Si l’on plutôt l’habitude de voir dans les personnages de bandes dessinées, même historiques, des héros positifs, ce premier tome de la trilogie consacrée à Joseph Darnand aurait plutôt tendance à ébranler le lecteur. Les historiens connaissent bien le personnage, principal responsable de la milice, témoin en faveur du Maréchal Pétain lors de son procès, condamné à morts et exécuté le 10 octobre 1945.
On, connaît beaucoup moins, et c’est tout l’avantage ce premier tome, la première partie de la vie ce soldat, combattant des deux guerres mondiales, et auteur de deux exploits militaires majeurs, sous le feu ennemi.
L’action du premier volume commence en juillet 1918, quelque part sur le front, au moment où les Allemands envisagent une de leurs toutes dernières offensives, afin de briser le front allié. Une petite section constituée à partir du 366 régiment d’infanterie parvient à s’emparer d’un bunker, et de documents particulièrement précieux dévoilant le jour et l’heure de l’offensive allemande. À la tête de ce groupe, que l’on appelle pas encore, du moins dans l’armée française « commando », un certain Joseph Darnand, sous-officier active, qui n’hésite pas, une fois l’objectif atteint, à éliminer les officiers allemands qui pourtant venaient de se rendre. Dans le contexte de l’époque, ce qui relève bel et bien du crime de guerre, s’efface devant l’exploit qui vaut a son auteur la médaille militaire, remise par le général Pétain en personne, et la Légion d’honneur, remise également par le Président de la République, Raymond Poincaré.
Il est considéré comme « artisan de la victoire », lui, le simple sous-officier. Réengagé pour deux ans après la guerre, il part se battre au Levant, sans doute contre les troupes de Mustafa Kemal qui entend préserver l’intégrité territoriale de la Turquie, remise en cause par le traité de Sèvres.
Dans l’entre-deux-guerres il accumule ce que l’on appellerait aujourd’hui « les petits boulots », mais porte lui une certaine rancœur contre le régime républicain qui ne reconnaît pas ses mérites. Très vite séduit par les thèses de l’action française dans un premier temps, il rejoint tout naturellement « les Croix de feu » du Colonel de la Roque, mais les juge beaucoup trop modérés et rejoint le parti populaire français de Jacques Doriot, transfuge du parti communiste français.
Le récit de ce premier tome nous le montre comme acteur dans la région de Nice du complot de la Cagoule, de Eugène Deloncle, avec cette organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, financée par les services secrets du régime fasciste italien.

D’une guerre à l’autre

Engagé en 1939, il réitère un nouvel exploit militaire sous le feu ennemi, dans le secteur de Forbach, se voit élever au rang d’officier de la Légion d’honneur, à titre militaire, avant d’être fait prisonnier et interné au camp de Pithiviers. Des complicités lui permettent de s’évader dès août 1940. Tout naturellement semble-t-il, il se rallie à Pétain, celui dans lequel, avant guerre, les Cagoulards mettaient tous leurs espoirs.
Les actes du personnage dans ce premier récit n’inspirent évidemment pas l’admiration. Incontestablement courageux, méprisant le danger, il est surtout pétri de préjugés antisémites, anticommuniste, antimaçonniques, et le dessin de Fabien Bedouel, rend bien compte de ce visage tourmenté, celui que l’on voit dans les photographies d’époque, y compris là une de Match de 1940.
Le scénario de Bedouel s’accorde bien avec le dessin de Perna, qui montre également « une gueule cassée » sauvée de la mort en 1918 par Joseph Darnand, et qui se trouve torturé entre sa fidélité entre son chef de groupe et sa réflexion plus humaniste. Cet instituteur, Ange Servaz, participe au premier complot de la Cagoule entre 1938 et 1939, aux côtés de son chef, mais ensuite leur destin se sépare, avant qu’ils ne se retrouvent dans des camps opposés, ce qui devrait être la trame du récit des deux volumes suivants.
On appréciera la reconstitution très précise, y compris au niveau des uniformes et de l’armement individuel, la mise en avant de ces groupes de soldats, que l’on appelait « corps francs » à l’époque, particulièrement affûtés sur le combat au corps à corps, ce qui leur donnait le nom très évocateur « de nettoyeurs de tranchées ». On pourrait retrouver le même type d’évolution chez Joseph Darnand que chez ces Arditi, nettoyeurs de tranchées de l’armée italienne qui ont été la colonne vertébrale des premiers faisceaux italiens de combat constitués par Mussolini à Milan, en 1919.
En attendant, même si l’on connaît la fin du personnage, on attend avec impatience, les deux albums suivants de cette trilogie où l’histoire qui aurait pu faire de cet homme un héros, a fini par concevoir un salaud.

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Bruno Modica, pour Les Clionautes