Cet ouvrage s’inscrit dans une collection, « L’Histoire comme un roman », qui propose des ouvrages d’historiens retraçant dans un style romanesque des événements ou des destins exceptionnels. Le livre est donc à la fois un récit, mais il fait aussi le point sur l’événement évoqué. Pour se repérer, trois pages récapitulent les principaux personnages. Pour évoquer ces « espions ordinaires », quel meilleur guide qu’André Kaspi ? Rappelons qu’il est professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages sur les Etats-Unis dont le très synthétique « Les EU mal connus, mal aimés, mal compris ». Il nous entraîne donc à revisiter cette histoire qui, en pleine période de guerre froide, voyait des juifs américains transmettre les secrets de la bombe à l’URSS.

De l’arrestation à la chaise électrique

Dès le début on plonge au cœur de ce qui deviendra « une affaire ». On revit tout d’abord l’arrestation des Rosenberg. Ensuite, l’auteur s’intéresse au procès qui dura trois semaines et évoque par exemple le rôle d’Elizabeth Bentley « la reine espionne rouge ». Cette dénonciatrice professionnelle fut de tous les procès anticommunistes.
A l’occasion du récit, André Kaspi en profite pour nous introduire aux subtilités du système judiciaire américain, notamment sur les premier et cinquième amendements comme base de défense. Vaut-il mieux utiliser le premier autour de l’idée de la liberté de penser ou le cinquième qui stipule qu’on ne peut pas témoigner contre soi dans une affaire criminelle ? N’oublions pas non plus que si un des douze jurés prend une décision différente des autres, les accusés seront innocentés. Les Rosenberg sont, on le sait, déclarés coupables et condamnées à la chaise électrique. Pourtant, entre la fin du procès et l’exécution, il s’écoule un peu plus de deux ans, fenêtre pendant laquelle tout est encore possible. On assiste alors à une progressive médiatisation de l’affaire avec des arguments qui voudraient faire croire qu’il n’est pas question d’espionnage, mais d’antisémitisme. Le comité Rosenberg distribue 400 000 brochures, des comités fleurissent dans le monde. André Kaspi creuse et montre combien cette accusation d’antisémitisme est une manière pour l’URSS de cacher le sien propre.

L’affaire Rosenberg : l’Amérique des années 50

L’auteur replace les éléments en perspective en montrant bien que si le nom de Rosenberg est connu, celui de Fuchs est pourtant objectivement bien plus important pour comprendre l’acquisition de la bombe atomique par les Soviétiques. On a eu aussi parfois tendance à oublier que l’affaire Rosenberg fut aussi une affaire de famille, puisque David Greenglass, frère d’Ethel, travaillait sur la base de Los Alamos et fut un sympathisant communiste. De plus, les deux belles sœurs se détestaient. Enfin, Ethel est condamnée à mort sur le seul témoignage de son frère.
De la même façon, il faut penser l’affaire en liaison avec la guerre de Corée ou l’importance de l’espionnage soviétique : hors de question alors de faire preuve de faiblesse ! En 1950, les événements de 1936, et surtout leur enchaînement jusqu’en 1939, sont présents dans la mémoire collective. Il ne faut donc pas reculer en Asie, les Etats-Unis doivent lutter et donc la pièce Rosenberg trouve là sa place dans le puzzle international.
C’est cela qui pourra servir dans le cadre des cours pour aller un peu plus loin pour glisser en une phrase bien pesée ce qu’on a cru et ce qui fut vraiment.

A la recherche de la vérité

André Kaspi montre que ces Rosenberg ne cadraient pas avec l’image classique des espions notamment délivrée dans les films. Paradoxalement, cela accrut la paranoïa de par leur « banalité ». L’auteur cerne aussi avec beaucoup d’à-propos ce que c’est qu’être juif dans les années 50 aux Etats-Unis. Surtout il propose d’expliquer pourquoi il y eut, chez certains, un attachement au communisme. Cette partie aide véritablement à aller plus loin qu’un simple récit. L’antisémitisme est un crime d’état en URSS mais pas aux Etats-Unis à l’époque : il faut donc pour certains aider les Soviétiques.
L’affaire Rosenberg et le maccarthysme ont un point commun : l’un et l’autre résultent de la panique qui a saisi les Etats-Unis lorsqu’ils ont découvert, sans en saisir l’ampleur, l’espionnage exercé par les Soviétiques sur leur propre territoire.
André Kaspi tient à affirmer combien on ne peut plus mettre en doute les activités d’espionnage des Rosenberg. Il s’intéresse aussi à la « mémoire de l’affaire », car on peut distinguer plusieurs périodes entre le sentiment partagé de leur innocence et l’évidence de leur implication. Au début des années 8O, le journaliste Ronald Radosh travaille sur l’affaire pour révéler les agissements du FBI, et finalement aboutit à l’ évidente culpabilité des Rosenberg.
On redécouvre aussi l’opération Venona qui « ressemble à un roman comme il n’en existe que dans les milieux d’espionnage ». Qu’en retenir ? Sans espionnage, l’URSS serait tout de même arrivée au même résultat, c’est-à-dire obtenir la bombe, mais avec un peu de décalage. On aboutit à cette idée terrible, à savoir que « les Rosenberg exécutés nourrissaient autrement la propagande communiste ». Tout le monde avait donc intérêt à jouer un jeu de poker menteur : les Etats-Unis ne pouvaient livrer les preuves sans dévoiler qu’ils connaissaient une partie des espions au service des soviétiques. Les Rosenberg devaient clamer leur innocence pour se sauver et l’URSS joua un jeu particulièrement diabolique en les laissant mourir. Une rapide conclusion ramasse ensuite fort bien le propos.

Au total, il s’agit d’un livre agréable à lire qui fait le point sur une affaire très connue. Il s’avère utile pour nos cours dans le cadre d’un chapitre abordé en de nombreux niveaux de classe. Sans se cantonner à un simple récit, André Kaspi recontextualise l’affaire à la fois par rapport aux grands enjeux internationaux et aussi par rapport au destin des juifs américains dans les années 50. Il tente de nous faire comprendre, sans psychologisme inutile, le raisonnement des Rosenberg dans le jeu international de l’époque.

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