Enseignante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Alya Aglan est une historienne spécialiste de la Résistance, auteur d’une thèse sur l’histoire du mouvement Libération-Nord (La Résistance sacrifiée, le mouvement Libération-Nord, 1940-1947, rééd. Flammarion, « Champs », 2005) et de quelques autres ouvrages dont une étude sur Jean Cavaillès, grande figure de la philosophie des mathématiques et de la Résistance française dont elle a codirigé la publication avec Jean-Pierre Azéma (Jean Cavaillès résistant ou La pensée en actes, Flammarion, 2002.) En 2008, elle a publié chez Actes Sud un ouvrage (qualifié d’« essai » par son auteur) novateur et stimulant, ambitieux et difficile, Le Temps de la Résistance, https://clio-cr.clionautes.org/le-temps-de-la-resistance.html. En 2015, elle a codirigé avec Robert Franck un énorme ouvrage en deux tomes, 1937-1947, La guerre-monde. Elle doit faire paraître en 2018 deux ouvrages dont nous rendrons compte, La France dans la guerre ou l’éclipse de la République (dans la collection « L’Univers historique » aux éditions du Seuil) et, avec Johan Chapoutot et Jean-Michel Guieu, L’heure des choix (1933-1945).

Une approche thématique globale

L’objectif de l’auteur est de tracer en quelques pages seulement un panorama global de la France sous l’Occupation, qui en intègre tous les aspects : la défaite, le régime de Vichy, l’évolution de l’empire colonial, la Résistance intérieure, la Résistance extérieure, la collaboration, la Libération. Alya Aglan y parvient en opérant un certain nombre de choix et en renonçant à vouloir tout aborder d’une manière qui aurait été nécessairement trop synthétique ou/et trop allusive. Ces choix s’expriment dans les 23 doubles pages de documents commentés. Parallèlement elle trace dans la première partie un tableau de la France dans les années de guerre qui traduit une volonté d’aborder le sujet de manière distanciée et originale, assez nouvelle sur un sujet qui ne l’est pas. L’élève ou l’enseignant qui voudra disposer rapidement d’une information claire et de qualité sera satisfait ; un lecteur qui connaîtrait déjà bien appréciera l’originalité des angles sous lesquels les thèmes sont abordés (la place importante réservée au thème de l’empire colonial par exemple). Ce dossier s’adresse en priorité aux enseignants en histoire-géographie, de troisième en particulier

Le dossier est comme toujours composé de deux parties : « Le point sur » est une synthèse d’une quinzaine de pages ; les « Thèmes et documents » rassemblent 23 doubles pages (texte de l’auteur sur la page de gauche, documents sur la page de droite), construites autour de cinq thèmes : Juin-juillet 1940 ; L’Empire des Français ; Sociétés dans la guerre ; Collaborations ; Des occupants et des occupés. Le choix des documents et le contenu des analyses qui en sont faites, complète et précise les idées directrices qui structurent la première partie.

La France de la défaite et ses multiples fractures

L’auteur commence par une présentation de l’exode, des choix de Pétain, de l’appel du 18 juin, du découpage du territoire en de multiples zones correspondant à des objectifs de contrôle et d’annexion immédiate ou future. Sont ensuite abordées les conditions de l’occupation : l’organisation pyramidale des Kommandanturen, la limitation de la souveraineté française les prérogatives exorbitantes de l’occupant, le caractère revanchard du régime de Vichy, le procès en illégitimité que lui fait le général de Gaulle, le caractère planétaire de la « bataille de l’opinion ».

Thèmes et documents :
La défaite de la France : un événement mondial
Que reste-t-il de la République ?
De Gaulle à Londres : un homme seul

L’Empire des Français

Ce sont les premiers territoires ralliés qui permettent à de Gaulle de bâtir à Brazzaville, via le Conseil de défense de l’Empire, « un socle de légitimité politique aspirant à se constituer en un véritable Etat ». L’Empire est le théâtre de l’affrontement entre les deux légitimités défendues par de Gaulle et par Vichy : « Vichy et la France libre se disqualifient mutuellement quand ils ne s’affrontent pas directement devant Dakar en septembre 1940, au Gabon en novembre 1940, en Syrie en juin-juillet 1941 ou encore en Afrique du Nord le 8 novembre 1942 ». « Vichy, Londres, Brazzaville, Alger illustrent les principales étapes, dans l’espace et dans le temps, de la lutte entre le légal et le légitime ».

Thèmes et documents :
La querelle pour l’Empire
« Travail, famille, patrie » aux colonies
Alger, capitale de la France libre
Qui sont les Français libres ?
L’Empire à la fin de la guerre

Sociétés dans la guerre

Alya Aglan affirme d’emblée que « Régime d’exception, l’Etat français mène une politique qui constitue une véritable provocation à la guerre intérieure ». Le cas de Jean Zay illustre la précocité avec laquelle l’ennemi intérieur est traqué. « La loi devient l’instrument principal d’une guerre civile pratiquée de manière préventive afin d’expulser l’ennemi hors de la communauté nationale qui devrait, de cette manière, être refondée
Elle démontre ensuite que les Allemands et Vichy mettent en œuvre une politique de guerre civile. L’ambassade d’Allemagne favorise la création de partis et groupes collaborationnistes qui font pression sur Vichy ; l’occupant met en oeuvre la politique des otages et pratique des arrestations de masse de manière à « rendre irréversible l’engagement des collaborationnistes ». Elle reprend l’analyse de Raymond Aron selon laquelle la France est l’objet d’une « répression allemande dont les Français, mercenaires, criminels ou fanatiques, sont les instruments ». Avec l’entrée en scène de la Milice, on peut parler de « scènes de guerre civile et de guerre contre les civils ».

Thèmes et documents :
L’exode
Les déchus et les dénaturalisés Les spoliations et les persécutions
Le quotidien des Français

Les logiques de la collaboration

Dans un premier temps l’auteur rappelle que l’Etat français est ligoté par l’armistice, puis elle traite de la collaboration à l’échelle des individus, des groupes et de l’Etat, avant de décliner la politique de collaboration selon Pétain, Laval et Darlan, et termine en montrant les enjeux de la collaboration économique et militaire. Dans un second temps, elle traite de l’articulation antisémitisme d’Etat/répression : retrait de la nationalité et confiscation des biens, antisémitisme autochtone, première rafles antisémites, prolifération des instances répressives et des juridictions d’exception, non adhésion de la population française à l’antisémitisme d’Etat.

Thèmes et documents :
Les « collaborationnistes »
La collaboration économique
Des Français au service des Allemands
L’épuration : de l’indignité nationale à l’exécution

Les logiques de la Résistance : engagement, réflexion et action

On retrouve sur ce thème l‘approche novatrice développée par l’auteur dans son ouvrage, Le Temps de la Résistance : « Les résistances aux contours variés, constituent (…) à l’échelle historique, un fait colossal, à la fois réflexe de défense des sociétés en guerre et forces projetées dans l’avenir de la Libération. Elles ouvrent un horizon de possibles, sorte de troisième voie entre victoire et défaite (…) Les résistances créent un nouveau temps, sorte d’excroissance du présent, une échappatoire au temps immobile que souhaitent instaurer les nouveaux maîtres nazis ». Elle estime que « les divergences entre organisations sur l’action prioritaire à mener s’expliquent par des perceptions différentes du temps modelées par les événements ».

Trois temps de la Résistance sont caractérisés : la première Résistance est spontanée et organise trois types d’action : évasion, renseignement, prospection, le problème crucial étant alors celui des liaisons (radio, aériennes, maritimes) et celui des moyens ; une seconde Résistance prend forme en 1941 avec l’apparition de mouvements dotés de publications clandestines où s’affirment des objectifs et des idéaux politiques ; une troisième Résistance apparaît dans les années 1942-1943, organisée et unifiée par le haut (rôle de Jean Moulin), elle se structure et se fédère au plan régional et national.

Thèmes et documents :
Les Allemands en France : touristes et polices
Première Résistance dans l’Hexagone
La mort des résistants
Le Service du travail obligatoire et les maquis

La Libération et ses lendemains

D’un point de vue politique et social, la Libération est anticipée depuis 1943 par les organisations de résistance intérieure et les services de la France libre. Rétablir l’ordre une fois la légalité républicaine restaurée est le premier impératif. Quelques lignes sont consacrées à l’épuration, puis sont abordées les modalités de réponse à la forte exigence de justice sociale issue des mouvements de résistance (programme du CNR).

Thèmes et documents :
Les poches de l’Atlantique et de la mer du Nord
La Libération et ses douleurs
Les prisonniers de guerre allemands au travail

Ce dossier de la Documentation photographique est bien évidemment indispensable dans les CDI et ans les cabinets d’histoire. Il peut s’avérer très efficace et agréable pour la toujours nécessaire mise à jour des cours. On regrettera seulement que la bibliographie soit assez formelle (un classement alphabétique ) et approximative. On apprécierait une bibliographie critique qui mette bien en évidence les travaux récents et en donne les références. On y trouve à propos de la collaboration l’ouvrage de Pascal Ory réédité en 1980, mais le Dictionnaire de la collaboration de François Broche n’y figure pas, pas plus que l’Histoire de la collaboration de F. Broche et J.-F. Murraciole ; on n’y trouve pas la récente Histoire économique de Vichy, pas plus que les ouvrages de Sébastien Albertelli ( Les services secrets du général de Gaulle, Histoire du sabotage), de Julien Blanc (Du côté du Musée de l’Homme, indispensable sur la protorésistance), de Fabrice Grenard (La drôle de guerre) etc. Trois sites internet seulement sont donnés. Il est dommage que n’y figure pas celui du Musée de la Résistance en ligne, qui propose une aide notable aux professeurs :
http://www.museedelaresistanceenligne.org/liste-expo.php

© Joël Drogland