Après une introduction catastrophée sur une Afrique à feu et à sang, en particulier dans ce que l’auteur nomme, l’axe de tension ouest-africain de la Guinée à la Côte d’Ivoire, le récit débute dans les années 90.
Les étapes du repli identitaire
Avant et surtout au lendemain de la mort d’Houphouët Boigny en 1993 on assiste à la montée du concept d’ivoirité dans un contexte de difficultés économiques. Ce chapitre présente les étapes politiques et économiques de la succession d’Houphouët Boigny, la montée des oppositions (Laurent Gbagbo) et la question du droit de vote des étrangers mais aussi la question foncière en particulier dans la région des cultures de rente (café, cacao).
Sont ensuite décrits: la nouvelle constitution, la question de l’éligibilité votée par référendum en juillet 2000 qui marque la ligne de fracture Nord-Sud et les élections législatives tronquées suivies de troubles (dec 2000-janv 2001).
La chronologie des événements se déroule : élections municipales en mars 2001, forum de réconciliation nationale en mai.
Le soulèvement militaire et l’assassinat du général Gueï ouvrent une partition entre des groupes armés, pose la question du soutien burkinabé. C’est ensuite l’intervention française, l’opération Licorne, le double jeu de Laurent Gbagbo et ses « jeunes patriotes » et les accords de Marcoussis, un récit extrêmement précis des faits plus qu’une analyse.
L’auteur décrit le long chemin vers l’élection présidentielle de 2002 à 2010, la médiation africaine de Thoba Mbeki, les accords de Pretoria (2007), le démantèlement de la zone tampon entre Nord et Sud, l’élaboration des listes électorales et l’intégration des rebelles dans l’armée nationale.
La première partie se termine avec les deux tours de l’élection présidentielle qui voit la victoire d’Alassane Ouattara mais ne traite pas des heurts qui l’ont amené à reprendre par la force le pouvoir à Laurent Gbagbo.
Les facteurs de désagrégation
La seconde partie ouvre des perspectives de compréhension. Après un rapide survol géo-économique, l’auteur pose la question du concept de nation. C’est l’occasion d’une rapide évocation de l’histoire du peuplement, non sans méfiance à l’égard des sources orales et des historiens locaux: migrations intracontinentales, esclavage, éléments qui peuvent avoir, aujourd’hui encore, des conséquences quant au sentiment d’appartenance face à un concept importé par le colonisateur: l’idée de nation. Le rappel du processus colonial insiste sur la notion de frontière face à la colonisation anglaise, et sur le partage fluctuant entre A.O.F. et A.E.F. qui touche le Nord de l’actuelle Côte d’Ivoire tantôt rattaché à la région de la Volta, tantôt non, ce qui pourrait expliquer les différences de taux de scolarisation, la répartition et la structure des associations et syndicats si différentes entre Nord et Sud, ainsi que l’image d’étrangers des cadres indigènes dahoméens, togolais ou sénégalais qui ont été rejetés de manière parfois violente (1928, 1958). L’auteur montre une xénophobie ancienne et latente malgré des bases fragiles pour un enthno-nationalisme, une démographie différenciée selon les régions et les groupes ethniques, la répartition et le poids des « étrangers », même si ces migrations sont anciennes et antérieures à l’indépendance. Face à cette population-mosaïque, le concept d’ivoirité s’est développé surtout parmi les classes pauvres urbaines sur fond de crise économique. Ce chapitre est sans doute celui qui donne le plus de clés de compréhension.
Mais une réflexion sur la notion d’Etat, elle aussi importée, est utile pour comprendre les difficultés actuelles dans ce pays aux nombreuses chefferies de poids traditionnel différent. Le rôle central d’Houphouët Boigny et le système du parti unique ont mis en place ce que Christian Bouquet appelle un état néo-patrimonial, qui a tenu grâce à la culture de rente et fut mis à mal par la crise économique et l’idéologie du multipartisme proclamée par François Mitterrand à La Baule en 1990 ainsi que par la politique de la Banque Mondiale et du F.M.I. imposant l’ajustement structurel. Le chapitre propose également une approche sur le transfert d’un autre concept occidental: la décentralisation.
Tous ces facteurs ont favorisé la montée des mécontentements et la naissance d’une opposition au main de personnages ambitieux.
Le chapitre 8 est consacré à l’économie; on rappelle l’ancienneté de l’économie de traite: bois et coton durant la période coloniale, puis café et cacao. Cette économie d’exportation a longtemps été au profit de l’État et de ses commis. L’analyse de la crise du café et du cacao, la montée de l’endettement et la politique d’ajustement structurel sont décrits ainsi que leurs conséquences: crise sociale sur fond de scandales politico-financiers, montée de la xénophobie des « jeunes patriotes ».
Dans le dernier chapitre: jeux et enjeux politiques, l’auteur revient sur la politique politicienne en proposant des portraits: le « vieux » Houphouët Boigny, personnage et parcours ; le trépied politique constitué du « dauphin » Henri Conan Bédié et des opposants Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo; les autres, dont le général Robert Gueï et Charles Blé Goudé. Il passe ensuite en revue les influences extérieures: les voisins (Libéria, Burkina-Faso…) et le reste du monde (France, O.N.U., O.U.A et O.N.U.C.I.).
L’auteur conclut sur le caractère exemplaire de la crise ivoirienne et rappelle que son ouvrage se veut être un corpus d’informations pour tenter de la comprendre.