La guerre en Ukraine semble nous avoir éloignés de l’arène géopolitique qu’est le Moyen-Orient. Et pourtant, il demeure une région centrale dans les relations internationales.

Pour cet objet géopolitique mal défini, dont le périmètre varie fortement en fonction des points de vue, les auteurs, Pierre Blanc, enseignant chercheur en géopolitique à Sciences Po Bordeaux et rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée, et Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée/Moyen-Orient, ont retenu la définition restreinte européenne (pays du Levant autour desquels se trouvent la péninsule arabique au sud-est, la Turquie au nord-ouest, l’Egypte au Sud-ouest et l’Iran au nord-est).

La situation au Moyen-Orient n’est pas une crise mais un basculement historique, captant ainsi les regards inquiets de tous ceux qui sont attachés à la paix. Pour ne serait-ce qu’espérer une stabilité régionale, il est ainsi indispensable de comprendre les origines de la violence. Révolte des Iraniennes contre la police des mœurs violemment réprimée, enlisement du conflit israélo-palestinien et de la guerre au Yémen, occupation des territoires syriens par l’armée russe et rationnement de la population… En 2023, la guerre civile en Syrie entre dans sa douzième année, avec un bilan qui dépasse des 500.000 morts. La rivalité de puissance entre Iraniens et Saoudiens entretient la division entre Sunnites et Chiites dans tous les pays où ils sont présents ensemble. Les dérives de l’islamisme vers le djihadiste sunnite, dont Daesh reste peut-être encore le groupe le plus influent malgré sa défaite militaire, ne sont qu’un des nombreux éléments de la longue liste de conflits et d’acteurs, non exhaustive, présente dans cet atlas. Elle suffit à mesurer l’acuité de la violence dans un Moyen-Orient où l’usage de la force, en dehors de tout cadre légitime, prévaut dans les relations interétatiques aussi bien que dans les rapports internes. Les événements récents continuent à s’inscrire dans une actualité tragique, avec, en jeu, le destin d’Etats de peuples et de sociétés civiles parfois en lambeaux.

L’atlas est illustré par plus de 120 cartes et documents, entièrement mis à jour, réalisé par Claire Levasseur, cartographe indépendante qui collabore régulièrement aux ouvrages Autrement. L’ouvrage reprend, en les actualisant, les thématiques traitées dans les éditions de 2016 et 2019 (dont les comptes rendus ont été rédigés par Jean-Pierre Costille et Typhaine Augeard-Robert ) :
• Les racines historiques des conflits actuels depuis l’effondrement de l’Empire ottoman.
• Les impasses politiques des régimes autoritaires et les dérives nationalistes, islamistes et sionistes.
• Pétrole, gaz, eau, terres : des ressources stratégiques très disputées.
• Les intérêts et stratégies des grandes puissances dans la région.

Il nous éclaire ainsi sur les origines multiples des violences au Moyen-Orient, cet ensemble géopolitique allant de la Turquie au Yémen, et de l’Égypte à l’Iran. L’histoire, la science politique et la géographie sont des outils indispensables pour analyser les raisons du déploiement de la violence au Moyen-Orient. Mais, selon les auteurs, expliquer les origines de la violence est aussi une façon de montrer comment les paix – car tous les conflits ne sont pas strictement liés – sont possibles.

Organisé en quatre parties, comme les éditions précédentes, ce nouvel atlas propose aussi pour aller plus loin une riche bibliographie.

Héritiers et déshérités de l’histoire

Cette première partie reprend largement celle déjà présente dans les éditions de 2016 et de 2019. L’idée est que, pour expliquer ce qui se joue aujourd’hui au Moyen-Orient, le recours à la longue durée est indispensable, à commencer par le poids de la Première Guerre mondial, avec l’impact de l’empire ottoman et des génocides.

Carte du génocide des Arméniens et des Assyriens (entre 1915 et 1918)
Pendant des siècles, l’Empire ottoman a permis à des populations aux identités très contrastées de vivre côté à côté sans qu’il y ait de confrontations majeures. Sans idéaliser cette cohabitation dont certains ont beaucoup souffert, l’essentiel de la vie de chacun se déroulait au sein de sa communauté d’appartenance.

A partir des premières années du XXe siècle, ce système s’est effondré sous les coups de boutoir d’une conception radicale de nation, entrainant des épurations ethniques et le premier génocide de l’Histoire. La suite de cette première partie a été parfaitement résumée par dans le compte-rendu de Jean-Pierre Costille que je me permets de citer : « Cinq doubles pages explorent ensuite les destins très différents de pays comme l’Arabie, devenue Saoudite, l’Iran, l’Egypte, Israël, et n’oublie pas d’examiner ce que les auteurs appellent les nations « oubliées », à savoir Kurdes et Palestiniens. Les auteurs donnent des jalons religieux en consacrant ensuite une entrée à la fitna et une à la place des chrétiens. A ce propos, ils s’interrogent sur le fait que, malgré une implantation ancienne, l’exode en train de se dérouler pour eux est peut-être définitif ».

Dérives idéologiques et politiques

Pour Max Weber, « la politique a le goût de l’avenir ». Il entendait par là qu’un pouvoir légitimé par l’exercice électoral projette son action dans un futur à construire. Au Moyen-Orient, le politique est plutôt marqué du sceau de l’impasse. Les systèmes politiques sont très rarement démocratiques et les élections n’ont souvent que des effets limités, quand elles ne sont pas des leurres.

En outre, les idéologies qui ont dominé l’espace politique de cette région (le sionisme, le nationalisme arabe et l’islamisme) ont dérivé vers plus de radicalité politique. Par exemple, pour le sionisme, les auteurs, après une intéressante recontextualisation, expliquent comment il est passé « de l’émancipation à la domination », devenant ainsi une idéologie d’oppression et d’occupation, parlant même de radicalisation pour la situation actuelle. Le nationalisme arabe s’est vidé de sa substance pour ne garder que son autoritarisme. L’islamisme, parfois parvenu au pouvoir (en Turquie, en Iran dans sa version chiite, en Egypte de manière éphémère entre 2011 et 2013 et en Arabie saoudite), a aussi livré son avatar brutal avec le djihadiste.

Frises chronologiques : le nationalisme arabe en trois phases
Né au tournant du XIXème siècle, le nationalisme arabe a été porteur de promesses pour les populations arabes longtemps sous tutelle de l’Empire ottoman. A ses débuts, il offrait aux Arabes un projet d’émancipation collective fondé sur l’insistance de leur communauté culturelle. Cependant, après ce temps de renaissance (Nahda), des bifurcations funestes l’ont conduit à asservir les populations, voire à en massacrer certaines.

Entre abondance et rareté

La situation géographique du Moyen-Orient, entre Asie et Europe, le rehaussement de cette valeur géostratégique par le creusement du canal de Suez, les découvertes de gisement d’hydrocarbures ont pesé lourdement, au XXème siècle et encore au XXIème, dans le tracé des frontières des Etats de la région et dans la conflictualité régionale. Dans cette troisième partie, les auteurs dressent un panorama des différentes ressources de la région (hydrocarbures, eau, agricultures) et donnent des exemples de conflits qui en découlent. Ils se penchent également sur plusieurs lieux stratégiques, comme les canaux et détroits, véritables verrous stratégiques.

En plus des ressources économiques, qui balancent entre abondance et rareté, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud, proposent une analyse des ressources symboliques, très riches, avec une géographie du sacré. Réceptacle des religions abrahamiques, le Moyen-Orient est aussi le lieu de leurs frictions.

Les frontières de la guerre

Cette dernière partie est une étude des relations internationales et de la pluralité des formes de la guerre dans la région. L’héritage des frontières tracées dans les années 1920, la production d’idéologies de plus en plus exclusives et de régimes politiques autoritaires, ainsi que la singularité d’une région marquée par l’abondance et la rareté ont créé un état de conflictualité dont le Moyen-Orient ne parvient pas à s’extraire.

Plusieurs cas sont abordés, à commencer par les guerres interétatiques israélo-arabes, le conflit irako-iranien et les interventions en Irak. A ces guerres interétatiques d’hier ont succédé les guerres civiles au Yémen et en Syrie.

Dans un tel « fatras militaire », les forces onusiennes demeurent impuissantes, les grandes puissances jouent leur propre jeu et les puissances régionales, avec au premier chef l’Iran et l’Arabie saoudite, sont engagée dans une confrontation politique globale qui se prolonge sur le plan militaire par des interventions directes et indirectes en Syrie et au Yémen.

Carte sur les jeux d’influence au Moyen-Orient
Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud propose une intéressante double-page sur « le retour des empires ». La formule, selon eux, est facile et même contestable si on la prend au pied de la lettre mais elle devient intéressante si elle suggère de revenir à l’histoire longue. Les puissances dominantes d’autrefois sont à nouveau des acteurs incontournables.

Conclusion

Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud concluent cette troisième édition de l’Atlas du Moyen-Orient en expliquant que les événements en cours depuis le début du siècle ne sont pas une crise de plus mais certainement une bascule historique. En 2002, Ghassan Tuéni, Gérard Khoury et Jean Lacouture ont publié un livre d’analyses croisées sur l’histoire contemporaine de la région, intitulé Un siècle pour rien. Ce titre provocateur n’a, selon les auteurs de l’atlas, pas perdu de sa pertinence. Aujourd’hui, le Moyen-Orient est déchiré et défiguré par de multiples conflits enchevêtrés qui, parfois, se nourrissent les uns des autres. Pour parvenir à une véritable paix, les obstacles à franchir sont énormes, d’autant que chacun des acteurs considèrent leur combat comme existentiel. Si la paix paraît donc impossible à moyen termes, cela ne signifie pas que le Moyen-Orient soit condamné à la guerre perpétuelle : « Les solutions politiques existent, notamment celles élaborées par le Conseil de sécurité de l’ONU votées à l’unanimité. Au moins la voie est-elle tracée… »

Comme toujours avec les Atlas Autrement, l’Atlas du Moyen-Orient est une référence et une lecture clé. Les auteurs nous proposent un ouvrage très pédagogique, aux contenus précis, superbement illustrés, avec des réflexions intéressantes et même, parfois, originales, bien que certains pourront les trouver trop engagées et que cette nouvelle édition n’apporte, finalement, que peu de nouveautés par rapport aux deux précédentes.

La grande richesse et la diversité des illustrations de Claire Levasseur, déjà constatées dans d’autres ouvrages des éditions Autrement font, comme d’habitude, de cet atlas une ressource indispensable pour les professeurs du secondaire. Elles peuvent être utilisées dans les programmes d’HGGSP, notamment dans le cadre sur la Guerre et la paix, mais également dans les chapitres consacrés aux nouvelles conflictualités depuis la fin de la Guerre froide. La première partie, et notamment les double-pages sur l’empire ottoman et le génocide arménien pourront également compléter le cours sur la Première Guerre mondiale.