Pays balte intégré à l’empire russe jusqu’en 1917, indépendant jusqu’en 1940, réintégré dans l’union soviétique jusqu’en 1991, la Lettonie est un petit territoire dans lequel une forte minorité allemande était présente jusqu’en 1940. Cet ouvrage qui occupera sans doute une place particulière dans l’histoire de la Cliothèque, en raison d’une blague à deux balles qui a fait couler beaucoup d’encre lors de l’annonce de sa parutionest le résultat d’un travail personnel de Mathieu Boisdron qui a retrouvé en 2004 le journal personnel de Jean de Beausse, au centre des archives diplomatiques de Nantes. Le fils de l’auteur, Jacques, a d’ailleurs été le premier ambassadeur de France en Lettonie lors de la seconde indépendance de 1991. Ce document n’était pas destiné à la publication. Le travail d’édition, de mise à jour, de rassemblement des photographies d’époque, le rend tout à fait intelligible et surtout très utile pour comprendre quelle était la situation très particulière des frontières orientales de l’Allemagne, au moment de la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Dans ce journal, on découvre Jean de Beausse, jeune diplomate, installé dans le pays avec sa famille dès 1938, qui manifeste un intérêt très fort pour ce petit pays.
Un dictateur avenant
Les premières périodes qui sont traitées traduisent le vif intérêt que l’auteur éprouve pour ce territoire qui est au contact de plusieurs influences. La Lettonie apparaît comme une interface entre l’influence prussienne et luthérienne et le monde orthodoxe russe. Comme la plupart des pays d’Europe centrale et orientale dans les années 30, la Lettonie a connu une évolution autoritaire, à l’exception notable de la malheureuse Tchécoslovaquie, abandonnée par les occidentaux aux appétits hitlériens.
Le jeune diplomate évoque le dictateur local, Ulmanis, qu’il qualifie de plutôt avenant, même s’il a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’état militaire en 1934. Ce dictateur a essayé de copier les régimes totalitaires plus achevés, mais cela n’avait rien de véritablement comparable avec des régimes beaucoup plus durs. Les carnets diplomatiques de Beausse montrent l’évolution de la situation en Lettonie, marquée par une domination culturelle allemande incontestable, qui va, dans le cadre d’un accord entre les deux régimes totalitaires, être remise en cause. Le diplomate assiste depuis la légation française aux conséquences de ce partage d’influence. Les soviétiques sont évidemment très intéressés par la position stratégique de la Lettonie, constituant un point d’appui intéressant pour des bases militaires sur la Baltique.
Évacuer les allemands
Pour le régime hitlérien, le recul est sans doute considéré comme temporaire. Mais il faut tout de même envisager le rapatriement de plus de 50 000 Lettons de sang allemand, dans des conditions tout de même difficiles en raison de leur poids économique. En même temps qu’il assiste avec beaucoup de lucidité à ce qui est en train de se passer autour de lui, Jean de Beausse prend le temps de découvrir le pays et les photos qu’il prend, sur lesquels on peut voir son fils Jacques en costume de marin, montrent un territoire paisible, alors que les convulsions de l’histoire menacent son intégrité. Au moment où la guerre commence, le 1er septembre 1939, une partie de la population lettone exprime de grands espoirs sur la capacité des alliés, et particulièrement de la France, à mettre un terme aux ambitions hitlériennes. Le 3 septembre une foule se rassemble devant le siège de la légation française de Riga pour chanter la Marseillaise. Quelques jours plus tard le jeune diplomate commence à brûler les archives de la légatio, au moment où, dans le cadre du protocole secret du pacte germano-soviétique à propos de la Pologne, les troupes soviétiques prennent l’armée polonaise à revers.
Estonie et Lettonie sous les chars
Très rapidement les pressions russes s’exercent, sur l’Estonie comme sur la Lettonie et, du 2 au 6 octobre 1939, le pays passe sous la tutelle de l’URSS. Juste avant de quitter le pays, le diplomate a le temps de prendre quelques images, exceptionnelles d’ailleurs, des chars russes de type T17 qui pénètrent dans les rues de Riga en juin 1940. Le territoire a été rattaché à l’Union soviétique de 1940 à 1941, puis envahi par l’Allemagne en 1941 et occupé jusqu’en 1945 avec son cortège de massacres et de déportation touchant notamment les juifs.
On notera que la France n’a jamais reconnu l’annexion de la Lettonie par l’URSS et, qu’en dépit de nombreuses demandes, elle a toujours refusé de livrer à Staline l’or que la banque nationale de Lettonie avait confié à la garde de la Banque de France. Cette opération de restitution a finalement été faite à l’identique, avec les mêmes lingots, lors de l’indépendance du pays en 1991.
Jacques de Beausse, qui avait connu ces événements enfant, alors que son père Jean était en poste, a été à son tour ambassadeur de France en Lettonie, de 1991 à 1993. Son témoignage sur cette période de transition d’une ex-république soviétique à un État indépendant est extrêmement intéressant. Ce petit pays a réussi sa transition démocratique, même si des problèmes ont pu se poser à propos de sa minorité russophone, et rejoindre la famille européenne comme membre de l’Union en 2004.
Encore une fois, il faut mentionner la remarquable qualité des photographies prises par Jean de Beausse, et l’auteur de ces lignes serait très intéressé par la référence de l’appareil photographique qui a servi à prendre ces clichés. Il faut aussi féliciter l’infographiste et l’imprimeur qui ont réalisé ce très beau travail de reprographie.
Ce qui est clair en tout cas, c’est que Mathieu Boisdron qui préside aux destinées de cette petite maison d’édition réalise un véritable travail d’historien qui mérite assurément qu’on lui porte la plus grande attention. Cette Europe centrale et orientale pendant l’entre-deux-guerres est un terrain d’enquête assez peu explorée, et la publication de ces carnets d’un diplomate en Lettonie permet de lever le voile sur une période et un espace géographique rarement étudiés.
Bruno Modica