Florence Quentin, égyptologue, nous fait partager sa connaissance de cette civilisation antique dans ce dictionnaire illustré, paru aux éditions Hozhoni. Le format retenu de cet ouvrage, conçu comme un guide, autorise une lecture continue. Il a pour ambition de donner des clés de lecture à la compréhension de l’Égypte ancienne, sans se perdre dans des explications trop érudites. Entre le réel et l’irréel, le visible et l’invisible, la complexité des interactions entre la nature, l’humain et le divin nous est exposée. Mais la rédaction intelligible des notices, construites autour d’environ 220 entrées, ponctuées de nombreuses photographies couleurs, rend la lecture plaisante et enrichissante, loin de toute aridité ou austérité.
Pour tester la pertinence d’un tel guide-dictionnaire, nous l’avons mis à l’épreuve de l’analyse d’un fameux objet découvert dans la tombe de Toutankhamon (KV62). Nous avons choisi la coupe à boire en calcite (albâtre égyptien) en forme de fleur de lotus, trouvée à l’entrée de l’antichambre, portant le numéro 14 dans l’inventaire d’Howard Carter.
La photographie ci-dessous ne figure pas dans le présent ouvrage. Elle ne sert que de support à l’exemple d’une exploitation possibles des ressources textuelles de ce dictionnaire.
Plusieurs entrées sont à consulter : abeille, roseau, lotus, ankh, grenouille, Heh, Khepri, soleil, eau. La compréhension de ce vase repose essentiellement sur la portée symbolique du lotus et du dieu Heh. L’ouvrage remplit ici sa mission en livrant les éléments utiles à une première interprétation. La photographie montrant la divinité Heh dans le temple de Dendara (Haute-Égypte) complète bien le texte et constitue un réel apport (page 153).
En Égypte, l’eau est porteuse de vie. De chaque côté du pied conique poussent trois tiges de lotus. Cette plante, qui s’ouvre le matin et se referme la nuit, en suivant le lever et le coucher du soleil, est considérée comme un symbole de renaissance. La tige de lotus au milieu se termine par une fleur ouverte tandis que les deux autres s’achèvent par des boutons. Chacune des deux fleurs supporte une corbeille sur laquelle est assise une divinité aux bras levés, qui symbolise l’éternité. C’est l’image du dieu Heh, accroupi, un genou replié à angle droit, l’autre à terre. Personnification de l’espace et du temps, il porte dans chaque main un signe ankh, et une tige de palmier qui repose sur des têtards. Les tiges de palmier sans feuille dans ses mains symbolisent le décompte égyptien des années. Le têtard en-dessous, symbole de la vie renouvelée, représente le signe hiéroglyphique du nombre 100 000. Les Égyptiens l’ont sans doute adoptés parce qu’il nage toujours groupé en très grand quantité. 100 000 années de vie, c’est-à-dire une vie éternelle, sont censées prendre leur source de la fleur de lotus. En buvant à la coupe, le pharaon renaît perpétuellement et absorbe, pour ainsi dire, cette durée de vie infinie.
L’ouvrage permet aussi d’établir quelques interprétations autour des inscriptions hiéroglyphiques. Le hiéroglyphe figurant Heh sert à écrire « million ». Lorsqu’il porte une tige bourgeonnante (de palmier ?) sur la tête, il évoque les millions d’années, comme on peut le distinguer sur le bord supérieur du calice. Le signe ankh sépare l’inscription en deux parties. Nous précisons qu’à gauche, on pourra lire « Que vive ton ka, que tu demeures des millions d’années, toi, amoureux de Thèbes… ». La moitié droite de la coupe porte l’inscription des trois noms les moins utilisés (parmi les cinq titres officiels) de la titulature royale. Ici le nom d’Horus est entièrement lisible sur la photographie (Ka nakht thout-mesout : « taureau puissant, plaisant dès sa naissance »).
La première entrée de l’ouvrage de Florence Quentin donne un éclairage sur la signification de l’abeille. Le cartouche dans lequel figure le nom de couronnement de Toutankhamon (« Nebkhéperourê », le maître des apparitions de Rê), au centre du vase, est introduit par les termes « nèsout bity » : nèsou (le roseau, symbole de la Haute-Égypte), bity (une abeille, symbole de la Basse-Égypte). Ce qui revient à dire « double roi » ou « roi de Haute et de Basse Égypte. L’abeille et le roseau sont nettement visibles au-dessus du cartouche.
Une difficulté s’est toutefois posée. Les notices comportent souvent des mots en caractère gras assortis d’un astérisque, qui invitent à lire d’autres articles. Mais « palmier* », indiqué dans le commentaire pour « Heh », n’existe pas à la lettre « P »… Il faudra se reporter à « arbre ».
Le mérite de ce lexique revient au parti pris éditorial d’en faire un dictionnaire illustré, en couleur, avec plus d’une centaine de photographies. En effet, il met en situation le voyageur ou le visiteur en l’initiant à l’observation attentive des objets, des fresques, des bas-reliefs pour identifier les symboles, les personnages et leurs attributs. De manière concrète, il donne du sens à toutes ces représentations. Il nous paraît plus pertinent de proposer d’illustrer par des photos collectées sur des sites de la vallée du Nil, en contexte, non détourées, que de proposer des dessins qui isolent les symboles ou les divinités. Ainsi, cette exigence du regard relève davantage de la démarche de l’archéologue, confronté directement aux sources et aux réalités du terrain, loin de toute évidence. En fin d’ouvrage, chaque photographie est commentée. Ces légendes complètent efficacement les articles qui y sont associés.
On appréciera aussi la concision et la clarté du propos, qui nous épargne de longs et fastidieux développements sur la mythologie. Pour cette approche qui vise un large public, les questions chronologiques et des disparités territoriales sont plutôt mis à l’écart.