrice : celle de l’individu face à l’ordre établi. Sa trajectoire évoque à la fois un mythe de la caverne inversé — où la lumière se trouve dans les ténèbres du passé — et un parcours d’émancipation féministe. La grotte devient un lieu de révélation et de connaissance, presque utérin, où la femme retrouve les traces d’une puissance ancestrale, oubliée ou refoulée par le patriarcat tribal.

Sur le plan anthropologique, la BD évite les clichés d’un passé figé : elle fait le pari de représenter la préhistoire comme un espace de tensions culturelles, de conflits sociaux, et non comme un âge d’or ou un monde brutal sans conscience. Le récit ne prétend pas à la véracité scientifique, mais ouvre à une réflexion sur la construction des rôles genrés et sur la possibilité de leur subversion dès les âges les plus anciens.

Par ailleurs, l’usage de la nature comme miroir des états intérieurs est très réussi. Les Calanques, leurs falaises abruptes, leurs grottes profondes et leur silence chargé, deviennent un véritable personnage à part entière, écho du combat d’Alba pour exister autrement.

Des graphismes qui renforcent l’intensité du récit

Le style de Joël Polomski se distingue par une approche picturale, presque minérale. Les paysages des Calanques sont rendus avec une grande délicatesse, dans des tons ocres, bleutés et bruns qui rappellent la roche, l’eau et la terre. Le dessin alterne entre des pleines pages contemplatives et des séquences plus dynamiques, centrées sur l’action ou le ressenti du personnage principal.

Les visages sont stylisés, avec des traits simples mais expressifs, renforçant l’universalité du propos. La grotte, cœur du récit, donne lieu à des planches remarquables où l’obscurité, la lumière et les formes peintes se répondent dans un jeu de textures presque tactile. Polomski fait ici un usage narratif du silence, du vide et de la lumière, qui confère à la BD une dimension presque spirituelle.
Le texte est sobre, souvent réduit au minimum, laissant la part belle à l’image. Ce choix renforce l’intensité émotionnelle et le pouvoir de suggestion de certaines scènes, notamment la plongée dans la grotte et la découverte des peintures.

Conclusion

Chronique des Calanques – La Dernière Femme est bien plus qu’un récit préhistorique : c’est une parabole puissante sur la quête d’identité, la mémoire des femmes et la capacité de l’individu à transformer son destin. À travers Alba, Joël Polomski propose une lecture alternative et sensible de la Préhistoire, en posant une question essentielle : et si, dès les origines, certaines voix avaient voulu dire « non » ?

Cette œuvre se prête à une exploitation pédagogique intéressante : en Histoire pour évoquer les représentations de la préhistoire dans la fiction ainsi qu’en EMC pour réfléchir à la place des femmes dans les sociétés passées et présentes.