Un royaume hors des conflits.
La Norvège a échappé à la Première Guerre mondiale, et le royaume espère bien rester en dehors de la Deuxième. Il faut dire qu’il ne représente pas une force militaire digne d’intérêt pour les belligérants. Son armée ne comprend que quelques divisions mal équipées et pas mécanisées. Sa force aérienne est des plus réduite. Sa marine ne comprend pas d’unités modernes.
Le pays représente cependant un intérêt stratégique certain de par sa position géographique. Pour les Allemands, la conquête du pays fournirait aux sous-marins des bases pour attaquer les convois alliés dans l’Atlantique nord. Pour les Alliés, son contrôle rendrait possible des opérations en Baltique. Les deux camps ont également à l’esprit les nombreux flux de minerai de fer suédois qui transitent par ses ports, en particulier en hiver lorsque la Baltique est gelée. Pour Churchill, alors Premier Lord de l’Amirauté, il y a là matière à lancer des opérations militaires pour priver l’Allemagne de cet approvisionnement vital.
Mais c’est la guerre d‘hiver russo-finlandaise qui va braquer les projecteurs des Alliés sur la Norvège. Critiqués pour leur inaction, les dirigeants politiques français vont s’intéresser à leur tour à ce théâtre d’opérations, rejoignant ainsi les préoccupations de Churchill.
Une campagne préparée par des amateurs…
On est dès lors frappé par la débauche d’imagination à laquelle se livrent les états-majors alliés. Des plans sont échafaudés pour intervenir en Norvège, passer en Suède, aider les Finlandais etc… Le tout se fait sans même consulter les principaux intéressés (Norvégiens ou Suédois, on ne discute que vaguement avec les Finlandais. On leur fait des promesses vagues et intenables car en réalité on n’est pas en mesure de leur fournir une aide concrète. De plus les débats font rage au sein du cabinet britannique sur l’opportunité d’une telle intervention. Au gré des évolutions politiques et militaires, on fait et refait des plans, le plus souvent avec des troupes qui n’existent encore que sur le papier… On finit par se mettre d’accord sur des opérations de mouillage de mines dans les eaux norvégiennes et un débarquement à Narvik début avril.
Côté allemand, une intervention en Norvège n’était pas envisagée initialement. Ce n’est qu’en janvier 1940, que la décision est prise de préparer une éventuelle invasion de la Norvège. L’affaire de l’Altmark change la donne et, en février 1940, Hitler programme l’invasion de la Norvège. Celle-ci doit être combinée avec l’occupation du Danemark et doit permettre d’obtenir la collaboration des autorités norvégiennes, la date est fixée au 9 avril. Les plans de l’opération sont rapidement élaborés à partir du peu de renseignements (et de cartes…) dont les Allemands disposent. Il s’agit pourtant d’une opération complexe faisant intervenir des troupes aéroportées et des débarquements en force dans les principaux ports norvégiens.
Les fuites dans la presse alliée font prendre conscience aux Norvégiens de la possibilité d’une intervention britannique mais masquent paradoxalement le risque d’une intervention allemande… Devant les menaces, un ordre de mobilisation est bien lancé, mais alors que les politiques croyaient déclencher une mobilisation immédiate, Ils n’ont en fait déclenché qu’une mobilisation par courrier avec délai de 48h…
Une situation initiale confuse.
La campagne proprement dite ne tourne cependant pas comme les Allemands l’espéraient. Si les troupes aéroportées n’ont pas de mal à prendre rapidement leurs objectifs. La marine allemande a plus de difficultés. L’escadre destinée à Narvik arrive à échapper à la Royal Navy et à débarquer ses troupes. Mais c’est pour se retrouver bloquée au fond du fjord où elle est rapidement anéantie par les Britanniques. Les soldats allemands débarqués sont désormais isolés. Ailleurs les débarquements se passent sans encore sauf à Oslo où le croiseur qui transport l’état-major allemand est coulé, ce qui désorganise les troupes et permet au gouvernement et au roi de s’échapper. Un vide dont profite alors Quisling pour se faire reconnaître chef du gouvernement par les occupants.
Si les Norvégiens ont été surpris par l’assaut allemand. Leurs dirigeants décident d’évacuer la capitale. On a alors le récit d’un départ vers le Nord qui n’empêche pas la poursuite de débats entre les différents ministres et entre le gouvernement et le roi. L’assemblée se prononce une dernière fois en faveur de la lutte pour la souveraineté du pays. Quant à la population, elle tente d’échapper aux bombardements. Et lorsqu’un ministre à la radio parle de mobilisation, les Norvégiens se rendent spontanément aux centres mobilisateurs où rien n’est prêt pour les accueillir. C’est donc avec les moyens du bord qu’ils vont freiner les colonnes allemandes.
Chez les Alliés la surprise est totale, on dispose de peu d’informations et encore moins de plans pour réagir à cette situation que nul n’avait envisagé. D’âpres discussions entre Français et Anglais aboutissent à un début d’accord sur la priorité à donner à une intervention à Narvik, couplée à des débarquements à proximité de Trondheim. Cependant, les ordres donnés à l’amiral commandant la flotte destinée à intervenir, et au général commandant les troupes destinées à débarquer, diffèrent. Et aucune concertation n’est prévue entre les deux.
La nouvelle de la destruction de la petite escadre allemande de Narvik amène les alliés à détourner de Narvik une partie des forces destinées à y débarquer. Dans la confusion la plus complète, une brigade se voit assigner comme destination un port près de Trondheim, mais une partie de ses équipements et son chef restent sur les navires qui vont à Narvik….
Des combats acharnés.
Tout au long de la campagne la confusion va régner côté allié. Il n’y a pas de vrai plan si ce n’est l’idée de prendre Narvik, mais sans véritable accord entre militaires et marins sur les moyens pour y arriver. Divergences également entre Français et Anglais sur la meilleure stratégie à adopter, on n’hésite pas à jouer un double-jeu.
Un débarquement non loin de Narvik a finalement lieu. On a aussi débarqué à proximité de Trondheim, mais avec des troupes peu entraînées, sans matériel, en particulier de transport ou antiaérien. Et des troupes trop peu nombreuses sans véritable objectif défini : prendre Trondheim, bloquer les troupes allemandes qui montent d’Oslo… ?
Les Norvégiens eux, résistent avec leurs moyens, bien aidés par le terrain accidenté. Mais alors qu’ils espèrent une aide rapide et massive des alliés, ceux-ci ne les tiennent pas au courant de leurs intentions. On ne semble pas faire confiance aux Norvégiens. On coopère cependant localement face aux Allemands.
Français, Anglais et Norvégiens se battent avec leurs moyens contre un ennemi bien soutenu par son aviation. En Allemagne la perspective de la capture des forces du général Dietl qui ont pris Narvik a même provoqué un début de panique chez Hitler. Mais si Narvik tombe bien le 28 mai , ailleurs les alliés ont déjà ordonné le repli depuis la mi-avril.
Un repli qui ne peut que s’accélérer au vu de la situation politique : en Grande-Bretagne l’affaire de Norvège provoque la chute de Chamberlain. Churchill lui succède, c’est un partisan d’une action déterminée en Norvège. Mais il se heurte à une réalité, l’offensive allemande à l’ouest du 10 mai 1940. Et la prise de Narvik n’avait plus pour objectif que la destruction des installations portuaires. C’est certes une victoire alliée, Français, Britanniques Norvégiens et même Polonais ont repoussé les troupes allemandes vers la frontière suédoise. Mais une victoire trop tardive au vu de la situation en Norvège et en France, les troupes doivent rembarquer. La campagne de Norvège prend piteusement fin le 9 juin, le corps expéditionnaire est rapatrié de Narvik sans encombre. On évacue aussi Ie roi et le gouvernement norvégien bien décidés à poursuivre la lutte.
Le bilan de la campagne est cependant plus nuancé, la marine allemande a subi en Norvège des pertes qui vont rendre sa flotte de surface incapable d’accomplir toute action importante durant le reste du conflit. De plus, Hitler va accorder une importance démesurée à la Norvège où il maintient des forces d’occupations très importantes tout au long de la guerre, forces qui auraient pu être plus utiles ailleurs. Du côté allié on va bénéficier du renfort de l’importante marine marchande norvégienne, et surtout, on prend conscience de la nécessité d’une refonte de la structure de commandement.
En conclusion
C’est avec un ouvrage bien écrit que François Kersaudy nous fait découvrir cette campagne peu connue. Il nous livre un récit de la campagne militaire proprement dite, mais aussi de ses nombreux à-côtés politiques. Qu’il s’agisse des discussions au sein des gouvernements britanniques ou norvégiens, ou bien entre alliés. On est frappé par l’amateurisme et la confusion qui règne, mais également par la détermination dont savent finalement faire preuve les principaux acteurs. De plus, et cela mérite d’être mis en valeur, l’ouvrage comprend des cartes précises qui permettent de bien comprendre les enjeux et le déroulement des opérations.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau