Voici un ouvrage rédigé par une sociologue des médias qui s’intéresse également aux questions de génération. Disons-le tout net, cet ouvrage est absolument indispensable pour tous les acteurs du système éducatif qui sont confrontés à la montée en puissance des réseaux sociaux, particulièrement dans les populations qui se situent dans la tranche d’âge, 15-30 ans.

À la lecture de cet ouvrage, on comprend comment et surtout pourquoi cette génération s’exprime par l’image, notamment lorsque l’auteur analyse des comportements individuels, et notamment l’affaire Jessi Slaughter, une Lolita qui a été l’objet de cyber-attaques et de cyber-harcèlement qui ont pu enflammer la planète Internet.
L’exposition de son intimité, de ses activités, de ses recettes de cuisine parfois, de ses découvertes de liens que l’on diffuse à la planète entière, ne concerne pas simplement les adolescents, mais concerne également des adultes. Toutefois, la différence se situe dans une existence qui serait presque totalement numérique, virtuelle, entretenue par des liens superficiels avec des « amis ». L’auteur donne une indication d’ailleurs surprenante, pour 52 % des usagers de réseaux sociaux, parmi les plus jeunes, le temps de dialogue sur messagerie, sur Facebook a autant de valeur que le temps passé dans le monde réel.
Monique Dagnaud traite également de cette apothéose du présent, emblématique de la culture adolescente, que les réseaux sociaux favorisent.
Paradoxalement, c’est parce que l’on se retrouve en groupe, que l’individualisme, voire l’égoïsme, est favorisé.

Génération du présent

La technologie intensifie et renouvelle les formes d’échanges au sein de ces noyaux amicaux et instaure une manière originale pour « faire génération ». C’est d’ailleurs pour cela que le processus de création et au bout du compte assez rare. L’intervention sur ces réseaux et dans la plupart des cas une intervention de l’instant, qui vise à rendre compte d’un état d’esprit ou d’un état d’âme à un moment donné.
Dans le deuxième chapitre, Monique Dagnaud présente la génération « LOL », en rappelant que c’est un acronyme qui signifie « rire à gorge déployée » que l’on a traduite en français par « mourir de rire », MDR.
Plus intéressant, l’acronyme LULZ, « rire aux dépens d’autrui », qui montre la cruauté dont les usagers peuvent faire preuve, lorsqu’ils retransmettent des images ou des avis peu flatteurs sur leurs contemporains. La « bonne blague » aux dépens d’une connaissance « réelle », associée à l’échange physique, prend une toute autre signification, lorsqu’elle est relayée à l’infini par le biais du net.C’est sur un réseau appelé 4Chan que l’on trouve les mises en scène les plus cruelles, mais aussi les expositions les plus dégradantes, notamment celles des camwhores, des jeunes filles qui se filment avec une webcam dans une tenue provocante à l’affût d’une notoriété et parfois de relations tarifées.
L’auteur essaie de trouver les origines historiques de cette culture LOL, en évoquant la floraison du libelle et des pamphlets qui ont précédé la révolution française. La famille royale était brocardée, et notamment la reine Marie-Antoinette, pour son goût du luxe et pour quelques débordements, réels ou supposés.

Culture low cost

D’un certain point de vue, les attaques dont l’actuel locataire de l’Élysée, à propos du bling-bling, celle sur DSK, celle sur Martine Aubry, s’inscrivent dans cette logique. Cette culture jeune n’est quand même pas imprégnée de la dimension critique nécessaire à propos de l’appréhension de ces « informations » qui sont au final prises pour argent comptant, relayées, amplifiées, déformées.
Dans le troisième chapitre, Monique Dagnaud présente cette génération « la culture numérisée pour tous ». J’aurais envie de présenter cette revendication comme celle d’un « nouvel opium du peuple », si les révolutions arabes et la part relative que les réseaux sociaux ont pu y prendre, n’était pas venues contrarier mes certitudes.
Pourtant, le suivi attentif de ces réseaux sur le Web me confirme au final sur mes points de vue. Après tout, même devant la loi Hadopi, la revendication centrale a pu être : « laissez-nous continuer à télécharger ! », On est loin de l’exigence démocratique qui a pu s’exprimer dans les rues, de l’autre côté de la Méditerranée. Cet isolement devant l’écran de l’ordinateur, ce pépiement, où ses gazouillis, pour reprendre la traduction de Twitter, ne se traduit que très rarement, et dans un contexte spécifique seulement, par une mobilisation et au final par de l’action pour transformer le réel. Pour une bonne partie des jeunes, le piratage n’est en aucun cas un geste militant, mené pour s’affronter à une hydre capitaliste quelconque, mais tout simplement une commodité, qui fait peu de cas du droit de la propriété intellectuelle et qui chahute à la fois le statut de l’auteur est de plus en plus souvent l’intégrité de son oeuvre.
Je serais d’ailleurs réservé sur la conclusion de l’auteur, évoquant l’existence d’un espace public underground. En réalité, cet espace public et parfaitement intégré à une chaîne de production capitaliste, basée sur la propriété privée des moyens de communication et d’échange. D’ailleurs, cette diffusion massive du Web 2.0 n’est absolument pas neutre. Plusieurs opérateurs envisagent de s’approprier les réseaux en remettant en cause la neutralité du net, et en envisageant de proposer des flux différenciés, pour leur permettre de diffuser leurs propres contenus dans les meilleures conditions possibles. Je ne crois pas pour ma part à un avenir du low cost, mais plutôt à sa marchandisation extrême. Et au bout du compte cela nous rapproche beaucoup d’un mode de fonctionnement que l’on a pu voir à propos des compagnies aériennes basées sur ce modèle, des service minimum, accompagné de sollicitations marchandes quasi obligatoires, qui sont sources de profit. Cette Y génération qui ne dispose pas, quoi que l’on puisse en dire, des outils conceptuels pour comprendre ces évolutions, apparaît bien désarmée et bien impuissante, pour s’y opposer. C’est en tout cas le cas dans les pays développés, dans d’autres situations, les jeunes ont pu s’emparer de ces moyens comme instrument de subversion. Mais c’est tout de même, au-delà du virtuel, leur présence physique et courageuse, qui a pu leur permettre d’entrer dans l’histoire.

© Bruno Modica