99 hommes ont été pendus par des membres de la division SS « Das Reich » et 149 autres ont été déportés (dont 101 ne revinrent pas), le 9 juin 1944 à Tulle. Il s’agit du troisième massacre en ordre d’importance (si l’on se limite aux seules exécutions du 9 juin, sans tenir compte des personnes décédées en déportation) après celui d’Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne le 10 juin 1944 (642 victimes) et Maillé, en Indre-et-Loire, le 25 août 1944 (124 victimes). Le drame de Tulle a été largement occulté par le massacre survenu le lendemain à Oradour, qui fut érigé après la guerre au rang de véritable symbole national de la barbarie pratiquée par les SS en France. Le fait que le drame de Tulle ait été présenté par les SS comme des représailles, après que le maquis eut attaqué la ville et infligé des pertes importantes à la garnison allemande, contribua durablement à diviser la mémoire de l’événement, autour duquel les controverses ne cessèrent de se développer.
Ce livre est la réédition, en collection de poche, de la très solide étude publiée par Fabrice Grenard, chez le même éditeur, il y a déjà dix ans, étude qui avait donné lieu à un compte-rendu sur le site de la Cliothèque. Depuis, Fabrice Grenard, qui est aujourd’hui le directeur scientifique de la Fondation de la Résistance, s’est imposé comme l’un des historiens majeurs de la Résistance intérieure française, et des maquis plus particulièrement. Après sa biographie du « premier maquisard de France », Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire (rééditée dans la collection Texto en 2020) il a publié Les maquisards. Combattre dans la France occupée, qui est « non pas seulement une histoire des maquis, mais une histoire des maquisards », qui fut ensuite déclinée en une version privilégiant l’approche par les documents : Ils ont pris le maquis. Sans oublier son étude sur La traque des résistants (rééditée dans la collection Texto en 2020), et celle sur Le choix de la Résistance.
Fabrice Grenard a été conseiller historique du film documentaire d’Emmanuel Amara (qui a rédigé l’avant-propos du livre) sur le massacre de Tulle. Ce livre constitue le prolongement et l’approfondissement du film, s’appuyant sur les entretiens effectués pour sa réalisation, sur d’autres témoignages, sur de précédentes études du massacre, mais aussi sur de nombreuses sources primaires : archives du Service historique de l’Armée de terre, archives nationales, archives départementales de Corrèze, archives du Musée associatif de la Résistance et de la Déportation de la ville de Tulle.
La première partie du livre contextualise le drame de Tulle dans une histoire plus large de la Corrèze sous l’Occupation. La seconde étudie l’investissement de la ville de Tulle par les maquis FTP et la mission de la division « Das Reich » qui devait les combattre et semer la terreur parmi les populations civiles. La troisième partie analyse le déroulement du massacre de Tulle dans la journée du 9 juin 1944, tandis que la quatrième traite de la mémoire douloureuse de ce drame. Des notes, des annexes (dont la liste des martyrs et la directive du général SS Lammerding), un index, les sources et la bibliographie complètent l’ouvrage.
Le contexte
La Corrèze, terre de maquis
« Le département de la Corrèze fut indéniablement l’endroit en France où les maquis connurent leur développement le plus important et menèrent les opérations armées les plus précoces et les plus spectaculaires. » Département rural, avec un habitat très dispersé et de nombreuses forêts, le département de la Corrèze est aussi l’un de ceux qui connurent une importante implantation communiste. La résistance s’y organisa dès l’hiver 1940-1941 et, un an plus tard, de petites équipes de corps francs se constituaient, chargées de protéger les diffuseurs de tracts ou d’organiser des sabotages. Au début de l’année 1943, toute l’infrastructure de l’Armée secrète est en place et un premier parachutage est réceptionné. Cette résistance non communiste entretient de bonnes relations avec les FTP auxquels elle fournit des armes.
Les premiers maquis qui apparaissent en février-mars 1943 sont la conséquence de l’instauration du Service du travail obligatoire : de nombreux petits camps de maquisards se constituent, encadrés par des responsables locaux du parti communiste, refuges pour de nombreux étrangers qui avaient été mobilisés dans des Groupements de travailleurs étrangers institués par Vichy pour les contrôler. Le grand nombre de camps de maquisards provoque plusieurs opérations de la part des policiers et des GMR (Groupes mobiles de réserve, spécialisés dans la lutte contre les maquis). Coups de main, manifestations patriotiques et sabotages se multiplient au cours de l’année 1943, tandis que des espaces départementaux entiers sont désormais administrés par les maquis.
Tulle, une préfecture sous l’Occupation
Tulle est une ville provinciale de 20 000 habitants qui abrite de nombreux services administratifs et qui est également un centre industriel actif, siège de l’une des principales manufactures d’armes françaises. L’adhésion au régime de Vichy semble assez large durant les deux premières années de l’Occupation, mais la résistance s’organise dès 1941, dans le cadre du mouvement Combat pour la résistance non communiste, et dans le cadre du Front National puis des FTP pour les communistes, après juin 1941. Les Allemands s’y installent en novembre 1942 et prennent le contrôle de la manufacture où ils installent un directeur allemand. L’arrivée des Allemands provoque plusieurs manifestations à caractère patriotique et une multiplication des arrestations de résistants. Au cours de l’hiver 1943-1944, la ville de Tulle fait l’objet de plusieurs opérations spectaculaires menées par des commandos constitués à partir des maquis qui se sont développés dans les massifs entourant la ville. Ainsi, dans la nuit du 2 mars, un commando de 32 FTP parvient à libérer 23 résistants incarcérés à la prison de Tulle.
L’offensive du maquis
Veillée d’armes, avril-mai 1944
Ce chapitre démontre que l’attaque sur Tulle par les maquis FTP les 7 et 8 juin 1944 n’est pas la conséquence immédiate du débarquement allié comme sa date pourrait le laisser croire, mais qu’elle a été envisagée par l’état-major FTP dès la mi avril 1944 et qu’elle était « pensée, planifiée et réalisable »
Au cours des mois de mars, avril et mai 1944, les FTP se rassemblent dans une organisation pyramidale et militarisée, tandis que la population locale apparaît de plus en plus favorable au maquis. Des agents anglais sont parachutés pour aider à les encadrer et à les armer, y compris les maquis communistes, contrairement à ce que l’on a souvent dit. Les sabotages se multiplient, ainsi que les embuscades, créant un véritable climat d’insécurité pour les Allemands et les forces de Vichy. D’importants renforts sont d’ailleurs envoyés pour accentuer la répression, dont des troupes géorgiennes et une « Légion nord-africaine » dirigée par Henri Chamberlain, dit Lafont, chef de la « Gestapo française de la rue Lauriston ». Arrestations et exactions se multiplient, faisant régner dans Tulle une véritable terreur.
Au début du mois d’avril 1944, les maquis de haute Corrèze sont la cible d’une vaste opération de ratissage et de répression de la part d’une division blindée qui s’illustre par sa cruauté et ses exactions, la division Brehmer. Pendant deux semaines, en Dordogne puis en Corrèze, des colonnes allemandes pénètrent dans les localités après les avoir encerclées, rassemblent les habitants, les interrogent sur la présence de maquisards, de communistes ou de Juifs, prennent des otages, fouillent et incendient les maisons, exécutent sommairement. En Corrèze, au cours de la « semaine sanglante », du 31 mars au 7 avril, le bilan de cette répression s’établit à une centaine de destructions de fermes et d’habitations, 3000 arrestations, 300 déportations et 55 exécutions. Les maquis se replient, évitant tout contact avec l’unité blindée allemande : celle-ci a semé la terreur parmi la population locale mais n’a pas démantelé les maquis corréziens.
Lors d’une réunion à Limoges le 17 avril 1944, l’état-major FTP décide d’intensifier les actions. Il est décidé de faire du 1er mai 1944 une journée symbolique avec des occupations de petites localités par le maquis, des attaques de gendarmeries et de postes ennemis destinées à récupérer armes et matériels, l’exécution de collaborateurs et dénonciateurs. Une possible attaque de la préfecture de Corrèze est aussi envisagée. Ces actions auront pour objectif de montrer la force du maquis et s’inscriront dans le cadre de « l’insurrection nationale » réclamée par la direction du parti communiste et celle des FTP. L’opération du 1er mai est considérée comme un succès, avec plusieurs occupations de localités dans le département. Les responsables FTP, avec leur nouveau chef, Jean Jacques Chapou, qui s’est illustré par l’occupation le 10 avril 1944 de la petite commune de Cajarc dans le Lot, réfléchissent à l’occupation de la ville de Tulle. Dans la mesure où cette opération a donné lieu à de très nombreuses polémiques ultérieures, Fabrice Grenard s’efforce de faire le point de manière incontestable. Il montre « que l’attaque de Tulle relevait d’une décision mûrement réfléchie et avait été préparée, avec toutes les limites évidemment liées au contexte particulier de la lutte clandestine (…) L’attaque de Tulle n’apparaît nullement comme la réponse spontanée et quelque peu irréfléchie à l’ordre d’insurrection nationale donné le 6 juin 1944, jour du Débarquement (…) Il y eut une simple concomitance entre un projet qui avait déjà été pensé localement depuis près d’un mois et demi et l’ordre d’insurrection transmis par la direction de la zone Sud le jour du débarquement allié (…) L’idée selon laquelle les FTP auraient voulu instituer des soviets à Tulle une fois la ville prise, et en faire le point de départ d’une révolution susceptible de s’étendre à tout le centre de la France, relève du pur fantasme anticommuniste ». L’Armée secrète refusa de participer à l’opération, officiellement parce qu’elle la jugeait trop risquée, en réalité parce que les officiers de carrière qui en étaient les responsables refusèrent de se retrouver sous un commandement FTP. Dans d’autres situations, l’Armée secrète accepta de mener aux côtés des FTP des opérations tout aussi périlleuses (Guéret, Saint-Amand-Montrond) , mais dont elle avait le commandement.
L’opération avait un enjeu militaire : prendre le contrôle de la manufacture d’armes qui travaillait pour les Allemands et des axes ferroviaires passant par la ville. Mais elle avait aussi une dimension symbolique : défier Vichy en prenant le contrôle d’une préfecture. Ceux qui la décidèrent étaient conscients de la réalité des forces en présence ; ils repoussèrent à la même époque l’attaque de Limoges jugée trop risquée. Ils ne pouvaient être informés que la division blindée « Das Reich », basée dans le secteur de Montauban à plus de 200 km de Tulle, allait recevoir l’ordre de mener une opération de ratissage des maquis limousins.
7 et 8 juin 1944 : attaque de Tulle par les maquis FTP, victoire puis repli
Le 25 mai 1944, l’état-major FTP départemental lance une mobilisation générale, appelant les résistants sédentaires à rejoindre les maquis. Le 1er juin, les maquisards investissent plusieurs petites villes dans lesquelles ils sont accueillis avec enthousiasme par la population. Le nombre des combattants FTP engagés dans l’offensive sur Tulle le 7 juin se situe dans une fourchette allant de 400 à 600. L’effectif total des forces allemandes se situe autour de 350 hommes, mais il faut ajouter les GMR et les gardes mobiles qui sont prêts de 600, ainsi que des miliciens. Les FTP savent qu’ils sont en infériorité numérique, mais sont persuadés que les GMR et les gendarmes se rendront sans combattre.
Dans la matinée du 7 juin, alors que débutent les combats, les difficultés s’additionnent pour les FTP : les GMR engagent une violente riposte aux côtés des Allemands, beaucoup de maquisards font leur première expérience du feu et sont décevants au combat, les liaisons fonctionnent très mal, rendant très difficile l’application des ordres. Néanmoins, une négociation aboutit à la reddition des GMR, qui quittent la ville sans qu’aucun ne se rallie aux maquisards. Le 8 juin, l’attaque de la caserne de gendarmerie permet aux FTP de bénéficier d’armes supplémentaires. Ils parviennent à encercler une partie de la garnison allemande qui finit par se rendre. Parmi eux, une dizaine d’agents du SD, français et allemands, sont identifiés et exécutés. Les Allemands prisonniers sont bien traités et bien soignés ; les thèses qui seront plus tard développées au sujet des violences infligées aux blessés, comme celle de la mutilation des cadavres, sont sans fondement. Mais il est vrai que quand les SS entrèrent dans la ville, ils découvrirent plusieurs cadavres de soldats allemands particulièrement abîmés par les combats.
La population sort alors dans les rues, les commerces qui étaient fermés depuis deux jours sont réouverts, les cafés se remplissent, on chante. Des Allemands demeurent cependant retranchés en divers points de la ville qui n’est pas encore libérée ; l’offensive générale doit avoir lieu le lendemain. Mais, aux environs de 20h, les premiers chars allemands de la division « Das Reich » pénètrent dans les quartiers sud de la ville, à la totale stupéfaction de la population et des maquisards. Un ordre de repli général leur est donné.
La division « Das Reich » applique en France les méthodes du front de l’Est
Présentée par le régime nazi comme l’une des unités les plus héroïques, la « SS Panzergrenadier Division Das Reich » a combattu en Yougoslavie, en Pologne et en URSS. Elle a mis en pratique les méthodes préconisées par le haut commandement allemand dans le cadre d’une guerre d’anéantissement : non-respect des conventions internationales, généralisation des massacres de masse, politique de terreur menée auprès des civils, généralisation des mesures collectives contre les populations. Ces actions de terreur l’amenèrent à se spécialiser dans les représailles massives sur les civils et dans ce cadre, elle procéda à de nombreuses reprises à des exécutions collectives par pendaison. Au début de 1944, la division est transférée en France afin d’augmenter le potentiel militaire allemand dans la perspective d’un débarquement. De nouvelles recrues lui sont affectées, de très jeunes Allemands sans expérience, des étrangers et des Alsaciens-Lorrains. Le général Heinz Lammerding en prend le commandement ; c’est un ancien combattant du front de l’Est et, comme la majorité de ses officiers, il se considère comme le représentant d’une élite nazie et a tendance à mépriser les membres de la Wehrmacht stationnée en France, considérés comme trop réservés sur le plan des méthodes répressives.
La division inscrit son action dans le cadre des nouvelles directives adoptées par le haut commandement de l’Ouest au début de l’année 1944, qui permettent de radicaliser la répression à l’égard des populations dans le cas de la lutte contre les maquis. Elle mène des expéditions punitives dans le Lot et l’Aveyron au mois de mai 1944. Début juin, le général Lammerding prend l’initiative de mesures radicales destinées à éradiquer les maquis : l’objectif est de couper la population de la résistance en criminalisant les maquisards et en les rendant directement responsables de la violente répression qui s’abattra sur les civils. Les directives rédigées le 5 juin démontrent :
- que « l’action menée à Tulle quelques jours plus tard n’était pas un dérapage mais s’inscrivait dans le cadre des mesures à appliquer contre les populations des secteurs où se manifestait la présence des maquis ».
- que la division ne se met pas en route pour rejoindre le plus vite possible le front de Normandie à l’annonce du débarquement allié mais que sa mission est « de mener une grande opération de nettoyage du Centre-Ouest ».
8000 à 9000 hommes et 60 chars se mettent en marche le 8 juin vers Limoges et Tulle.
Tulle, ville martyre
La rafle
Dès le matin du 9 juin, des barrages allemands sont installés sur les principales routes conduisant à Tulle afin d’en contrôler l’accès et d’empêcher la population de sortir. Les SS ont déjà pris la décision d’appliquer des représailles mais ils font tout pour rassurer les autorités locales, ainsi que la population, en présentant la gigantesque rafle qu’ils vont organiser comme un simple contrôle d’identité. Cette stratégie leur permet d’obtenir le concours des autorités civiles et d’éviter toute velléité de résistance au sein de la population. Tous les membres des Chantiers de jeunesse sont arrêtés ; les maisons sont fouillées et tous les hommes valides sont arrêtés sous prétexte d’un contrôle d’identité. Très peu échappent à la rafle, presque tous préfèrent suivre les SS, persuadés qu’ils seront bientôt relâchés. 3000 à 5000 hommes sont ainsi enfermés dans la manufacture des armes.
Le tri
Des recherches précises permettent d’affirmer que la décision de procéder à 120 pendaisons a été prise dans la matinée du 9 juin et que tout a été fait pour mettre la population et les autorités locales devant le fait accompli. Commence alors un véritable tri, une majorité d’hommes obtenant leur libération du fait de leur profession qui les rend « indispensables » pour une reprise de la vie courante dans la ville : entrepreneurs, bouchers, boulangers, épiciers, maraîchers, pompiers, employés des PTT, du gaz, de la SNCF etc. « Les autorités locales servent malgré elles d’intermédiaires aux Allemands afin que soit maintenu l’ordre et le calme indispensable pour le bon déroulement de l’exécution prévue l’après-midi. » Une sélection et ensuite opérée entre les otages qui n’ont pas été libérés et qui sont répartis en trois groupes. Les membres de deux de ces groupes, 60 hommes chacun, sont destinés à être pendus, mais rien n’a éveillé leur méfiance. Les autorités locales parviennent à faire extraire des amis ou des connaissances. Mais à chaque fois qu’une personne est libérée, une autre vient la remplacer dans les deux groupes destinés à mourir. On imagine le profond ressentiment qui sera celui des familles quand la terrible réalité va se révéler. L’arbitraire le plus total à régné dans la répartition des groupes, et moins d’un tiers des personnes exécutées avait un engagement dans la résistance, souvent ignoré des Allemands d’ailleurs. Le seul objectif est de terroriser la population.
Les pendaisons
Alors que les exécutions sont alors sur le point de commencer, vers 16h, une affiche officielle est apposée dans la ville par les Allemands, destinée à la fois à informer la population et à justifier les pendaisons afin de retourner les civils contre les maquisards sur lesquels les SS faisaient porter la responsabilité de l’exécution. Pendant que les otages attendaient avec anxiété, des cordes ont été installées aux balcons, à des poteaux et aux lampadaires. Les SS conduisent l’ensemble des hommes dans la rue afin qu’ils assistent au supplice : il s’agit de laisser un sentiment de terreur et d’effroi parmi la population. Des mitrailleuses sont pointées sur ses spectateurs forcés. Les 120 hommes qui sont restés à l’intérieur de la manufacture sont alors amenés par groupes de 10 et pendus. Les SS sont obligés de pousser et violenter leurs victimes avec la crosse de leurs mitraillettes. « Les difficultés auxquelles se heurtent les bourreaux et les tentatives désespérées de certains condamnés firent que les pendaisons s’effectuèrent de manière toujours plus violente et barbare. » Alors qu’ils avaient initialement annoncé l’exécution de 120 personnes, les SS cessèrent à 99 exécutions, sans qu’aucune explication satisfaisante ne soit trouvée, probablement par manque de temps.
Pour ajouter à l’horreur de l’exécution et à l’impact qu’elle devait avoir sur la population, les corps ne devaient pas être inhumés mais jetés dans la Corrèze. Les SS acceptèrent cependant qu’ils soient enterrés dans une fosse commune, sans qu’aucune identification préalable ne soit permise. « Ce refus d’accorder aux pendus un enterrement normal témoigne de la volonté de les marquer du sceau de l’infamie, comme s’il fallait convaincre qu’ils étaient de purs criminels et ne méritaient pas de sépulture. »
Les déportations
Le lendemain un nouveau tri fut effectué parmi les otages qui n’avaient pas été pendus. Un convoi prit la direction de Limoges ou une ultime sélection, à laquelle la Milice participa activement, eut lieu le matin du 11 juin. 149 hommes furent transférés à Poitiers, puis à Compiègne, où ils furent embarqués le 2 juillet 1944, aux côtés de plus de 2000 personnes, dans un convoi de 22 wagons à destination de Dachau. Ce convoi a été qualifié plus tard de « train de la mort », tant les conditions épouvantables de transport causèrent des pertes nombreuses : 985 personnes étaient mortes à l’arrivée sur les 2521 que comprenait le convoi. Des 149 Tullistes déportés, 101 ne reviendront pas.
Une blessure impossible à refermer
Les habitants de la ville martyre durent encore vivre avec les bourreaux pendant plus de deux mois. La présence allemande se renforça, à deux reprises la ville vécut la crainte d’une répétition du drame du 9 juin. La liste des déportés resta imprécise pendant plusieurs mois et le doute subsista dans de nombreuses familles sur le sort de celui qui avait disparu dans la rafle.
Depuis 70 ans Tulle a toujours vécu avec le poids des journées de juin 1944. « À travers ses stèles, ses rues et ses monuments, la ville porte de façon quasi indélébile la marque de ces événements tragiques. » Selon l’expression de l’historien Olivier Wieviorka, la mémoire de l’événement est véritablement « désunie » : « mémoire endeuillée » des familles de victimes ; « mémoire douloureuse empreinte d’une certaine culpabilité » de ceux qui avaient survécu en échappant à la rafle ou à la sélection ; « mémoire sélective de ceux qui par leur statut ou leur position ont indirectement participé au processus de représailles ; « mémoire héroïque » des combattants FTP des 7 et 8 juin, tentant de valoriser et de légitimer un combat que les représailles allemandes avaient discrédité.
La justice française chercha à sanctionner les responsables allemands qui avaient survécu à la guerre. Deux informations judiciaires furent ouvertes en août 1945 qui donnèrent lieu à deux procès successifs, à chaque fois devant le Tribunal militaire de Bordeaux, en mars 1949 puis en juillet 1951. Les sanctions furent jugées trop clémentes, et le général Lammerding qui avait donné l’ordre des exécutions put, jusqu’à la fin de sa vie, échapper à la justice et vivre tranquillement en Allemagne fédérale, bien qu’il ait été condamné par contumace en France. Pour ces raisons, le sentiment que la justice n’avait pas été faite se développa dans la population.
Si les cérémonies commémoratives du massacre de Tulle ont toujours soulevé depuis la fin de la guerre une forte émotion locale, elles ont été occultées dans la mémoire collective de la période par celles d’Oradour-sur-Glane. Le 5 mars 1945, le général de Gaulle, président du Gouvernement provisoire, effectua une visite officielle sur les ruines d’Oradour, mais il ne se rendit pas à Tulle. Le nombre des victimes n’est pas seul en cause : le massacre d’Oradour a pu être présenté comme le symbole d’une barbarie nazie totalement arbitraire, alors que les polémiques sur les responsabilités des maquisards dans les pendaisons de Tulle empêchaient un discours consensuel.