Sous la direction de Stéphane Courtois, directeur de recherche honoraire au CNRS, spécialiste du communisme et du totalitarisme, une équipe de chercheurs internationaux cherchent à expliquer comment la Révolution de 1917 fut aussi l’acte de naissance d’un État totalitaire et analyse les méthodes d’organisation pour concrétiser cette utopie à l’intérieur et à l’étranger.

Historien et universitaire français, directeur de recherche au CNRS (Université Paris X), professeur à l’institut catholique d’Etudes Supérieures (ICES) de la Roche-sur-Yon, spécialiste de l’histoire des mouvances et des régimes communistes, auteur d’ouvrages sur le communisme et le totalitarisme, il est également maître d’œuvre du Livre noir du communisme (Laffont 1997) et le fondateur de revue Communisme fondée en 1982, devenue publication périodique chez Vendémiaire.

Il présente ici un ouvrage consacré à la révolution de 1917, scindé en deux parties « Du putsch bolchevique au parti-état totalitaire » où le processus de prise de pouvoir par les bolchéviques est décrite en huit articles, dans la deuxième partie, « le Charme universel d’octobre » le déploiement dans le monde de la propagande bolchevique et ses conséquences sur les relations internationales et sur l’URSS.

Dans le premier chapitre, « N’oublions pas Lénine », Stéphane Courtois fait le constat que « le centenaire de 1917 et des révolutions dites de février et d’octobre a amené son lot de commémorations, d’évocations et de rappels historiques, ceux-ci s’avèrent assez décevants et fort convenus ». Ce qui est décevant et convenu est de se souvenir que de 1917, sans trop d’explications. Dans ce chapitre, il apporte un éclairage sur l’antériorité de la crise. Plusieurs facteurs ont convergé et l’étincelle fut l’abdication du Tsar le 15 mars 1917. Ce sont des circonstances conjoncturelles et structurelles qui ont permis l’émergence de plusieurs noyaux de pouvoirs qui tentèrent de rétablir un ordre. Des éléments d’avant 1914 refirent surface, dont la paysannerie, qui finalement n’agit pas. Enfin, la poursuite de la guerre contre laquelle les bolchéviques prônaient la désobéissance. On le comprend, tout est instable. C’est dans ce contexte que Lénine put mettre en pratique la théorie qu’il avait élaborée pendant ses années d’exil, influencé par Marx et Engels, il installa très vite le premier régime totalitaire de l’histoire.

Dans le chapitre intitulé « 1917, révolution russe et révolution bolchevique » Ettore Cinella, professeur émérite à l’Université de Pise apporte des précisions terminologiques et conceptuelles et redéfinit les bornes chronologiques : de 1905 à 1921. Pendant cette période, la révolution bolchevique est l’aboutissement du séisme révolutionnaire de 1917. Ainsi, il est faux de dire que 1905 n’est que le prologue de 1917, car en douze ans, des questions n’ont pas été réglées et une nouvelle société s’est mise en place.

L’exemple de Boris Kritchevski. Un « anti léniniste de la première heure » montre comment la Russie s’est doucement plongée dans la catastrophe et comment elle s’est isolée. Le système soviétique a mis en place un système judiciaire inique. Nikita Petroc, historien et membre de l’ONG Mémorial (qui œuvre à la mémoire des victimes de répressions) décrit comment le système soviétique a mis en place des bourreaux « au tout début de l’année 1918, la VTchK proclama son droit à des exécutions extrajudiciaires » (p69). Le 5 septembre 1918, le SOVNARKOM instaure la « Terreur rouge ». Tout au long de l’article on assiste à la mise en place de cette terreur : recrutement des bourreaux, création d’un groupe spécial autour de Blokhine, quelle vie menaient-ils, comment cela forgea une nouvelle sociabilité et comment il était primordial de faire disparaître les cadavres.

La mise en place d’un système extra-judiciaire ne suffisait pas, il était primordial de créer une armée, car malgré l’utopie léniniste, il fallait bien admettre que la guerre était là. Roger R. Reese, professeur d’Histoire à l’Université du Texas décrit comment l’idéologie soviétique se heurta violemment à cette réalité, dans son article « Les bolcheviks et la création de l’Armée rouge ». Fondée entre 1918 et 1923 par des hommes hostiles à l’armée, qui considéraient qu’un état socialiste n’en n’avait pas l’utilité, elle fut très vite mal organisée. Par idéologie, ils choisirent de recruter dans les soviets locaux, mais le niveau de formation était faible. Trotski décida alors de rappeler des anciens militaires tsaristes. Finalement, l’Armée rouge revint à la même organisation que le régime tsariste, et le résultat fut une catastrophe en 1941.

Le 7 novembre 1917, Lénine affirme « nous devons entreprendre la construction de l’Etat prolétarien socialiste » et ne tolère aucune dissension dans son parti. Pourtant, comme le montre Olivia Gomolinski en évoquant le cas de Lozovski « de l’opposition à la normalisation : Lénine versus Lozovski », certains essayèrent de s’opposer. Lozovski, célèbre dans le milieu syndical affirme son désaccord au point d’être exclu du parti le 12 janvier 1918. Il prend ensuite la tête du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie internationaliste (POSDRI), parti composé d’intellectuels et de révolutionnaires professionnels. Les bolcheviks exercent des sanctions. Finalement le POSDRi se rallie au parti bolchevique : Lozovski est entré dans la norme.

Les relations avec les autres puissances sont aussi un enjeu pour la Russie soviétique. Françoise Thom, maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne, montre comment la diplomatie bolchévique a su s’imposer aux grandes puissances, qui pourtant, au début, s’attendaient à un effondrement de ce nouveau régime. Dans un premier temps, les bolcheviks « testent » et provoquent les ambassadeurs des puissances étrangères qui ne reconnaissaient pas encore ce nouvel état, car personne ne comprend véritablement ce qu’est ce nouveau gouvernement, ni ne réalise la menace qu’il représente pour l’Europe. Finalement, cela s’est terminé par « une coexistence parasitaire entre l’Etat communiste et le reste du monde. Elle a prolongé l’existence du régime mais ne lui a permis d’atteindre aucun des objectifs à long terme qu’elle s’était fixé » (p 161).

Après les relations avec l’Occident, Pierre Grosser, professeur d’histoire des relations internationales à Sciences Po Paris, propose une analyse de « Moscou et l’Asie, 1917-1937 : guerre chaude, guerre froide et bruits de guerre » dans lequel il montre comment les questions asiatiques furent essentielles pour l’affirmation et l’expansion du communisme. Aidant à la création du PC chinois, la Russie soviétique fait tout pour ancrer son idéologie en Asie. Le résultat de cette politique fut le rapprochement du Japon et de l’Allemagne, qui signèrent le Pacte anti-Komintern en 1936 : l’URSS était prise entre l’Est et l’Ouest, par ailleurs avec l’appui de la Chine qui fournirait des ressources, cela aurait été une catastrophe.

Après avoir présenté les problématiques intérieures, il est intéressant d’analyser comment l’URSS a cherché à étendre son influence à l’étranger. Cette deuxième partie intitulée « le charme universel d’octobre » exprime bien l’ambition des bolcheviks.

Avec son article « Komintern : les deux faces de Janus. La Matriochka de la Révolution mondiale », Antonio Elorza professeur à l’Université Complutense de Madrid, explique comment Lénine puis Staline voulurent diriger tous les PC du monde. Il fallut s’adapter, organiser bureaucratiquement l’installation du réalisme politique. Mais la guerre d’Espagne et la seconde guerre mondiale eurent raison de cette organisation. En 1941, le Komintern devient le Kominform « organe d’assistance informative, idéologique et politique ».

La Révolution d’Octobre toucha la gauche allemande, ce que démontre Werner Müller dans sa contribution « la révolution d’octobre et la gauche allemande ». Pour les bolcheviks, il fallait déclencher une révolution en Allemagne. Les années 1919 et 1920 furent jalonnées de tentatives d’imposer les principes de la révolution d’octobre, et ceci encore plus en 1923.

La Hongrie connut également des bouleversements en 1918-1919, qui souffre d’un « brouillage mémoriel » (p 259). Mars 1919, les communistes prennent le pouvoir, et cela semble basculer vers le bolchevisme. Dans son article, « la république des conseils en Hongrie », Catherine Horel, directrice de recherche au CNRS, SIRICE université Paris I, montre comment cette époque fut brouillée et donc répond à cette problématique, en éclaircissant cette période, et explique la complexité de la situation en Hongrie puis comment, après la Seconde guerre mondiale, dans les années 1960, sont construits des monuments qui font expressément référence à la République des Conseils.

En Italie, les années 1919-1920 furent aussi marquées, au point de les appeler Bienno rosso. Eric Vial, professeur à l’Université de Cergy Pontoise, laboratoire Agora, dans son article « Notes sur l’Italie », évoque « à grands traits » le terreau local antérieur, la réception des révolutions de février et d’octobre et leurs manifestations dans les crises d’après guerre.

Enfin, pour clore ce tour du monde des influences bolchéviques dans le monde, Lucien Bianco, directeur d’études émérite à l’EHESS nous conduit en Chine pour analyser la « Révolution bolchevique et communistes chinois ». Dans cet article, il retrace la formation du mouvement communiste d’octobre 1917 au premier congrès du PCC en juillet 1921. Ensuite, il analyse et définit « les rapports entre la révolution mère et son rejeton chinois » avant et après la fondation de la République Populaire de Chine, en 1949.

Cet ouvrage richement et précisément sourcé apporte un éclairage nouveau sur la Révolution de 1917.

Cet ouvrage est très utile pour construire un cours plus original, en classe de troisième.