Le sous titre, Quand les mondes anciens se rencontraient VIe siècle av. J.-C./VIe siècle ap. J.-C., dit tout de l’ambition de l’auteur.

Un millénaire d’histoire antique, sinon mondiale du moins connectée, histoire des relations que les hommes du Proche-Orient et de la Méditerranée ont entretenues avec les mondes extérieurs, tel est le propos de cet ouvrage pour rompre avec la spécialisation de chacun dans un domaine géographique ou chronologique qu’impose le découpage académique et l’inflation de publications scientifiques.

Quelles traces a-t-on des échanges : hommes, objets, idées, entre des mondes qui, a priori, s’ignorent ? Comment et où ces mondes distincts se chevauchent-ils ?

Pour ce voyage Maurice Sartre a choisi un découpage géographique autour de la Méditerranée à partir d’un document, écrit et figuré analysé pour en montrant la pertinence.

Vers le Nord : Pythéas et « Ultima Thulé »

C’est l’extrême nord pour un Méditerranéen de l’Antiquité qui retient d’abord l’attention.

Si Polybe et Strabon ne retenait pas pour vrai le récit de Pythéas, ce Marseillais parti vers le Nord au temps d’Alexandre, que nous apprend cette aventure aujourd’hui (carte p. 296).

Ayant décrit le jour sans nuit il a peut-être atteint l’Islande mais son texte ne nous est parvenu que de façon indirecte et lacunaire.

Maurice Sartre évoque les autres voyageurs vers ces pays, Agricola et son tour de Bretagne, les voyageurs vers la Baltique dont le produit, l’ambre, parvenait par voie terrestre. En fait si l’Europe du Nord reste assez largement inconnue jusqu’à la fin de l’empire romain, les échanges de produits de luxe (vaisselle, monnaies) étaient anciens comme le vase de Vix, les monnaies des tombes le la région de Gdansk ou le trésor de Hoby  (reproduit dans l’encart photographique central p.1) au Danemark.

Faire le tour de l’Afrique

Que connaissait-on de ce continent que les Grecs nommaient Libye ?

Un récit, rapporté par Hérodote raconte le périple de voyageurs phéniciens partis des rives égyptiennes de la Mer Rouge qui seraient revenus en traversant les Colonnes d’Héraclès (Gibraltar). Ce qui faisait douter Hérodote de la véracité du récit : les marins disaient avoir navigué vers l’ouest avec le soleil sur la droite, argument qui aujourd’hui semble accréditer qu’ils étaient dans l’hémisphère sud et donc que c’est aux temps du pharaon Néchao II (-610 à -595) que fut réalisé la première circumnavigation de l’Afrique.

Dans l’Antiquité la navigation le long des côtes africaines est avérée ; d’Hannon le Carthaginois le long des côtes de l’actuel Maroc (3e siècle av.) au Perse Sataspès ou à Eudoxe de Cyzique (2e siècle av.) qui, ayant vu sur la côte de la corne de l’Afrique les restes d’un bateau de pêche de Cadix, tenta la circumnavigation d’ouest et est.

En tout état de cause, dans l’Antiquité, la marins considéraient possible ce tour de l’Afrique. Au 1er siècle av. Des marins espagnols seraient parvenus dans le Golfe d’Acaba.

Les Anciens ont aussi tenté de gagner l’intérieur du continent par la voie transsaharienne par la Nubie et l’Éthiopie. Dans le sens sud-nord le Sahara est traversé par des cargaisons d’or, d’ébène, d’esclaves et même de fauves, conduites par des Africains.

Le trône d’Adoulis

Le périple gagne l’Asie à la suite de l’expédition sur la Mer Rouge sous Ptolémée II mentionné sur la stèle de Pithon et dans un court extrait de Topographie chrétienne de Cosmas Indiocopleustès qui évoque les éléphants d’Éthiopie, armes de guerre durant la période hellénistique. Ces vestiges renseignent sur les contacts entre la Méditerranée et à la fois l’Inde et la corne de l’Afrique, régions pourvoyeuses de l’animal. L’auteur analyse les usages antiques du mot Éthiopie. Adoulis fort lagide décrit dans Le Périple de la mer Érythrée, sur la Mer Rouge met en contact avec le royaume d’Aksoum et constitue un espace charnière entre le monde méditerranéen, L’Inde, l’Arabie et l’Afrique ?

Que venait-on chercher dans ces contrées ? De l’ivoire, des écailles de tortues, l’encens et la myrrhe mais aussi des esclaves en échange de tissus, de feuilles de cuivre, d’armes, de blé et de vin.

Les Indiens apportent ici des du coton, du riz de l’huile de sésame et du miel de roseau (canne à sucre). C’est donc une plaque tournante commerciale. L’auteur note aussi la diffusion de la langue et de la culture grecque dans le royaume de Méroé (2e siècle av.).

L’Arabie heureuse

Divers textes attestent de contacts entre les Nabatéens et l’Arabie jusqu’au sud de l’actuel Yémen, ils furent des intermédiaires entre les Grecs, les Romains et les richesses de l’Arabie. Strabon rapporte que leur aide a ont été sollicitée pour l’expédition d’Aélius Gallus eu 1er siècle av. ce qui permettait un contrôle du commerce de l’encens sous Auguste (Res Gestae). Le Périple et Ptolémée dans sa Géographie proposent des descriptions précises des côtes mais aussi des villes de l’intérieur (cartes p. 299 et 302).

Entre monde méditerranéen et monde indien

Naviguer avec la mousson

Strabon comme Pline rapporte des histoires de navires indiens. Si la découverte de la route maritime depuis la mer Rouge et l’objet de témoignages différents selon les auteurs antiques et difficile à date, un commerce florissant s’est développé à partir des derniers Ptolémée et encore plus au temps de l’empire romain. L’archéologie en fournit des preuves jusqu’à la côte orientale, Ceylan compris (carte p. 300).

Vigie en mer Rouge

C’est une inscription officielle trouvée sur l’île de Farasân à mille kilomètres au sud des limites de l’empire romain qui intrigue l’auteur. Elle lui permet d’évoquer l’intense trafic commercial en mer Rouge au début de notre ère en particulier pour l’encens qui arrive aussi par la voie caravanière jusqu’à Palmyre.

Rencontres en mer d’Azania

Il est ici question du golfe d’Aden dans cette mer nommée « Mare Azanium » par Pline ; lieu d’échange avec les marchands indiens comme le montre les récentes fouilles de la grotte de Hôq sur l’île de Suqutra (carte p. 298). Les inscriptions en langues brahmi , araméen et grec évoquent un lieu d’entrepôt, une escale commerciale entre monde méditerranéen et monde indien.

Le bateau d’Honaînû

Une inscription du temple de Bêl à Palmyre datée du 2e siècle étonne puisqu’en plein désert il y est fait mention d’un navire (encart central p.6). C’est l’occasion pour Maurice Sartre de rappeler le rôle central des Palmyréniens dans le commerce de l’empire romain avec la Mésopotamie, dominée alors par les Parthes, les Palmyréniens traversaient le désert ils naviguaient aussi dans le golfe persique et l’océan indien.

Le monde indien

De l’or pour l’Inde

Qu’elle a pu être l’intensité de ces échanges entre l’empire romain et l’Inde ? 50 millions de sesterces annuelles si on en croit un texte de Pline l’Ancien, pour des produits de luxe. L’archéologie montre, grâce à la céramique et aux monnaies, que le trafic est permanent depuis le 1er siècle av. jusqu’au 7e siècle, poteries méditerranéennes trouvées sur les côtes indiennes et poteries indiennes trouvées en Égypte.

Outre le commerce des relations diplomatiques existaient depuis le temps d’Alexandre et son périple jusqu’à l’Indus, ambassades indiennes à Rome d’Auguste à Justinien. Des connaissances et des pratiques s’échangent dans le domaine de la botanique ou de l’usage de la monnaie, les rois indiens imitent les monnaies grecques (encart central p. 3).

Les textes mentionnent de nombreux ports des côtes indiennes (carte p. 300) et Ptolémée évoque le golfe du Gange. Les marchandises concernent le blé, le vin, l’huile ou le corail de Méditerranée contre des épices, des pierres précieuses, des soieries. Elles sont transportées par 120 navires annuels d’après Strabon. Pourtant à partir du 3e siècle ce commerce décline quand les Indiens se tournent vers l’est, Indonésie, Chine.

La vie mouvementée de Sôphytos

L’épitaphe de Sôphytos est un exemple de l’interpénétration des cultures en Asie centrale et dans l’Inde du nord-ouest. Aux confins orientaux du monde grec (région de kandahar) Sôphytos s’il utilise la langue grecque est indien comme l’indique son nom. Maurice Sartre, à la recherche de ce personnage, montre l’hellénisation des élites dans cette partie du monde depuis Alexandre. Cependant le bouddhisme y fut aussi diffusé et l’influence grecque variable selon les lieux et les pouvoirs politiques. Cette influence est évidente sur les monnaies et dans l’art du Ganghara, région actuelle de Peshawar jusque dans les représentations du Bouddha (encart central p. 2,3 et 5).

Grecs et Indiens entre fables et réalités

Partant des nombreux écrits antiques l’auteur évoque à la fois des légendes et des observations comme quand Pline décrit les Sadhus. Il est vrai que la fréquentation de l’Inde est assez commune avant même l’expédition d’Alexandre. Mégasthène y fit des voyages jusqu’au sud de la péninsule.

Les Indiens eux aussi ont fréquenté l’occident. De nombreux exemples confirment la mixité culturelle montrée au chapitre précédent.

La Chine

Le Sinkiang, charnière des mondes

Deux citations de la Géographie de Ptolémée décrivent le pays des Sères, « découvert » par Maès Titianos, un marchand parti des bords de l’Euphrate vers le 1er siècle (datation discutée), il aurait traversé l’empire Parthe jusqu’à la cour des Hans. On suit cette expédition à travers les actuels Irak, Iran, Turkménistan pour atteindre l’empire Kouchan puis la Chine avec la quelle existaient des échanges économiques : la soie. Le terme de Sères renverrait ainsi à la soie : sirghéa en mandchou.
Que nous apprennent les fouilles archéologiques de la province du
Gansu ? Les momies et les peintures retrouvées au Sinkiang correspondent à des hommes de type caucasiens parlant une langue proche du balto-slave, ce qui semble conforter la description de Pline, d’hommes grands, aux yeux bleus et roux (teinture ?).

Les soi-disant routes de la soie

L’évocation s’ouvre sur la représentation d’une étoffe de soie brodée du 2e siècle trouvée à Palmyre et vient de la Chine des Hans. Ses « routes de la soie », expression popularisée à la fin du XIXe siècle, demeure d’actualité.

Si Maurice Sartre conteste l’expression c’est que les échanges Chine/Méditerranée sont fort anciens et ne concernent pas spécifiquement la soie. Ce n’était pas non plus un commerce direct (pas de monnaie romaine trouvée en Chine) mais fait d’intermédiaires comme les Sères déjà évoqués, les Cachemiriens, les Tibétains et l’empire Kouchan. Ce commerce de luxe repose sur la soie contre de la vaisselle métallique (encart central p. 8) fabriquée en Méditerranée ou copiées en Asie centrale. Palmyre en fut la plaque tournante de ce commerce avant que les Perses ne le contrôlent (5e-6e siècle). Justinien désireux de les contourner obtient grâce aux Nestoriens des œufs de ver à soie et pu développer une industrie de la soie dans la partie orientale de l’empire.

L’ambassade d’Andoun

Un texte chinois du 2e siècle rapporte le premier contact direct antre l’empire des Hans et l’empire romain, l’ambassade d’Andoun, sous Marc-Aurèle qui serait venue par mer depuis le Vietnam, sans doute plutôt des marchands romains.

Maurice Sartre détaille ce que les textes occidentaux disent des mers asiatiques, eut-être connues par des marchands voyageant sur des navires indiens. Le point ultime à l’Est serait Kattigara (l’Indochine) évoquée par l’auteur du Périple. Des connaissances beaucoup plus lacunaires que ce que les textes chinois : l’Histoire de Fan Ye et quelques autres disent de l’empire romain nommé Da Qin, grâce notamment aux échanges avec les Indiens, les Parthes et l’empire Kouchan. Si les descriptions de Fan Ye sont bien informées sur les réalités de la partie orientale, il en fait une généralité pour tout l’empire romain.

Empires et conflits

Ce dernier chapitre s’ouvre sur le massacre des Chrétiens de Najran en 523 en Arabie heureuse. Maurice Sartre veut ici montrer comment un conflit, local et confessionnel entre sujets chrétiens et roi juif, est au cœur des rivalités entre les grandes puissances du moment, Byzance et les Perses. Il rapporte la genèse du conflit local et son caractère de conflit entre puissances, délocalisé aux marges qui n’est pas sans rappeler le monde actuel.

Un ouvrage qui propose un grand voyage dans l’Antiquité sous un angle inhabituel.

Présentation sur le site de l’éditeur ICI