Le livre d’Élise Roullaud, Contester l’Europe agricole. La Confédération paysanne à l’épreuve de la PAC, paru aux Presses universitaires de Lyon en 2017, s’appuie sur une thèse de doctorat de science politique, soutenue en 2013 à l’Université de Lyon. Le jury était composé de Jean-Gabriel Contamin, Jean-Louis Marie, Lilian Mathieu, Jean-Luc Mayaud, Hélène Michel, Antoine Roger. Par ailleurs, l’auteure a tenu a remercié Sophie Béroud en fin d‘ouvrage.Le recours au langage et aux concepts utilisés par les politistes ainsi que leur discussion sont donc de rigueur dans ce travail qui s’avère clair et retient l’attention du lecteur. Pour mener à bien sa recherche Élise Roullaud, qui présente dès l’introduction d’où vient son intérêt pour le syndicalisme agricole, a pu consulter les archives conservées au siège de la Confédération paysanne, celles de la Coordination paysanne européenne (CPE, devenue CE-VC, Coordination européenne-Via campesina) ainsi que celles des courants à l’origine de la Confédération paysanne au Centre d’histoire du travail de Nantes. Elle s ‘est aussi appuyée sur des documents de la FNSEA et sur la presse de celle-ci mais elle a eu aussi recours à de nombreux entretiens de militants ou d’animateurs syndicaux ainsi qu’à des questionnaires envoyés aux membres du comité national de la CP entre 1989 et 2009 dont un nombre significatif ont répondu. Elle a, par ailleurs, assisté au fonctionnement quotidien du syndicat pendant un temps significatif et à des réunions internes de celui-ci.À partir de cette matière riche, elle étudie le rapport de la CP à la Politique agricole commune entre 1987 et 2007, en questionnant plus particulièrement le processus d’européanisation qui est supposé être à l’œuvre dans les groupes d’intérêts représentés à Bruxelles. Il s’agit à la fois de voir comment se positionne la CP vis-à-vis de la PAC : ce que ce syndicat en dit, ce qu’il fait par rapport à cette politique mais aussi ce que « fait » la PAC sur le syndicat. Dans un premier chapitre, Élise Roullaud analyse comment s’est structurée la représentation agricole européenne avec la création du COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles) longtemps unique organisation agricole à participer aux groupes consultatifs de la Commission européenne (p. 27) puis elle présente l’émergence de la CPE devenue CE-VC en 2008 du fait, entre autres, de la montée en puissance de Via campesina sur le plan international. L’auteure repère trois grands axes dans le travail des salariés de cette structure européenne (qu’elle présente, plus loin, comme des « militants professionnalisés ») : « rechercher des financements, établir un discours commun et représenter la cause paysanne auprès des instances publiques » (p. 40). Or, selon elle, ce dernier objectif est peu mis en pratique et la CPE ne pratique pas un travail intense de lobbying, en partie car elle refuse de le faire. Ses salariés représentant un cas de « socialisation au jeu européen manquée », refusant « les règles et les pratiques jugées légitimes » par la « scène communautaire » (p. 54-55). La suite de l’ouvrage est centrée sur l’attitude de la Confédération paysanne vis-à-vis de la PAC et de plusieurs réformes de celle-ci. Le chapitre 2 montre, qu’après avoir hésité sur son positionnement par rapport au projet du début des années 1990, la CP a, la plupart du temps, contesté les réformes de la PAC. Cependant, le syndicat n’agit pas toujours prioritairement à l’échelle européenne auprès de la Commission. Ainsi durant la réforme de la PAC de 1999, c’est la scène nationale qui a été privilégiée du fait « des marges de manœuvre dont bénéficient les Etats sur l’application de la PAC » et car le syndicat y a acquis la reconnaissance de sa représentativité (p.93). L’auteure constate que malgré la participation à un regroupement syndical européen, la CP a un « investissement limité » dans « l’espace politique européen » (p.94). Le troisième chapitre est centré sur ce la PAC fait à la CP. Y sont présentés les différences d’analyse de la PAC entre la CP et les autres syndicats agricoles, en particulier la FNSEA mais aussi les tensions fortes que cette politique a engendré à l’intérieur de la CP en 1992. Tensions et débats que le syndicat ne nie pas voire même revendique comme signe de bonne santé démocratique. Sont alors analysés, dans une approche sociologique, les parcours des secrétaires nationaux qui ont pris en charge le dossier PAC entre 1990 et 1997 puis après (p. 107 et suivantes). L’auteure liant, en partie, l’évolution de l’attitude du syndicat à celle du profil de ces responsables. Selon elle, cette « expertise sur la PAC apparaît comme une ressource particulièrement distinctive puisqu’elle confère à certains militants une position centrale dans la production de la ligne syndicale » (p. 142). Les évolutions de celle-ci témoignant d’ailleurs d’un rapport par moments distancié vis-à-vis du jeu institutionnel européen. Le dernier chapitre est consacré aux spécificités du répertoire d’action de la Confédération paysanne dans son opposition aux réformes de la PAC. Après avoir présenté les contraintes temporelles (crises, projets de réforme) qui s’imposent au syndicat ainsi que le jeu des autres acteurs syndicaux, elle dégage les principaux moyens d’action utilisés : le recours à la vertu par exemple par la dénonciation des scandales alimentaires, l’usage du nombre qui la pousse à des former des alliances avec d’autres forces sociales, la recherche de soutiens scientifiques (ainsi une convention est signée, en 2002, avec l’INRA)ou l’action juridique (p. 164-192).
Ce travail fort riche intéressera tous ceux qui travaillent sur les syndicats agricoles ou sur les effets de la PAC sur le monde agricole et ses élites mais aussi ceux qui s’intéressent aux relations entre groupes d’intérêt et instances européennes. D’autant plus, que le syndicat ici étudié s’avère adopter une position et des pratiques qui ne sont pas celles attendues, ce qui permet de « se départir d’une approche téléologique de l’européanisation » (p. 193).
Jean-Philippe Martin,