Sur un sujet parfois polémique, ce livre est la reprise de la thèse de sociologie de Virginie Diaz Pedregal: “Le commerce équitable ou la juste répartition – Critique du système de production et de distribution équitable à travers l’exemple des organisations de producteurs de café en Équateur, Pérou et Bolivie”, soutenue en 2006 à l’Université Paris V-Sorbonne sous la direction de Dominique Desjeux.
S’il bénéficie à environ 1 million de producteurs du Sud le commerce équitable ne représente toutefois que 0,01% des échanges mondiaux, l’étude porte sur le produit phare du commerce équitable: le café, il s’agit de tenter de mesurer les effets de la répartition des bénéfices de ce commerce au niveau local, en analysant les dynamiques et les processus en oeuvre aux trois niveaux: macro-social du commerce, meso-social des organisations paysannes et micro-social des stratégies individuelles.
L’étude porte sur les pays producteurs andins: Pérou, Bolivie, Equateur. L’auteur rappelle que le café est le premier produit du commerce équitable et que le développement se situe dans les années 90 au moment de la dérégulation du marché du café.
Quelques chiffres clés: production mondiale =7,5 Mt dont exportation=5,2 Mt, consommation 65% dans les pays de la “triade”, 25 M de producteurs dont plus des 2/3 sur des exploitations de moins de 5ha et répartis dans 65 pays.
L’introduction détaille les choix méthodologiques, l’étude est présentée en 4 parties: contexte, organisations paysannes, effets et limites très détaillées, un travail très minutieux de description et d’analyse. La synthèse de 2 à 4 pages est proposée à la fin de chaque partie permet une lecture très rapide pour qui veut aller à l’essentiel.
L’ouvrage s’ouvre sur une présentation du contexte éco-social de la caféiculture: un aperçu de l’histoire de la culture du café, son expansion géographique, les réalités sociales et la géopolitique aux XIX ème et XX ème siècles, utile pour une bonne compréhension de la situation présente: place de la bourse, fin des quotas par pays, dérégulation des marchés, surproduction et effondrement des cours.
On trouve une description, appuyée sur des statistiques de la production caféière des trois pays andins étudiés. L’auteure évoque les stratégies de réduction du risque économique des communautés paysannes (culture de la coca comme produit de substitution, migration temporaire, entraide communautaire et traditions) dans des pays où le mouvement
coopératif est ancien dans le sillage des utopies sociales du XIX ème siècle mais en crise dans les années 90 du fait du désengagement des états et des politiques libérales; des exemples précis, au Pérou surtout, illustrent cette présentation.
Un très long chapitre 2 est consacré aux dynamiques de fonctionnement et pratiques de répartitions des organisations paysannes. Le cadre conceptuel de cette étude universitaire est présenté en détail: références à l’analyse systémique et à la théorie de Talcott Parsons d’analyse des systèmes sociaux.
Le but est de comprendre de quelle manière les organisations équitables instaurent des échanges avec leur environnement.
Les coopératives sont présentées dans leurs dimensions matérielle et organisationnelle, nées de la volonté des producteurs de travailler en commun, elles visent 3 objectifs: réduction des coûts, pouvoir de négociation sur le marché et services. L’étude montre une certaine “fermeture” des structures à de nouveaux adhérents par crainte de devoir partager les bénéfices tirés du commerce équitable mais aussi la volonté d’avoir des membres solides et actifs dans des structures dont l’idéologie est le développement de la démocratie participative.
Les différences entre Pérou et Bolivie par exemple sont analysées: structures plus grosses avec des salariés au Pérou, à vocation économique, plus communautaires en Bolivie fidèles aux traditions Aymaras et quechuas à vocation plus sociale.
Un long développement est consacré aux mécanismes des prix du commerce équitable par rapport aux cours de la bourse du café, à la prime de développement, à la gestion souvent complexe quand les coopératives vendent une partie de la production sur le marché conventionnel et une partie en commerce équitable, aux écarts de conception entre coopératives de producteurs et acteurs du commerce équitables en ce qui concerne la répartition et l’usage de la prime liée au commerce équitable. L’auteur évoque un certain nombre de “dérives” comme le rôle d’intermédiaire de certaines coopératives qui achètent sur le marché pour livrer en commerce équitable ou la répartition totale, égalitaire ou non de la surprime liée au commerce équitable sans investissement communautaire dans l’alphabétisation, la formation technique…, concurrence entre coopératives ou stratégies de fédérations nationales comme la FECAFEB en Bolivie.
Ce chapitre traite aussi, avec un regard critique, de l’action des ONG de développement et des conditions et réalités des inspections de certification du label “commerce équitable” FLO, structure du Nord qui contrôle et certifie les producteurs du Sud comme acteur du commerce équitable selon un cahier des charges précis.
Notons avec l’auteure que pour les producteurs andins le commerce équitable est plus un marché de “niche” plus rémunérateur au même titre que la production bio ou de qualité qu’un mouvement social comme espéré par les organismes du Nord.
La troisième partie analyse le niveau local: quels effets de la répartition du bénéfice?
Si l’augmentation de revenu des petits producteurs est indéniable le gain se situe peut-être surtout au niveau d’une plus grande sécurité (prix prévisible et quantité fixée) ce qui permet une meilleure scolarisation primaire et secondaire des enfants et en particulier des filles. On constate aussi une reconnaissance sociale des producteurs, une reconnaissance de la valeur de leur travail et une affirmation de l’identité des populations rurales par exemple face aux représentants des ONG du Nord, une place des femmes mieux reconnue.
Par contre les effets à l’échelle des coopératives sont moins nets: faible capitalisation, tensions locales entre structures mais plus grande capacité de négociation et une influence sur le marché conventionnel.
La question: Quel avenir pour un commerce équitable Sud-Sud qui émerge offre une transition vers le chapitre suivant: Les limites de la “juste répartition” du commerce équitable.
Après la présentation de la critique néo-libérale qui conteste l’efficacité économique et parle de concurrence déloyale du commerce équitable, vient la critique écologique qui dénonce l’alibi et prône la “décroissance” et conteste les consommations impliquant des transports internationaux. Enfin la critique politique dénonce la persistance d’une dépendance du Sud au plan politique autant qu’économique.
Le livre se termine sur une synthèse d’une petite dizaine de page et une copieuse bibliographie.
Un travail très documenté, un peu touffu mais dont la structure permet une lecture plus ou moins approfondie et toujours riche d’enseignements.
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