En librairie le 8 octobre

J’avais eu le privilège de recevoir de Jean-Louis Marteil, l’éditeur, quelques une de ces lettres en avril dernier. Cet été j’ai pu recevoir les épreuves de service de presse… Et j’ai dû me retenir pour ne pas en parler… A quelques jours de la mise en vente de cet ouvrage, le moment est venu de raconter cette histoire…

L’arrivée dans les bonnes librairies de ces lettres à Pauline devrait constituer sans doute au début du mois d’octobre un événement éditorial d’importance. Dès le début, la Cliothèque a suivi de près cette aventure des éditions la Louve, une petite maison régionale, son siège se trouve à Cahors, qui a tout d’une grande.

Ces lettres à Pauline ont été écrites par un noble qui a traversé la tourmente révolutionnaire et qui a entretenu une longue correspondance avec son épouse. Ces 236 lettres, regroupées en huit chapitres, sont restées dans la famille jusqu’en 1982 avant d’être acquises par les archives départementales de l’Ardèche. Claudine Pailhès, conservateur en chef du patrimoine, directrice des archives départementales de l’Ariège, enseignant en archivistique à l’université de Toulouse le Mirail, présente ses textes comme «un cadeau fait à l’histoire.» Et après les avoir lues, et pour certaines relues, on ne peut que lui donner raison.

Derrière ces lettres, qui sont celles de Gaston à son épouse, c’est la trajectoire d’un témoin attentif qui a joué un rôle modeste dans l’histoire, que l’on découvre. L’auteur est un de ces nobles, issu d’une famille de ces vassaux du roi en Languedoc dont la présence remonte à la croisade des Albigeois. On en retrouve les origines à Mirepoix en 1212, et les Lévis sont sénéchaux de Carcassonne et Béziers jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Gaston de Lévis est issu de la branche cadette de cette famille, implantée sur la baronnie d’Ajac près de Limoux.

Incontestablement, les Lévis appartiennent à cette noblesse d’épée qui sert la monarchie sans discontinuer. François de Lévis, le père de Gaston, participe à la guerre de succession de Pologne en 1733, puis à celle d’Autriche en 1740. Il est colonel en 1745. En 1756, on le retrouve au Canada et il est commandant en second avec Montcalm. Après une participation à la guerre de sept ans, il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1782 et devient duc et pair du royaume en 1784. Entre-temps, Gaston de Lévis a vu le jour en 1764.

Dans ces familles ou les stratégies matrimoniales sont courantes, Gaston de Lévis épouse la jeune Pauline d’Ennery, issue d’une famille de planteurs de la Martinique, née en 1771. Le mariage a lieu en 1784, Pauline à 13 ans, tandis que le jeune mari en a 23. Dès le mariage, dans la mesure où il ne peut être consommé tout de suite en raison du jeune âge de Pauline, Gaston de Lévis part pour un voyage de six mois en Prusse. Et dès son départ, il commence à écrire à cette jeune épousée. Des lettres précises, détaillées, ou Gaston évoque simultanément ses découvertes à l’étranger et les sentiments très forts qui se manifestent à l’égard de Pauline.

Aucune des lettres de Pauline en réponse à Gaston n’a été conservée, mais finalement on se plaît à deviner la tonalité de ces correspondances, qui traduisent pour les deux jeunes époux une incontestable culture personnelle et une curiosité pour les choses de la vie qui les rend tous deux attachants.

Une fois le mariage consommé, le couple vit à proximité de Paris. Sa famille d’origine lui permet d’accéder à des fonctions importantes. En janvier 1789 il est Bailli de Senlis et Seigneur d’Ennery, une possession de la famille de Pauline. Très vite des liens étroits avec Monsieur, le frère du roi se nouent, et tout semble sourire à ce jeune ménage. En tant que seigneur d’Ennery, il participe à la rédaction des cahiers de doléances. Il fait partie de la noblesse mais il se révèle progressiste, acquis aux réformes, participe dès juin 1789 aux débats de l’assemblée constituante, et se sent proche de Mirabeau. Ce dernier envisageait avec Monsieur le frère du roi, un projet de Régence permettant de réaliser une transition vers une monarchie à l’anglaise.

Pourtant, dès 1790, Pauline s’en va. Gaston veille sur les biens de sa belle-famille en restant en France, il rejette les émigrés qui se réfugient dans les terres d’empire et conseille à son épouse de s’installer en Angleterre.
L’évolution des événements entre 1791 et 1792 l’amène à émettre des réserves de plus en plus fortes contre ce qu’il qualifie « d’excès de la révolution ». Sa présence en France, à Paris même, lui permet d’échapper pendant un temps aux mesures contre les émigrés, et notamment les confiscations de leurs biens.
Toujours lié à l’entourage du roi, il est présent aux Tuileries et participe à la défense du château le 20 juin 1792. Cet événement est un tournant, il décide de rejoindre l’armée des princes, toujours avec ce souci de veiller au bien-être de sa famille, de Pauline et de sa fille Augustine que le couple a eue avant le départ de Pauline pour l’Angleterre.

Le réformateur de 1789 semble avoir été blessé dans son idéal. L’impossibilité de voir se mettre en place une monarchie constitutionnelle le conduit à choisir son camp, celui de sa classe ou de son ordre d’origine. Mais Gaston Lévis reste toujours lucide. Il ne cache pas son mépris pour les émigrés et pour rejoindre l’armée des princes il devra d’ailleurs contribuer de ses deniers. Il versera 2000 louis d’or. Il semblerait que c’est Pauline qui l’a influencé en ce sens. Le prince de Condé l’incorpore dans un régiment de chasseurs wallons de l’armée autrichienne et il semble se comporter comme un bon soldat.
Le récit qu’il fait de ses campagnes est vivant, il épargne son épouse de descriptions trop brutales de scènes de combat, mais il reste très présent au cœur des opérations. Il se retrouve à Valmy le 20 septembre, et le 23 septembre il écrit une nouvelle lettre à partir des positions autrichiennes. Le 3 octobre l’armée autrichienne fait retraite. Il part à Londres avant de participer à une nouvelle campagne en 1793, celle du débarquement de Normandie visant à s’emparer de Grandville.

En 1794, il se retrouve sur la liste des émigrés et il est l’objet d’un mandat d’arrêt. Pendant cette période il réside à Londres avec Pauline et sa belle-mère, et en avril 1794 le premier garçon du couple voit le jour. De l’autre côté de la Manche, pendant la terreur, la mère de Gaston et ses deux jeunes sœurs sont arrêtées, condamnées à morts et exécutées.
En juin et juillet 1795, Gaston participe à l’expédition de Quiberon. Il obtient un commandement, se prépare au combat mais le débarquement est un échec. Les relations entre les chouans et les royalistes ne semblent pas au beau fixe. Gaston raconte leurs erreurs tactiques, déplore leur absence d’organisation, et en profite pour demander à sa femme, dans une lettre surprenante des gants neufs, du bouillon et du chocolat.
Il est blessé au feu et son cheval meurt sous lui. Mais il rassure Pauline tout en l’assurant de la passion qu’elle continue de lui inspirer. Ces dernières lettres s’enchaînent avant son retour vers l’Angleterre, mais la dernière est une lettre de rupture.
Il semblerait en effet que Pauline ait été très proche d’un certain Paul de Chavigny. Mais il ne semble pas que cela ait été le seul accroc au contrat de mariage.

Mais cette lettre de rupture ne signifie pas la fin du couple. Au contraire, Gaston essaie pendant le directoire de se faire rayer de la liste des émigrés, mais c’est seulement en 1800, qu’ils peuvent revenir en France. Les biens de la famille ont été vendus et dispersés et il faudra attendre la restauration pour que le duc soit récompensé de sa fidélité à la dynastie des Bourbons en étant promu pair de France. Cela permet au couple de vivre dans une aisance relative, sous la protection de la cour de Charles X. Pauline meurt en 1829 et Gaston la rejoint le 28 février 1830.

Modernité du style

Ce qui fait l’intérêt de la publication de ces lettres va très au-delà de la période pourtant centrale de la révolution française pendant laquelle elles ont été rédigées.
Gaston de Lévis écrit avec une étonnante modernité de style. Il traduit un sens de la formule étonnant lorsqu’il répond à Pauline qui veut revenir à Paris en 1791, « il faudrait beaucoup de courage pour ne pas exposer votre enfant à être égorgée par un pandore ou mise par les patriotes la bouche d’un canon ».

Il apparaît parfois attendrissant lorsqu’il assure Pauline de son amour alors que la belle semble se faire conter fleurette par Paul de Chavigny ou un autre. Pourtant, ce couple reste lié et c’est peut-être Pauline à que le mérite revient. On devine dans cette correspondance à sens unique une femme indépendante, beaucoup moins une mère, qui ne souhaite pas se laisser dicter sa conduite par un mari attentionné mais qui pourrait à la longue se révéler pesant.
Heureusement, il part au combat, ce qui sans doute permet à Pauline de vivre comme elle l’entend.
Mais dans le même temps, ce « brave Gaston », se préoccupe de donner à sa famille, et donc à Pauline, un tantinet volage, les moyens de son indépendance. Il souffre certes, il souffre de son éloignement, mais dans le même temps il manifeste sa fidélité et ce que l’on pourrait appeler le sens de l’honneur. Dans la dernière lettre il demande son épouse de ne pas déroger à ce que l’on attend d’une femme de son rang.

C’est finalement un noble, libéral, dans tous les sens du terme que l’on découvre au fil de ces pages, mais c’est aussi un témoignage rare, sur des convulsions de l’histoire. Il annonce à son épouse les événements de Paris en juillet 1789 en la suppliant de quitter la capitale et ses environs, il raconte Valmy et son témoignage resitue précisément le rôle de ce fameux moulin sur lequel les historiens s’opposent encore. On vit avec lui ces affrontements sur la grève lors des tentatives royalistes de prendre pied sur les côtes de l’Ouest.
Et puis les lettres s’arrêtent tout simplement parce que c’est avec Pauline qui vit, sans doute après lui avoir pardonné ses infidélités. On referme ses pages, après ce voyage dans l’intimité d’un couple dans la tourmente de l’histoire, avec toujours cette interrogation : qui est cette Pauline qui a pu inspirer des sentiments si profonds ?

Bruno Modica