Basé sur la rencontre de deux objets a priori en opposition (le commerce qui rime avec échange et rapprochement et la frontière ou discontinuité qui, elles, suggèrent plutôt la coupure, voire le barrage), cet ouvrage dirigé par Nicolas Lebrun, maître de conférences à l’université d’Artois, spécialiste des questions de géographie commerciale, est l’occasion de découvrir les presses de l’université d’Artois qui affichent ici leur cinquième titre en géographie (l’histoire en comptant près de cinquante).

Rassemblant les contributions d’une trentaine de géographes et d’acteurs de l’urbanisme commercial ayant fait l’objet de communications lors du colloque éponyme tenu à Arras en 2011 sous le parrainage de la commission Commerce du CNFG, le recueil part d’un principe assez élémentaire que rappelle Nathalie Lemarchand, professeur à l’université Paris 8, à savoir assouvir des besoins qu’on ne pourrait satisfaire autrement qu’en franchissant diverses limites.

Dès lors, c’est à de multiples échelles et dans des temporalités également très diverses qu’il est possible d’interroger ces pratiques commerciales qui finalement sont spécifiques.

Comme souvent dans ce genre d’ouvrage, les introductions et conclusions générale et de chapitres sont précieuses pour saisir les concepts en jeu et les différents auteurs à qui sont revenues ces charges exposent clairement que les discontinuités peuvent être brutales ou progressives, qu’elles peuvent se manifester à toutes échelles, que le commerce peut faire l’objet d’aménagements particulièrement importants, que les différentiels peuvent générer du tourisme commercial et tant d’autres questions.

Pour reprendre le plan proposé dans l’exposé des communications, on apprendra d’abord beaucoup au sujet de la frontière ou discontinuité géopolitique. On pourra s’interroger sur son rôle de structuration de pôles commerciaux, de stabilité ou non des différentiels (prix, types de produits) et sa gouvernance (législation, pratiques des clients et des vendeurs). Parfois, de véritables territoires transfrontaliers naissent du commerce.

Outre les cas de relations frontalières régulières, on citera par exemple les cas plus marqués relatifs aux modifications relationnelles liées à l’élargissement de l’Union Européenne (cas de l’arrivée des pays Baltes et de l’enclave de Kaliningrad), l’hyperspécialisation d’un « l’isolat » d’Andorre s’étant lui-même défiguré paysagèrement ou encore la situation très particulière des « importations fourmis » (ou contrebande tolérée) expliquée par un local ayant voyagé, François Moullé, justement membre du laboratoire « Discontinuités » de l’université d’Artois. Pris sur l’exemple de la frontière entre l’Argentine et la Bolivie, ce phénomène, d’ailleurs repris sur l’une des deux photos de couverture, montre comment la présence d’une règle douanière (franchir la ligne frontière à pied avec une charge de 100 kg maximum) permet d’éviter les taxes aux camionneurs tout en apportant un gain aux passeurs mais également en structurant un commerce de proximité pour répondre aux besoins immédiats de ces porteurs.

Plus floues et plus progressives que dans le cas des frontières d’Etats, les discontinuités sociales et culturelles intra-urbaines spécialisent les quartiers de la ville et en affectent même la forme urbaine allant souvent jusqu’à la gentrification. Dès lors, comment recomposer le tissu urbain et où le faire pour capter des clientèles nécessairement volages ? Comment revaloriser des quartiers sans rompre la mixité et risquer la coupure avec les locaux ?

L’exemple des commerces ethniques de Barcelone montre par exemple que la fréquentation de ce genre d’établissements est davantage le fait de touristes que des populations résidentes. La coupure peut apparaître encore plus marquée en fonction du type de commerces comme en témoigne l’exemple des boutiques de luxe parisiennes qui génèrent un véritable entre-soi où la discontinuité est fortement suggérée par un portier ou une absence de prix qui dissuade l’entrée (Fauchon, Hédiard). Le paradoxe de recherche de continuité dans la discontinuité n’est pas à exclure non plus : l’exemple de la communauté japonaise parisienne montre que le recours aux commerces communautaires n’est pas si marqué, les populations cherchant à la fois à retrouver des non-lieux similaires à leur pays d’origine ou à commander, de manière groupée, des produits du pays.

Toutes ces manifestations sont évidemment fonction des lois et des possibilités de régulation, d’où la question finale des discontinuités gestionnaires et donc des acteurs qui accompagnent, tentent de corriger mais finalement, génèrent aussi le commerce.

La course à l’aménagement et à l’occupation de l’espace est telle que le parc de surfaces de commerces de détail augmente plus vite que la consommation. Toujours motivés par l’idée de s’adapter aux mouvements de populations et même les devancer, les aménageurs participent à la création d’une véritable bulle commerciale avec un immobilier et un foncier toujours plus chers. A l’inverse, des expériences positives de développement commercial qui impulse réellement le développement urbain sont à relater : le cas des docks de Rouen et du Havre témoigne d’une réhabilitation urbaine réussie qui n’était pourtant pas gagnée d’emblée, les docks étant, par définition éloignés des centralités commerciales originelles.

On n’oubliera pas d’évoquer la question des temporalités qui chapeaute l’ensemble de ces manifestations spatiales et qui permet par exemple d’expliquer certains comportements (cas des pratiques d’approvisionnements lors des différents moments de la séquence de migration d’une population) ou même de réguler certaines pratiques (se protéger de l’évasion commerciale vers le pays voisin en faisant converger les temps du commerce, à savoir les heures d’ouvertures et fermetures des magasins).

En définitive, un tour d’horizon très riche et très varié de cette rencontre entre ces deux objets importants de l’analyse géographique qui n’avaient, pour lors, pas fait l’objet d’une synthèse de ce type. Les questionnements soulevés pourront alimenter de nombreuses séquences à tous niveaux d’enseignement que ce soit. Bienvenue donc à l’éditeur Artois Presses Université et à nos collègues géographes du laboratoire « Discontinuités » de l’université d’Artois.

En complément, voir ici le sommaire complet des contributions à télécharger.