Pierre Brana et Joëlle Dusseau dans cet ouvrage de synthèse se penchent sur l’engagement des femmes auprès du gouvernement de Vichy et de l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Leur livre qui permet de mesurer les différences de degrés et la variété d’actes que des Françaises ont pu accomplir durant cette période. Si l’histoire a retenu des noms d’actrices et de célébrités, le visage des tondues à la Libération, force est de constater que derrière elles des milliers d’anonymes pour des motifs les plus divers ont aussi participé activement à la collaboration.

Dans l’introduction, le titre du livre est explicité en renvoyant au terme de collaboration employé par Pierre Laval dès le 10 juillet 1940 qui avec sa nouvelle acception lui donne le sens qui va être le sien depuis cette date et que reprend le maréchal Pétain ensuite. Le mot de collaborateur est utilisé par la France Libre et désigne tous ceux qui participent ou approuvent la victoire de l’ennemi. Le mot collaborationniste figure dans un éditorial de Oeuvre signé Marcel Déat le 4 novembre 1940 : deux mots masculins qu’il convient de décliner au féminin. Le travail des deux auteurs s’appuie sur de nombreux travaux de recherche dont celui que Dominique Lormier a consacré au fichier des 100 000 collabos, déclassifié en 2015 et qui rend libre d’accès la liste de 96 492 noms sur 2 106 pages (en 2 volumes). Sous contrôle du chef du contre-espionnage français le colonel Paillole, il est établi par ordre alphabétique de manière plus ou moins précise selon les individus inscrits en raison d’un ou plusieurs types de collaboration, de  » suspect  » à  » PPF  » mais aussi  » SS  » et  » 93 rue Lauriston « . 15% des prénoms ou des appellations sont féminins, une vaste réalité, mais sûrement minorée au lendemain de la guerre.

Femmes singulières

La première partie de Collaboratrices est consacrée aux actrices, mondaines, originales ou épouses de … elles sont celles dont l’histoire a retenu le nom. Force est de constater que mariée ou amante d’un grand collaborateur conduit à épouser la cause de la collaboration avec parfois beaucoup d’empressement.

La figure vieillissante du maréchal Pétain, amateur de femmes, amène autour de lui un aréopage féminin dans lequel sa propre épouse occupe peu de place. Jacques Doriot et Marcel Déat peuvent, eux, compter sur un appui sans faille de leurs femmes respectives. La fuite des collaborateurs à partir d’août 1944 se fait en famille : femmes et enfants et parfois même maîtresses direction Baden-Baden puis Sigmaringen. Elles sont alors arrêtées avec leurs maris. Jugées, emprisonnées, certaines ont pu bénéficier de non-lieux ou échapper même à toute poursuite. La figure emblématique de Josée de Chambrun domine le chapitre consacré aux filles de : Josette Laval va rester jusqu’à sa mort la fille de Pierre Laval qu’elle va accompagner dans toutes les phases de sa collaboration avec l’ennemi et même au-delà, oeuvrant pour la réhabilitation de son père et célébrant tous les ans lors d’un goûter d’anniversaire le 15 octobre, l’exécution de son père avec des amis fidèles. Au-delà des relations familiales, maitresses, égéries, salonnières affichent leur collaboration. Ces dernières continuent à déployer leur sociabilité mondaine, intellectuelle et artistique dans un Paris occupé dont elles sont parfois les reines accueillant à leur table des Allemands très fréquentables pour l’époque… comme le fait Florence Grould alors que Suzanne Abetz rapproche de son mari des élites françaises collaboratrices. Le cinéma est objet d’attention de la part de l’occupant et la Continental Film va permettre de continuer à produire des films pendant l’occupation, le voyage à Berlin du 18 au 31 mars 1942 du monde du cinéma français emmène des actrices – aucune femme n’a participé à ceux des écrivains, des peintres et sculpteurs – : Danielle Darrieux et Suzie Delair rattachée à la Continental. Arletty, Colette, Coco Chanel et quelques autres ferment cette première partie : femmes singulières que l’histoire et le public ont retenues mais qui figurent en très faible nombre dans le fichier des 100 000 collabos bien que parfois jugées, parfois emprisonnées.

De quelques-unes à des milliers

La seconde partie justement intitulée pousse la porte de la collaboration du quotidien, de la délation à l’engagement idéologique, de l’espionnage à l’activisme des  » femmes d’Otto  » et de la Carlingue. Ayant vécu pour certaines d’entre elles l’absence des hommes partis au front entre 1914 et 1918, la liberté des Années Folles, elles nouent des relations (amoureuses ou sexuelles parfois) avec l’ennemi et en paieront le prix à la Libération.

C’est dans le quotidien du travail que se met en place une collaboration active : amenées à remplacer les hommes dans un contexte économique particulièrement difficile, elles exercent en nombre des métiers subalternes au service de l’ennemi. Certaines vont même s’engager dans le travail volontaire en Allemagne dont le nombre est difficile à estimer (entre 40 000 et 80 000 femmes) mais la grande majorité occupe des emplois dans les entreprises et les administrations en France. L’adhésion aux partis et mouvements politiques, les propos collaborationnistes tenus sur le temps de travail, une attitude relevant de la servilité à l’égard du régime et une inconduite scandaleuse seront retenues contre les fonctionnaires dans le cadre de l’épuration à la fin de la guerre. Les femmes sont les plus lourdement sanctionnées. Les femmes tondues à la Libération sont celles qui en couchant avec l’ennemi ont trahi la patrie parfois punie de mort pendant l’épuration sauvage. Souvent jeunes, de profession modeste, parfois épouse d’un homme prisonnier en Allemagne, les femmes sont en très grand nombre arrêtées à la fin de la guerre, internées parfois longtemps avant jugement, elles paient un prix fort de leur liaison. Un décret du 13 décembre 1940 donnant le monopole de la prostitution aux maisons closes, la prostitution occasionnelle se trouve de fait condamnée par l’occupant. Cependant, à la Libération, les prostituées ne seront pas considérées collaboratrices donc pas jugées à l’inverse des femmes qui ont couché avec des Allemands. Femmes délatrices, engagées dans des mouvements et partis collaborationnistes, l’ouverture des archives permet d’en mesurer l’ampleur. Pierre Brana et Joëlle Dusseau ont exploité 1494 noms de femmes extraits du fichier des 100 000 Collabos. 17,4 % sont fichées Suspecte, Collaboratrices pour 9,2 %. 47 % des adhérents au RNP de Marcel Déat sont des adhérentes, 1/3 des membres du PPF de Doriot et même 4 % des membres du MSR fondé par Eugène Deloncle, l’ancien chef de la Cagoule. Certaines prennent une part active dans l’espionnage au profit de l’ennemi, elles figurent dans la Liste des suspects et douteux mise au point par le contre-espionnage français, sur l’échantillon étudié, environ 11% des noms sont associés à la Gestapo et au Service de renseignement allemand. Quelques-unes iront jusqu’à participer à la traque, l’arrestation et la torture de résistants français.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau en conclusion rappellent que l’importance numérique des femmes dans le fichier des 100 000 Collabos qui en minore la réalité puisqu’il n’intègre ni la délation ni la collaboration verticale. L’importance de la collaboration familiale est réelle et il convient d’établir des degrés entre maréchalisme et violence au service de l’ennemi ou/et de son intérêt personnel comme certaines ont pu l’exercer. Cette synthèse qui couvre l’ensemble des attitudes et des degrés de la collaboration donne aussi des noms, des visages et des parcours personnels, individualisant celles que le temps aurait pu plonger dans l’oubli.