Au lendemain de la mort de Ben Bella, premier président de la république algérienne indépendante, la présentation de cet ouvrage sur la Cliothèque n’est évidemment pas le fruit du hasard. Beaucoup d’ouvrages ont été présentés sur le sujet de la guerre d’Algérie, sur ses causes, son déroulement, et il aurait fallu bien plus de rédacteurs pour les traiter tous.

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Cet ouvrage présente l’intérêt de retracer dans le détail l’histoire de cette négociation complexe qui se déroule au moment où cette guerre d’Algérie qui ne dit pas encore son nom est entrée dans la troisième phase. On ne le dira jamais assez, mais à partir de 1960, l’essentiel des forces du front de libération nationale se trouve en Tunisie et au Maroc. Le quadrillage militaire mis en oeuvre par l’un des généraux qui s’est ensuite retrouvé dans le quarteron de retraités lors de la tentative de putsch d’avril 1961, le général Challe, s’est révélé redoutablement efficace. Mais si l’armée française a été victorieuse sur le terrain, c’est sur le plan politique qu’il a fallu trouver une solution pour mettre un terme à ce conflit.

Debré vs de Gaulle, un drame de fidélité

On appréciera dans cet ouvrage les quelques pages d’introduction qui présentent l’Algérie, d’une guerre à l’autre, à savoir de 1945 à 1954. L’auteur se livre également à un examen attentif du point de vue du Général De Gaulle et de son entourage, à propos du conflit algérien. À ce propos, on reviendra sur quelques éléments remarquables concernant les relations entre Michel Debré, premier ministre, passionnément attaché à l’Algérie française et à la politique d’intégration, et le point de vue du Général De Gaulle qui très clairement se décide à partir de 1960 à trouver une solution politique au conflit. Peu à peu, la gestion de la négociation échappe à Matignon pour être confiée à Louis Joxe, diplomate de formation, mais surtout négociateur avisé face à un gouvernement provisoire de la république algérienne où les factions s’opposent, entre les militaires de l’armée des frontières et les représentants politiques.
La question la plus délicate à régler est celle du Sahara, dont il était envisagé une séparation d’avec le reste du territoire algérien. Cette perspective a très vite fait blocage, et il était inconcevable que les négociateurs du Front de libération nationale acceptent cette remise en cause de l’intégrité territoriale de leur pays.

Harkis et pieds noirs

On trouvera également dans cet ouvrage de très précieuses indications sur le sort qui a été fait aux Européens d’Algérie et aux harkis. Le devenir des minorités a été central pendant les négociations de 1961 et 1962 et la questions de la garantie a été très longtemps discutée. Mais le départ massif n’a jamais été envisagé alors qu’il s’est pourtant réalisé. Les pouvoirs publics ont été aveuglés par l’espoir de l’application scrupuleuse des accords d’Évian puis ont été très vite dépassés par une réalité terrible et inattendue avec cette ampleur. Entre 1956 et 1961, 110 000 Français de souche nord-africaine, appelés et engagés, ont été incorporés. Au moment des négociations, plusieurs solutions sont envisagées pour régler leur sort. Les engagés avaient la possibilité de finir leur contrat dans l’armée française, d’y renoncer, ou de s’engager pour six mois supplémentaires sans perdre le bénéfice de la prime de reclassement. La majorité d’entre eux a choisi la prime. Mais, très clairement, il est évident que l’idée d’un rapatriement de masse n’a jamais été véritablement envisagée. Entre la signature des accords d’Évian et mai 1963, entre 60 000 et 80 000 supplétifs ont gagné la France par les voies officielles, et un peu moins par leurs propres moyens. En dépit des démarches de l’ambassadeur et de la Croix-Rouge, des massacres ont bien eu lieu, et le chiffre qui est avancé par l’auteur donne une évaluation de 10 000 morts et de 7000 détenus souvent contraints à des travaux forcés.

La commémoration contre l’histoire

La dernière partie de l’ouvrage, intitulée : « que reste-t-il des accords d’Évian ? » revient sur ces commémorations et sur les mémoires contradictoires. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas le 19 mars 1962 qui a été choisi comme date de référence. Une sorte de consensus a été établi de part et d’autre de l’échiquier politique, entre un député socialiste héraultais, issu d’une famille de rapatriés d’Algérie, Kléber Mesquida, et Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, très attentif pour sa part aux revendications des groupes algérianistes et des nostalgiques de l’Algérie française. Finalement, c’est la date du 5 décembre qui a été retenue, une date qui correspond à l’inauguration d’un mémorial érigé à Paris quai Branly. Cette date commémore la mémoire de l’ensemble des morts en Afrique du Nord, Algérie, Tunisie et Maroc.
Encore une fois, 50 ans après la signature de ces accords d’Évian, la confrontation des mémoires continue. Et pourtant cette histoire de la guerre d’Algérie a été écrite et réécrite, les témoignages s’affrontent et, lorsque l’on s’intéresse à ces questions, dès lors que l’on présente tel ou tel point de vue, on s’expose à des menaces. Ce sera encore une fois le cas dès que cette présentation d’un ouvrage important aura été mise en ligne.

Bruno Modica