Heureusement dès lors que l’on parcourt les différents chapitres de cette thèse, largement remaniée, et préfacée par François Crouzet, on se rend compte que ce travail de recherche est particulièrement actuel.
En effet, la France du XVIIIe siècle semble confrontée à des problèmes qui sont, toutes proportions gardées, de même nature que les difficultés actuelles.Ce vieux pays, colbertiste au XVIIe, siècle doit entreprendre sa mutation face à la « mondialisation » de l’époque, l’ouverture au monde, par le commerce, un commerce d’où la concurrence n’est pas absente, loin de là.
Certes la France a des atouts : puissance démographique et militaire, puissance agricole, malgré des structures archaïques, elle est au centre de l’Europe et au début du siècle suivant ses armées soumettront le vieux continent.Mais son commerce extérieur est son talon d’Achille. La difficulté de ce pays terrien à maîtriser les mers malgré les milliers de kilomètres de côtes, face à une Angleterre agressive, la handicapent dans son développement économique, tout comme ses structures sociales qui n’ont pas encore assuré le triomphe de la bourgeoisie entrepreneuriale.
Dans la première partie qui traite de la production, des forces productives aurait-on dit à une autre époque, on perçoit bien dans ce domaine, et cela perdure encore largement, le rôle central, éminent de l’État, particulièrement dans le domaine de l’industrie. Dans ce contexte, le tissu industriel se densifie en même temps qu’augmentent les productions intermédiaires dans le processus de fabrication industriel.
Le monde rural : cette France paysanne vit alors sous un régime malthusien de haute pression. Toutes les terres sont exploitées et dans les campagnes les ateliers artisanaux, les petites structures industrielles foisonnent. Paradoxalement ce sont les terres du Languedoc et plus largement méridionales qui connaissent cette multiplication d’ateliers ruraux, spécialisés dans la petite métallurgie, le textile et même, avec les moulins à soufre une première forme d’industrie chimique. Les marchands, les négociants, dominent ce monde rural qui est loin de l’immobilisme et qui est ouvert sur les horizons extérieurs grâce à ces intermédiaires.
Le commerce intérieur est à l’image de ce foisonnement : multiforme, largement dominé par des intermédiaires nombreux, souvent mal vus par les populations, (les agioteurs) et en même temps, particulièrement indispensables. Ces intermédiaires en effet, apportent leur connaissance des marchés, facilitent les transactions et jouent un rôle sans doute utile, hors de la capture de rente, puisque leur nombre global s’accroît dans le siècle. Les intermédiaires transforment également les produits, et apportent donc une valeur ajoutée.
La seconde partie est tout entière consacrée au commerce extérieur.
Le lecteur qui souhaiterait s’évader sur les navires de la compagnie des Indes, vibrer aux exploits des corsaires sera pourtant déçu. L’auteur se livre ici à un austère travail de recherche, pourtant indispensable. Cette économie prédatrice des ressources d’outremer, la traite par exemple, était-elle vraiment profitable ? Les profits en sont-ils mesurables, et avec quels outils ?
Quelle est l’importance du commerce extérieur pour l’économie française, la réponse est pour le moins nuancée.
Certes l’économie s’ouvre mais le commerce extérieur ne pèse que pour 12 % du produit physique brut, à la fin du siècle. Loin des 25 % d’aujourd’hui, qui intègrent pourtant les services de façon plus précise.
Évidemment, dans ce domaine, et grâce tout de même à des marchés captifs, le commerce extérieur britannique s’avère plus florissant que celui de la France. Paradoxalement, durant ce siècle le commerce avec l’espace méditerranéen décline au profit de celui avec l’Europe du Nord, début peut-être d’un processus de sous-industrialisation, et même de désindustrialisation qui frappera l’arc méditerranéen au moment de la Révolution industrielle.
Pour autant, les grandes places portuaires voient la fortune de leurs marchands croître largement, ces derniers disposant de larges capacités d’autofinancement. Nantes, Bordeaux, Marseille profitent largement de ce commerce d’armateurs. Les profits de l’investissement maritime sont largement supérieurs au profit intérieur, sans doute parce que les investissements par rapport aux bénéfices, même avec les risques, étaient proportionnellement assez faibles.
La France n’est, au XVIIIe siècle, ni immobile ni en déclin. Pourtant ses formes de développement sont largement archaïques, mais les négociants, les marchands sont, en tant qu’intermédiaires, les bénéficiaires et les créateurs de la richesse. Les campagnes, même dominées par les négociants et, sans doute grâce à eux, étaient un lieu de création et de dynamisme. Cela explique sans doute la grande sensibilité de ces campagnes aux difficultés sociales et économiques de la fin du siècle et le grand désir de changement qui les atteint à la fin des années 1780.
Les bases économiques de la Révolution Française que l’on pouvait trouver chez des auteurs marxisants pourraient se trouver ainsi réhabilitées. Par contre, du fait de la rigueur documentaire de cette thèse, les idées selon lesquelles la main invisible du marché, mise en avant par les théoriciens du libéralisme, serait à l’origine du développement, est largement mise en cause. En effet, dans les deux cas opposables de la France et de l’Angleterre, rôle de l’État et marchés captifs ont été les catalyseurs de ce développement du commerce et de la prospérité. De quoi donner à réfléchir…
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