À quelques mois d’une élection présidentielle, la publication de cet ouvrage consacré aux partis politiques sur le Web, vient à point nommé pour comprendre quelles sont les stratégies des candidats et des appareils qui les soutiennent, pour être présents sur le réseau des réseaux.

Fabienne Greffet, et l’équipe qui l’entoure, ont examiné les différentes trajectoires des partis politiques en France, mais également aux États-Unis, avec l’exemple de Barak Obama en 2008, et au Royaume-Uni.
Par sa nature décentralisée, Internet serait par nature hostile aux partis politiques, même si ces derniers se sont emparés de cet outil à partir de 1990. En effet, Internet a pu apparaître comme une menace pour les partis politiques, puisque ces derniers fonctionnent sur un système centralisé, même s’ils s’en défendent, avec une parole légitimée, et validée a priori. Il est vrai que nous sommes dans un contexte de désaffection à l’égard des partis politiques, désaffection constatée par la baisse du nombre d’adhérents, par la multiplication de groupes plus ou moins informels, et par la montée de l’abstentionnisme. Internet qui met les différents intervenants « à égalité » remet en cause le fonctionnement traditionnel des partis avec ses structures et son organisation.

Un outil de vigilance

Selon Pierre Rosanvallon, l’outil Internet serait particulièrement adapté aux fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation des différents comportements « non démocratiques ». Il suffit de regarder sur sa boîte aux lettres les différents messages relayant telle ou telle turpitude de la classe politique, comme le salaire des députés, le fonctionnement de leur caisse de retraite, pour s’en rendre compte. Au niveau de la politique locale, le moindre blogueur peut exercer une vigilance démocratique sur le comportement de ses élus municipaux, et contester leur décision.
Internet a pu apparaître comme l’outil d’une démocratie qui peut se passer des partis politiques, mais en réalité ce qui est présenté comme nouveau, ne l’est pas vraiment. L’utilisation de « la base contre l’appareil », fait partie des méthodes de subversion interne que l’on a pu utiliser à différentes époques, des années 30 aux années 70. Certes, le fonctionnement d’Internet avec les forums apporte une réactivité beaucoup plus rapide face à une situation que l’on dénonce. Toutefois, et même si l’on considère que « l’idée d’une politique participative médiatisée par Internet semble rendre secondaire la médiation politique », il n’en reste pas moins que l’acteur sur le net est tout d’abord un individu seul devant l’écran, qui réagit un message donné.

Un outil de com.

On comprend pourquoi, face à cet électeur consommateur, face à ce consommateur de produits en ligne, les partis politiques cherchent à proposer une offre séduisante, à grand renfort de mailing, d’envois ciblés, et de proposition de liens, y compris sur les réseaux sociaux. Encore une fois, les partis politiques n’ont pas eu besoin de l’Internet, pour constituer des réseaux, surtout dans la perspective des campagnes électorales, avec les différentes personnalités président tel ou tel comité de soutien. Par contre, l’Internet permet une démultiplication de la diffusion des informations, leur transfert instantané à des centaines voire des milliers de récipiendaires, et au bout du compte, assure à moindre coût, une certaine visibilité.
On apprend d’ailleurs que le Front National est le premier parti politique français à avoir développé un site Web, clairement constitué pour lutter contre la discrimination médiatique dont il est l’objet. Les outils les plus récents, et notamment la mise en ligne des vidéos, et le développement de la télévision sur Internet, permettent aux animateurs du Front National de mettre en avant leur leader, sans passer par un filtre journalistique qu’ils considèrent comme hostile.
La montée en puissance de ce mode de diffusion du message politique a suivi la diffusion de l’équipement des ménages, puisque l’on est passé de 3 % en 1990 à plus de la moitié de la population connectée aujourd’hui. Le recours à l’Internet est devenu un « obligatoire de campagne », même si son impact réel sur les comportements électoraux est difficile à mesurer.

Une conservation identitaire parfois

Tous les partis politiques ne maîtrisent pas de la même façon cet outil. Les partis traditionnels diffusent sur le net, les supports de propagande traditionnels utilisés par ailleurs. Le site du parti socialiste, celui du parti communiste et d’autres partis, propose le plus souvent de télécharger au format PDF et d’imprimer les tracts du parti. Pour des partis minoritaires par contre, l’utilisation des forums, surtout ceux des grands quotidiens d’information, peut permettre d’exercer une présence sur la toile des idées considérées comme insuffisamment relayées par les médias. Les auteurs des différentes communications de cet ouvrage s’intéressent en particulier à ce militantisme en ligne, tel qu’il a pu être développé avec le site désirs d’avenir, pour la campagne de Ségolène,en 2007.
Aux États-Unis le net a pu être utilisé comme un moyen de collecte de fonds, pour la campagne de Barak Obama, tandis qu’au Royaume-Uni, l’Internet est considéré comme un moyen de refonder un rapport nouveau à l’action politique. Ce sont donc deux formes nouvelles d’activisme politique qui peuvent parfois compléter mais également s’opposer à celles qui existaient précédemment.
On lira avec beaucoup d’intérêt dans le chapitre 2, l’appropriation du Web par les organisations juvéniles « de droite » en Italie. Pour le parti néofasciste de l’alliance nationale, pour le mouvement de jeunesse de la ligue du Nord, l’Internet est apparu comme un outil « naturel » de promotion de leurs idées. La tentative de l’UMP inspirée de ce modèle n’a pas donné par contre les résultats escomptés, en dehors du succès de communication de quelques ministres se ridiculisant en poussant la chansonnette.
Dans un autre genre, l’exploration de la planète rouge, à savoir les sites se réclamant du communisme, et des différentes versions du marxisme-léninisme, ne manque pas non plus d’intérêt. Quelques centaines de militants, sans doute blanchis sous le harnais et ayant largement dépassé la cinquantaine entretiennent des sites de « mémoire », dans lesquels on retrouve aussi bien les paroles et musiques des chants révolutionnaires que des dénonciations de l’hydre capitaliste. L’auteur de cet article traite de cette question en évoquant : « la confirmation d’un communisme identitaire ».
Les acteurs de la vie politique qui sont au service des élus pourront également découvrir avec profit une analyse d’Anne-Laure Nicot sur les sites Internet des députés. S’ils ne sont pas associés à un forum, ils deviennent des instruments de communication électorale assez limités et permettent de rendre compte aux électeurs de l’action de leur élu. Cela remplace de plus en plus souvent le journal de l’élu diffusé dans les boîtes aux lettres, qui n’a plus vraiment bonne presse et qui a l’inconvénient d’être de plus en plus coûteux.
Par contre, lorsque cet outil est associé à un forum il peut permettre à l’élu, dès lors qu’il s’en donne la peine, ou qu’il confie cette mission a l’un de ses communicants, d’entretenir la fiction d’une attention permanente à ses électeurs.
La campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2012 avec la multiplication inédite de « révélations », sur les différentes affaires du moment, va sans aucun doute enrichir la blogosphère et la toile de nouvelles pépites. Il ne sera assurément pas inutile de parcourir les articles de cet ouvrage pour en tirer quelques enseignements précieux pendant cette campagne électorale qui devrait marquer l’entrée dans l’âge adulte de la « net politique ».

Fabienne Greffet est maître de conférences en science politique à l’Université Nancy-2, membre de l’Irenee-Nancy et de Pacte-Grenoble, cofondatrice du groupe « Internet & Politics » de l’European Consortium for Political Research.

Ont contribué à cet ouvrage : Marc Abélès • Dominique Andolfatto • Thierry Barboni • Lucie Bargel • Gersende Blanchard • Franck Bousquet • Nicolas Bué • Dominique Cardon • Stéphanie Dechézelles • Nicolas Desquinabo • Alexandre Dézé • Guilhem Fouetillou • Rachel K. Gibson • Clémence Lerondeau • Djamel Mermat • Anne-Laure Nicot • Anne-Sophie Petitfils • Christophe Prieur • Éric Treille • Thierry Vedel • François Vergniolle de Chantal • Stephen J. Ward
Parution 25 août 2011 – collection Académique, domaine Fait politique 24 C – 320 pages – ISBN 978-2-7246-1217-2 – SODIS 729 233.0