Présentation :
Née en 1958, Sabrina Mervin est une historienne de l’islam et du chiisme contemporains. Spécialisée en histoire contemporaine, islamologie, anthropologie et en sciences des religions, elle exerce dans les mondes orientaux. Après avoir soutenue une thèse consacrée aux ulama libanais, Sabrina Mervin devient en 2001 chargée de recherche au CNRS. Son goût et sa passion pour l’histoire du Moyen-Orient la mènent entre 2004 et 2008 à travailler à l’Institut français du Proche-Orient.
Elle a codirigé l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman entre 2008 et 2011, puis dirige le Centre Jacques Berque entre 2015 et 2017. Ainsi, tout son cursus est marqué par les voyages à travers le monde arabo-musulman, ce qui a enrichi ses travaux historiques avec un recul spatio-temporel dans des zones géographiques où la religion est la cause de nombreuses tensions géopolitiques. Sabrina Mervin a ainsi traité des thématiques généralement ciblées sur la conception politique et juridique de la religion musulmane, par exemple Le Hezbollah : état des lieux, paru en 2008, ou Islams politiques. Courants, doctrines et idéologies édité en 2017.
Publié en 2010 chez Flammarion, ce livre traite la genèse de l’islam afin de comprendre les racines et divergences au sein d’une même communauté en traitant les trois grandes branches musulmanes qui sont le kharijisme, le sunnisme et le chiisme. Par conséquent, l’auteur met l’accent sur la base du développement continu de la doctrine entre le réformisme et la tradition. Ouvrage dense de 381 pages, il est composé d’une partie d’étude de dix chapitres et d’un glossaire critique proposant une déconstruction historique de notions, acteurs, lieux et concepts de l’islam. Des notes de bas de pages, un index, une bibliographie et quelques planches enrichissent le livre.
Résumé :
Selon la tradition musulmane, l’Arabie est avant la révélation (al-tanzil) une jâhilîya, c’est-à-dire « ignorance avant la Révélation », mais également une civilisation, un État. La représentation musulmane de l’Arabie est donc celle d’un pays anarchique et désertique, parcouru par des tribus nomades querelleuses, vouées au polythéisme. Ainsi coexistaient des idées religieuses très diverses qui pouvaient parfois se rencontrer et s’interpréter. Les religions monothéistes se retrouvent avec d’énormes similitudes à la différence des croyances polythéistes.
Ce qui caractérise particulièrement la vision monothéiste de l’islam est le prophète Abraham qui fait partie des premiers patriarches de la Bible et est considéré comme le fondateur du monothéisme de tradition « abrahamique » par le judaïsme, le christianisme et l’islam. Ce qui montre que la religion de Mahomet ne se définissait pas seulement par rapport au hanafisme mais aussi par rapport aux deux religions révélées connues en Arabie qui sont le christianisme et le judaïsme. L’islam serait ainsi né au Hedjaz, une région de l’Arabie qui s’étale le long de la Mer rouge.
Le Coran est le texte sacré de l’islam qui reprend, pour les musulmans, « verbatim » la parole de Dieu, Allah. Considéré comme le premier et le plus ancien document littéraire authentique connu en arabe, il est perçu par la tradition musulmane comme inimitable dans la beauté de sa structure et dans ses principes moraux et éthiques. Selon l’époque ou le courant de l’islam, le Coran fait l’objet de modes d’interprétation différents suivant l’exégèse coranique exotérique (Tafsir). En effet, plusieurs hadiths soulignent la nécessité de décrypter les significations de versets. Dès les débuts de l’islam, certains compagnons de Mahomet prônent une exégèse du texte coranique ne prenant pas en compte des éléments extérieurs.
La question de l’usage des traditions s’est rapidement posée et l’opinion majoritaire durant les trois premiers siècles est qu’une exégèse personnelle n’est pas valable, ce qui est a contrario une preuve de l’existence d’un courant défendant ce point de vue. C’est ainsi que les spéculations autour du Coran allaient amener à l’élaboration du droit islamique qu’on appelle le Fiqh, somme des connaissances acquises au moyen de l’exégèse du Coran. Racontant la vie de Muhammad, la Sira contient la Sunna qui expose de manière systématique le comportement du Prophète que le croyant est invité à imiter. Alors qu’au fil du temps, la Sira forme un genre indépendant de biographie, la Sunna est recueillie dans les hadiths, c’est-à-dire les “traditions” de Muhammad, ses paroles ou ses actions qui ont un contenu moral ou légal guidant les croyants. Débutant au VIIIe siècle, l’aventure de la Sira glorifie le Prophète au fil des siècles et le présente comme un beau modèle pour le croyant.
Elle donna aussi naissance à une poésie en son honneur, toujours chantée lors des grandes fêtes. Elle prend enfin une tonalité plus apologétique à partir du IXe siècle. La Sunna, quant à elle, est rassemblée au milieu du IXe siècle dans les Six Livres (al-kutub al-sitta) dans lesquels plusieurs milliers de hadiths sont classés selon les domaines de la vie du musulman (foi, prière, jeûne…). Leur établissement donne naissance à une science islamique particulière et ils sont avec le Coran une source majeure du Fiqh. Par la suite, diverses anthologies de hadiths sont réalisées, souvent composées de 40 hadiths, dont l’un des plus célèbres est le Kitab al-arba’in d’al-Nawawî, un best-seller que son auteur présente comme un résumé des bases de l’Islam.
Le droit islamique se base sur deux notions : le fiqh et la charia. Le fiqh est l’interprétation temporelle des règles de la charia. Il s’agit d’une compréhension du message de l’islam sur le plan juridique, bien qu’il ne s’y limite pas. Le savant en matière de fiqh se nomme faqih. Les deux mots, charia et fiqh étant polysémiques et ayant donné lieu à une multitude d’interprétations et de définitions par les savants islamiques, il n’existe pas réellement dans le détail de consensus sur la relation entre les deux. Pour Ibn Manzûr, « le terme fiqh signifie la perspicacité, la compréhension et la maîtrise d’un savoir quel qu’il soit ». Il existe plusieurs écoles ou madhhab (voie) de fiqh, tant dans la branche du sunnisme que dans celle du chiisme. Ces écoles prennent généralement le nom du juriste qui les a fondées.
Les quatre principales écoles du sunnisme aujourd’hui sont le hanafisme fondée par l’imam Abû Hanifa, faisant à sa création une large part au jugement personnel (ra’y) et au raisonnement par analogie (qiyas) mais acceptant l’approbation (istihsan). Il est répandu au Moyen-Orient, Asie du Sud et Chine. La deuxième école, fondée par l’imam Malik, est le malékisme qui se retrouve dans la majeure partie de l’Afrique. La troisième école est le chaféisme, fondé par l’imam Chafii est suivi en Afrique de l’Est et en Asie du Sud-Est. Pour finir, le hanbalisme fondée par l’imam Hanbal, élève de Chafii, qui rejette toute idée d’innovation (bida’). C’est la seule école reconnue par l’Arabie saoudite. L’élaboration de la théologie commence par le mutazilisme qui est une importante école de théologie musulmane apparue au VIIIe siècle. Le mutazilisme est aujourd’hui peu représentée dans la communauté musulmane, bien qu’il en fût autrefois un courant majoritaire, notamment durant une période du califat abbasside.
Des écoles de théologie aujourd’hui importantes comme l’acharisme sont en contradiction avec elle. Le sunnisme, le courant religieux majoritaire de l’islam, est parfois apparenté à une vision orthodoxe de cette religion. Par opposition aux chiites et aux kharidjites, on appelle parfois les sunnites les « musulmans orthodoxes », bien que l’islam ne comprenne aucun magistère censé définir légitimement une telle norme. Le critère de l’ijmâ’, auquel les penseurs sunnites ont parfois recours pour définir leur système, se présente comme une règle idéale que chacun invoque et applique à sa manière. Dans l’islam sunnite, l’orthodoxie est le résultat d’une alliance tumultueuse et de longue durée, sous le règne des Abbassides, entre les gens du savoir religieux.
Appréciations :
Cet ouvrage est un excellent manuel, construit de manière scolaire et thématique qui permet de mieux l’utiliser à des fins académiques. Il reste néanmoins très dense et difficile à cause des termes théoriques utilisés. Cependant, un glossaire critique est présent dans la seconde partie de l’ouvrage, ce qui permet à un public assez large de bénéficier d’un apport de connaissances sur le sujet ou encore la langue arabe. De plus, la bibliographie comporte les études les plus récentes.
Ce livre traite l’ensemble de la période musulmane, de la création de l’islam à ses courants actuels en abordant tous les modes de pensées de cette religion complexe et qui fait objet d’incompréhensions et de réticences de nos jours. Contrairement à des essais ou d’autres ouvrages portant sur la question religieuse, cet ouvrage reste neutre sans idéologie dominante ou politique apparente à un courant religieux particulier. Il reste intéressant car il pose une réflexion scientifique sur un sujet qui cristallise des tensions et des amalgames ces dernières décennies. Enfin, il a le mérite d’éclairer et de mettre en avant la multiplicité des façons d’envisager les pratiques de l’islam.
Compte rendu réalisé par Laila Douzi, étudiante en hypokhâgne (2020-2021) au lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’une initiation à la réflexion en histoire.