Ce numéro de « sécurité globale » rassemble différentes contributions qui viennent compléter les informations multiples sur ce phénomène qui accompagne la mondialisation, à savoir la piraterie maritime. Sur tous les océans du globe, ce sont en effet de véritables fortunes qui circulent et qui attirent forcément la convoitise de pirates.

Corolaire de la mondialisation, la piraterie maritime semble difficile à éradiquer simplement parce que les facteurs qui la font prospérer sont multiples. Le sous développement, l’inexistence d’états riverains stables, comme en Somalie et au large du golfe d’Aden, connexions avec la grande criminalité organisée sont les différents facteurs, à la fois causes et conséquences de cette forme spécifique de la criminalité.
On s’interrogera pourtant sur les liens avec le terrorisme et sur la coordination des efforts des grands États qui entretiennent de véritables armadas dans les zones à risque. pourtant, en raison de l’étendue des espaces en cause, de la mobilité des groupes de pirates, les possibilités de venir à bout rapidement du phénomène sont limitées. Pourtant, dans le détroit de Malacca, la coordination des États riverains a pu limiter l’impact de cette piraterie pourtant ancienne et structurée autour de véritables mafias.

Un phénomène vieux comme le monde

La piraterie maritime prospère sur les failles de l’ordre international. Elle produit un effet de nuisance en raison des déséquilibres géopolitiques potentiels qui sont inhérents à sa logique. Structures non-étatiques, liens possibles avec le terrorisme, concentrations de forces potentiellement destabilisantes dans des zones de passage clés, etc. Elle contribue aussi au renchérissement du coût du transport maritime du fait de l’augmentation des primes d’assurances.

Les Nations unies sont en capacité de redonner une cohérence aux différentes initiatives et politiques en cours. Mais rien ne sera possible sans la ferme volonté politique de privilégier la stabilité des États riverains d’où les pirates sont, la plupart du temps issus.

La piraterie maritime à l’échelle industrielle n’est pas un phénomène récent : César a été pris en otage par des pirates en Méditerranée pendant trente-huit jours avant d’être libéré contre rançon. Son rival Pompée monta une expédition contre les bandes navalisées qui écumaient les côtes méditerranéennes. À la tête de 120000 hommes et 500 navires, Pompée ferme le détroit de Gibraltar, divise la mer en treize secteurs qu’il confie à chacune de ses treize escadres. Après trois mois de ratissage coordonné il oblige les pirates à se réfugier à terre, où ils sont aisément vaincus par les troupes qui en tiennent les points clés.

Les villages de l’arrière-pays de la Côte d’Azur ont subi des raids “barbaresques” pendant le Moyen-Âge finissant et la Renaissance. La piraterie en Méditerranée, soutenue par les entités paraétatiques de la rive sud liées à l’empire ottoman a conduit à l’intervention française en Algérie en 1830 et à la première présence étasunienne dans le Golfe de Syrte face à la Lybie. .

Depuis des siècles, la piraterie maritime a donc été l’un des nombreux facteurs encadrants des relations internationales dans certaines parties du monde. Mais elle semble ces dernières années prendre un relief particulier dont on peut trouver la cause sur deux plans. D’une part, le monde occidental y est plus sensible qu’auparavant en raison des nouvelles fragilités d’une économie mondialisée. D’autre part, elle est le déclencheur d’une prise de conscience de changements d’ordre géopolitique.

Les coffre-forts flottants

a. L’importance de la navigation commerciale

L’élément liquide recouvre plus de 70 % de notre planète, et sépare les populations autant qu’il les unit. Près de 2,3 milliards de personnes, soit le tiers de l’humanité, vivent à moins de 100 km des côtes. Les mégalopoles sont pour la plupart côtières : Los Angeles, Sào Paulo, New York, Tokyo, Shanghai…

C’est 90 % du commerce mondial, en poids et en volume, qui transite annuellement sur les océans, qui servent ainsi des flux stratégiques entre centres de production et centres de consommation. La capacité d’emport des navires, qui ne fait que croître avec le temps et les progrès techniques, en fait le moyen le plus économique pour déplacer des biens d’une région du monde à l’autre, très loin devant le vecteur aérien qui demeure onéreux.

Le transport maritime demeure celui qui laisse la plus faible empreinte écologique et reste le vecteur préférentiel d’une économie qui se veut maintenant durable.

b. Les cibles des pirates

Le commerce maritime repose sur la liberté d’usage des eaux internationales, qui, contrairement à l’usage de l’espace terrestre ou aérien, est un véritable objet du droit international, que ce dernier garantit et protège. La remise en cause de cette liberté par la piraterie maritime porte alors une atteinte directe à l’un des ressorts essentiels de l’économie mondiale, mais pas seulement : elle entraîne aussi des répercussions géopolitiques.

La cible globale de la piraterie, ce sont les quelque 50000 navires de fort tonnage qui effectuent à eux seuls 80 % du transport maritime. Les pirates peuvent viser des valeurs (bateaux de plaisance), les navires eux-mêmes pour les revendre, la cargaison pour l’échanger, ou encore des otages, qu’il s’agisse de membres d’équipage ou des passagers qui seront échangés contre une rançon. Certains groupes armés se font une spécialité d’attaquer les bateaux de pêche.

Les espaces des pavillons noirs

Les actes de piraterie recensés sont essentiellement concentrés dans une bande comprise entre l’équateur et le tropique du Cancer.

a. La piraterie en Asie du Sud et du Sud Est

Le principal foyer le plus actif dans la durée se situe en Asie du Sud-Est, dans les eaux de la mer de Chine méridionale, du golfe du Bengale et du détroit de Malacca, large par endroits d’un mile nautique et demi seulement. Ces parages sont des zones d’activité traditionnelle de la piraterie depuis plusieurs siècles. L’on peut même parler de piraterie endémique, appuyée sur des solidarités claniques, confessionnelles ou maffieuses du type triades chinoises.

Elle peut-être parfois considérée comme une forme un peu extrême de compétition commerciale, ou l’un des avatars de la lutte pour le contrôle des trafics. Du fait de l’action d’Étas riverains solides, la piraterie dans le détroit de Malacca a encore baissé, passant de sept en 2007 à deux seulement en 2008.

Depuis quelques années, les États de la région, Indonésie, Bangladesh, Malaisie et Singapour, ont mis en œuvre une coopération efficace, activement soutenue par les États-Unis, fondée sur l’échange de renseignements et la coordination de patrouilles dans ces eaux autrefois infestées de pirates. C’est la preuve qu’il est possible d’obtenir des résultats probants, au moins localement et ponctuellement car ces efforts sont très consommateurs en ressources humaines et matérielles, ce qui pose la question de leur durabilité.

b. La piraterie dans le Golfe d’Aden

Très médiatisé avec des araisonnements de pétroliers, de bateaux de plaisance, la piraterie ne se limite pas à la Somalie. Ce foyer est centré sur le golfe d’Aden et s’étend sur un axe nord-sud, des côtes de la péninsule arabique aux abords de la Tanzanie. Selon le Bureau maritime international, il y a eu une hausse de 11 % des actes de piraterie au large des côtes somaliennes entre 2007 et 2008. Pour cette année seulement, 42 navires ont été détournés et 815 marins pris en otages.

c. Les autres zones

Une troisième grande zone propice aux activités de piraterie est le golfe de Guinée, au large du Nigeria et du Cameroun. Enfin, dans les Antilles, les pirates sévissent dans l’espace maritime bordé par Cuba et Haïti au nord, la péninsule du Yucatân à l’ouest et le Venezuela au sud. Dans les Caraïbes, ce sont essentiellement les bateaux de plaisance qui sont visés.

Il existe également deux foyers mineurs mais persistants le long des côtes sud-américaines, plus précisément au large du Pérou et du Brésil. Souvent, les navires de fret sont attaqués lorsqu’ils font relâche dans un port; c’est le cas au large du Pérou (Callao), du Bangladesh (Chittagong) et de l’Indonésie (Blongan, Belawan, Balikpapan), et de la Tanzanie (Daar es Salaam).

Les bandes sont toujours plus lourdement armées et n’hésitent pas à tirer au lance¬roquettes pour faire arrêter un récalcitrant. La vulnérabilité des navires est renforcée par la diminution constante du nombre de membres d’équipage en raison de l’automatisation croissante des tâches.

Les statistiques globales ne reflètent qu’imparfaitement la vérité, puisque tous les actes de piraterie ne sont pas rapportés, et surtout, malgré des systèmes de mise en garde quasi en temps réel, elles ne permettent pas d’identifier rapidement des changements brutaux dans la situation sécuritaire au large de certaines côtes.

Ce numéro s’ouvre par un entretien avec Jean-Marie Bockel, secrétaire d’état de la Défense et des anciens combattants auprès du ministre de la Défense du 18 mars 2008 au 23 juin 2009. Depuis le 23 juin 2009, il est secrétaire d’État auprès de la ministre de la Justice et des libertés.

Dans cet entretien, cet homme politique qui a pu symboliser l’ouverture, (Il a été membre du Parti socialiste) justifie l’intégration de la France dans l’OTAN. Également annoncé dans cet entretien, la tenue à l’automne prochain des assises de la pensée stratégique, sous l’égide du ministère de la défense. Cette réflexion s’inscrit dans une démarche qui est celle des think thanks, que l’on a pu voir se développer outre atlantique. Il s’agit également de promouvoir les industries de défense, ce qui n’est somme toute pas inutile, puisque les projets d’industrie de défense européenne restent quand même limités.