Les éditions Taillandier ont choisi de publier en cette mi-février, marquée par la Saint Valentin, un ouvrage consacré au thème de la vie sexuelle à Rome.Géraldine PUCCINI-DELBEY est maître de conférences en langue et de littérature latine à l’université de Bordeaux III. Spécialiste d’APULEE, elle base ses travaux sur une parfaite connaissance de la littérature latine. Elle travaille aussi à partir d’inscriptions funéraires, de textes juridiques et de supports iconographiques. Les sources disponibles nécessitent beaucoup de prudence dans leur usage. Elles posent le problème de l’adéquation des mots et des images à la réalité. Les textes littéraires évoquant le sexe sont à comprendre comme des « constructions culturelles », d’autant plus que ces sources sont masculines.

 

Pour appréhender la sexualité romaine, il faut abandonner nos schémas contemporains (hétérosexuels, homosexuels, bisexuels). La sexualité à Rome doit se comprendre comme le reflet des relations de pouvoirs entre les différentes couches de la société. D’un côté, ceux qui possèdent le pouvoir, ce sont ceux qui pénètrent : les citoyens. De l’autre, ceux qui ne possèdent pas le pouvoir et sont donc pénétrés : les femmes, les esclaves.

C’est ce que l’auteur appelle dans une première partie : le modèle du citoyen viril. De cette répartition découle une inégalité entre hommes et femmes. Le citoyen peut, et cela lui est fortement conseillé lors de son adolescence, avoir de nombreuses liaisons avec des esclaves, des affranchis, des prostituées. L’adultère féminin est puni, pas celui de l’homme. La seule chose qui ne soit pas permis au citoyen est de coucher avec la femme ou la fille d’un citoyen avec qui il ne serait pas marié. La bisexualité est le comportement ordinaire du citoyen. Pour Paul VEYNE, le romain libre se caractérise par une bisexualité active, une sexualité virile, conquérante et dominatrice. La distinction actif / passif reste essentielle et fonde les rapports sociaux. Les autorités veillent au respect de cette répartition et n’hésitent pas à punir ceux qui, dans une relation homosexuelle, « dérogent » à leur statut de citoyen.
Jusqu’au Ier siècle avant JC, le mariage est perçu comme une institution civique qui permet au citoyen de remplir son devoir vis-à-vis de la cité en donnant naissance à des citoyens (pratique de l’échange entre citoyens de femmes fécondes). Paul VEYNE voit dans le passage de la République au Principat un changement important dans la naissance du couple et de l’amour conjugal (parallèlement au fait que les citoyens ne sont plus seulement des militants mais deviennent des notables locaux).
On distingue chez les femmes deux groupes : celles que l’on épouse, celles que l’on n’épouse pas. Le mariage est une institution. La place et le rôle de la femme y sont codifiés. Si l’adultère féminin n’est pas autorisé, c’est en raison de la transmission de la citoyenneté qui est en jeu. Le châtiment qui attend la femme est à la mesure de la gravité de son acte : exil sur une île, perte de sa dot.
Les femmes que l’on n’épouse pas sont celles qui ont un statut inférieur (esclaves, concubines, prostituées). Le concubinat existe parallèlement au mariage. Un homme marié peut avoir une concubine. Il est alors polygame. La prostitution masculine et féminine est très développée à Rome. Elle sert de régulateur aux pulsions des citoyens et évitent ainsi à ceux-ci de séduire les femmes des autres citoyens.

Le rapport entre le corps et la sexualité, objet de la deuxième partie, a inspiré les poètes. La société romaine oppose le couple légitime au couple illégitime. La sexualité conjugale est une sexualité de reproduction (cadre de la transmission de la citoyenneté). Les connaissances médicales des cycles menstruels sont très limitées et réduisent d’autant plus le taux de fécondité. Celui-ci est relativement faible d’autant plus que l’avortement semble fréquemment pratiqué. Le procédé est condamné (la femme est exclue) car il prive le citoyen d’une descendance. En revanche, tout enfant qui naît dans la maison d’un citoyen n’y est pas forcément accueilli. La pratique de l’exposition (abandon d’enfants) ne sera interdite qu’en 374 après JC. C’est une manière pour le citoyen d’éviter l’éparpillement de sa fortune entre un trop grand nombre d’héritiers.

La dernière partie du livre est consacrée aux regards critiques sur la vie sexuelle. Successivement est analysée la manière dont les médecins, les philosophes, les moralistes et les historiens considèrent les comportements sexuels. Les Epicuriens mettent en avant le plaisir mais refusent la passion, qui rend dépendant. La philosophie stoïcienne (I-II° siècle après JC) amène un profond changement dans les mentalités. Elle met en avant la fidélité sexuelle au sein du couple ainsi que la notion de famille. Elle discrédite totalement la notion de plaisir.
La critique des moralistes vis-à-vis des comportements sexuels masculins ou féminins, par les points communs avec notre culture, montre à quel point les fondements de celle-ci sont anciens, même si la notion de culpabilité n’apparaît qu’à l’époque chrétienne. Le discours des historiens (SUETONE, TACITE) a fondé l’image de l’empereur, monstre cruel : libidineux, incestueux, bestial et sanguinaire. Cette manière de voir (transgression de la morale sexuelle) s’explique par le fait que l’empereur est au dessus des lois et à tous les pouvoirs. Ce discours s’inscrit dans la pratique fantasmatique du tyran. On peut, toutefois, regretter que ce chapitre ne s’achève pas sur une analyse critique du discours des historiens. Géraldine PUCCINI-DELBEY rend compte de leurs écrits mais n’utilise pas d’autres sources qui pourraient permettre de prendre du recul avec cette construction.

Le titre de l’ouvrage n’est pas un prétexte pour accroître les ventes, même si la quatrième de couverture rassemble essentiellement les détails les plus croustillants de l’ouvrage ! L’auteur, en s’appuyant sur de nombreux extraits littéraires, dresse un panorama complet de la vie sexuelle à Rome. Le style de l’ouvrage est facile à lire. Le lecteur n’a aucune peine à imaginer, par exemple, le sort des esclaves, véritables objets sexuels de leur maître. Géraldine PUCCINI-DELBEY livre ici une œuvre qui réconciliera tous celles et ceux qui, jusque là, étaient fâchés avec l’histoire romaine ! Il faut dire que si nos professeurs de facultés entraient dans la période par cette approche, nul doute que les bancs des amphis seraient plus fournis ! Géraldine PUCCINI-DELBEY « fait vivre » les femmes et les hommes qui peuplent son ouvrage. C’est une qualité littéraire à souligner.
L’ensemble fourmille de détails rendant très vivant le texte. Nul doute que cet ouvrage devrait remporter un succès en librairie. Accessible, y compris par un grand public éclairé, sa lecture ravira tous les amateurs d’histoire, occasionnels ou professionnels. Son usage pédagogique est plus limité. Toutefois, l’entrée dans le sujet par le biais des relations sociales dominants / dominés est intéressante, à la condition de les transposer dans un autre domaine, il s’entend !

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