Sous la plume de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero, Corto Maltese revient promener sa longue silhouette reconnaissable entre toutes, pour la quatrième fois depuis le décès de son créateur Hugo Pratt. Les similitudes entre Black Sad, le détective bougon à tête de chat mis en scène par Juan Díaz Canales, et le célèbre marin sont ici légion : même silhouette longue et nonchalante, même atmosphère sombre, même ambiance digne d’un « film noir ». 

Berlin, Années Folles

Pour le nouveau volume des aventures de Corto Maltese, le plus célèbre des marins vient jeter l’ancre dans la capitale allemande au milieu des années folles. Dans cette ville en ébullition s’affrontent militants communistes et factions fascisantes au sein d’une République de Weimar impuissante malgré les efforts du gouvernement. Il est intéressant de noter que les parutions grand public récentes ne se focalisent plus uniquement sur la montée du NSDAP mais évoquent bien la multiplicité des groupes d’extrême-droite antisémites et ultra-nationalistes qui pullulent alors, et pas seulement à Berlin. La référence aux « hommes libres » de la Sainte Vehme du royaume de Westphalie n’est d’ailleurs pas sans rappeler la « Weiße Hand » évoquée dans la saison 4 de la série Babylon Berlin récemment sortie.

C’est d’ailleurs cette dernière qui a servi, avec d’autres films anciens comme la « Symphonie d’une grande ville » (1927) d’inspiration à Juan Díaz Canales (interview ActuaBD, 12 septembre 2022).

Corto à Prague

Dans ce nouvel opus, Corto Maltese apprend la mort de son vieil ami Steiner (qu’il avait retrouvé précédemment en Suisse, épisode raconté dans Les Helvétiques par Hugo Pratt en 1988) et découvre à cette occasion une mystérieuse société alchimique qui cherche à reconstituer le fabuleux tarot Visconti-Sforza. Tout indique la direction de Prague, la ville du Golem et de la ruelle d’or des alchimistes. Corto Maltese y croise la route d’une équipe de tournage, tombe au détour d’une rue sur la « place maltaise », manque de se noyer dans la Moldau, avant de faire ses débuts au cinéma dans un rôle taillé pour lui ! Et si cette histoire de tarot cachait une toute autre affaire, nettement plus politique ?

Notre marin pourra-t-il déjouer tous les pièges et peut-être sauver la République de Weimar ?

Une colorisation façon drapeau allemand

Dès la couverture, le choix de colorisation donne le ton : les rouges sont sanglants, la noirceur guette, les ombres sont menaçantes : ces nocturnes berlinois ne sont pas de tout repos ! Dans une interview, Rubén Pellejero confie son goût pour les « masses de noir » et son envie de « soigner les ambiances nocturnes de Berlin » (interview ActuaBD, 12 septembre 2022).

Les façades esquissées à grands traits permettent de situer les grandes artères et monuments de Berlin ainsi que ses fameux cabarets, quand Prague apparaît tout d’abord dans une sorte de fantasmagorie bleutée autour de l’empereur Rodolphe II. « C’est la capitale européenne de la magie » (Juan Díaz Canales, interview ActuaBD, 12 septembre 2022). Pourquoi ne pas en profiter pour faire faire son portrait par le célèbre Arcimboldo ? s’amuse Corto Maltese.

L’intrigue est plaisante à suivre, même si l’histoire semble un peu difficile à suivre dans les premières pages à cause de la multiplicité des protagonistes, mais le fil directeur se dégage assez rapidement et on emboîte de bon cœur le pas au marin à la célèbre redingote ! Les explications historiques sont bien amenées, pour expliquer le contexte aux lecteurs non familiers avec l’histoire de l’Allemagne dans les années suivant la Première Guerre mondiale, et cela fait de ce bel album une lecture intéressante pour tous les amateurs d’histoire comme pour les amis de longue date de Corto Maltese.