Présentation de l’éditeur
Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d’un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l’adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d’intelligence, d’énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie.
Christian de Metter :
l’adaptateur graphique de la saga de Pierre Lemaitre (Les enfants du désastre)
Né le 8 décembre 1968 en Ile-de-France, Christian de Metter a 52 ans. Il a fait ses études dans une école de dessin publicitaire et a débuté dans la bande dessinée après avoir travaillé comme dessinateur dans la presse rock. Sa première série BD s’est intitulée Emma ; elle est tout d’abord éditée aux éditions Triskel (1999) puis rééditée par Soleil Productions. On lui doit d’autres séries telles que Dusk, parue aux éditions Les Humanoïdes associés, ou encore Swinging London. Il a reçu le « Prix du public » du festival international de la bande dessinée d’Angoulême pour Le Sang des Valentines, avec Catel Muller, en 2005. En 2008, il a réalisé une adaptation du best-seller de Dennis Lehane, Shutter Island, pour lequel il a obtenu le Prix des Libraires de Bande Dessinée (Canal BD) en 2009 ainsi que le prix Mor Vran de la BD par le jury du festival du roman et de la BD noires et policières. La même année (2009), il a reçu le Grand Prix du festival Des Planches et des Vaches pour l’ensemble de son œuvre. En 2014-2015, il a participé au Prix littéraire des lycéens et apprentis de Bourgogne. Il a remporté ce prix dans la catégorie BD.
Si Pierre Lemaître avait participé à l’adaptation en bande dessinée de son roman Au revoir là-haut au côté de Christian de Metter parue en 2017 aux Éditions Rues de Sèvres, il a laissé cette fois le dessinateur-scénariste seul aux commandes de l’adaptation graphique puisque le romancier était occupé à finir le troisième et dernier volet de sa trilogie (Miroir de nos peines paru en janvier 2020, aux Éditions Albin Michel) et se consacrait en parallèle à l’adaptation cinématographique de ce second volet Couleurs de l’incendie dont le roman était sorti en 2018, aux mêmes Éditions Albin Michel.
Le roman graphique Couleurs de l’incendie (Les enfants du désastre : tome 2 / 3)
Dans le tome 2 de la trilogie Les enfants du désastre (Couleurs de l’incendie), l’action commence à Paris, en février 1927, où divorcée d’Henri Aulnay-Pradelle qui croupit en prison suite à ses trafics dans les cimetières militaires, Madeleine Péricourt lassée des hommes a refusé d’épouser en secondes noces le fondé de pouvoir de la banque familiale, Gustave Joubert. Quand son père meurt et que son fils unique de sept ans, Paul, se défenestre et reste paralysé, Madeleine Péricourt sombre dans la neurasthénie et se désintéresse de la gestion de son empire bancaire. C’est le moment que choisit Gustave Joubert pour attaquer… On retrouve d’emblée, une parenté entre cet album et le précédent puisque le « saut de l’ange » de Paul Aulnay-Pradelle en pleine page (p. 12) rappelle la couverture d’Au revoir là-haut. Cette pleine page du deuxième opus donne le ton choisi par Christian De Metter également : quand on avait dans le roman un véritable morceau de bravoure, une description qui s’étendait sur 30 pages (le corps du petit garçon rebondissait sur le catafalque funéraire avant de s’écraser sur le cercueil), ici tout est traité en ellipse et en sobriété. Pour passer du roman foisonnant de 530 pages à un roman graphique de 170 pages, Christian De Metter a en effet choisi de resserrer l’action au point de ne pas développer certains caractères comiques (la bonne polonaise de Paul Pradelle nommée Vladi et le mari de Léonce ayant pour nom Robert Ferrand, par exemple). L’album devient plus noir et se concentre sur de magnifiques portraits de femmes, la trame de la vengeance et la chronique des années 30.
Le sujet principal de Couleurs de l’incendie : c’est Madeleine Péricourt, personnage très secondaire d’Au revoir là-haut, qui prend l’envergure d’une grande héroïne comme l’indique la couverture de l’album sur laquelle elle occupe les deux tiers de l’espace. Après le roman et l’album d’Au revoir là-haut qui racontaient une histoire d’hommes, voici venu celui consacré aux femmes. En effet, la bande dessinée de Christian De Metter donne beaucoup moins d’importance au Paul Aulnay-Pradelle adolescent de la deuxième partie du roman par exemple et met au premier plan Madeleine Péricourt, Léonce Ferrand, Solange Gallinato et même un personnage a priori anecdotique et qui devient crucial ici : Hortense Péricourt. Ce sont les femmes qui amènent de la couleur dans cet univers sombre : les seules pages à bénéficier de lumière sont celles dévolues aux héroïnes et dotées de couleurs pastels bleu, rose et jaune d’or. Christian De Metter en fait des personnages bien plus complexes que les protagonistes masculins. Ainsi, Solange Gallinato malgré son aspect comique de Castafiore s’avère être une vraie héroïne qui brave le Troisième Reich et son Führer Adolf Hitler en personne (p. 124-128) ; Léonce Ferrand et Madeleine Péricourt entretiennent une relation presque amoureuse que souligne un montage parallèle dans lequel on voit d’une part Solange Gallinato interpréter un air dans lequel l’abandonnée se plaint de la trahison de son amant et d’autre part Madeleine Péricourt comprendre la machination de Gustave Joubert et découvrir que sa fidèle gouvernante Léonce était de mèche (p. 62-63). Avec le dernier plan du passage, on perçoit que le chant d’amour (« je vous ai tant aimée pourquoi vous haïrais-je ?) s’adresse à « l’amie » Léonce Ferrand… (p. 63). Les héroïnes sont donc moins lisses qu’on pourrait le penser. À travers ces figures féminines, le dessinateur-scénariste évoque le sort des femmes des années 1930 qui, malgré ce qu’elles avaient fait durant la Grande guerre de 1914-1918 en assurant le rôle des hommes, demeuraient d’éternelles mineures et passaient de la tutelle d’un père à celle de leur mari. L’auteur souligne comment certaines s’affranchissaient de cela grâce à leur art (Solange Gallinato), leurs charmes (Léonce Ferrand) ou en décidant de ne plus être de simples femmes objet en agissant (Madeleine mais aussi Hortense Péricourt).
À la fin de son roman, Pierre Lemaître indiquait lui-même qu’il avait voulu rendre hommage à Alexandre Dumas père. Christian De Metter reprend également le thème de la vengeance. Le tournant de l’album est fort bien marqué par l’épisode central du long flashback en noir et blanc qui est l’aveu de Paul Aulnay-Pradelle à sa mère de son viol longtemps tu (p. 68-72). À partir de ce moment, Madeleine Péricourt se transforme en louve et va se venger de ceux qui leur ont fait du tort en élaborant une machination. On notera d’ailleurs le rôle symbolique de sa confrontation avec Léonce Ferrand devenue Joubert dans son ancien hôtel particulier : elle sont dans le hall qui est pavé en noir et blanc et ressemble à un échiquier (p. 89). Madeleine Péricourt va petit à petit avancer ses pions et gagner la partie. Pour souligner ce côté méthodique et implacable, Christian De Metter multiplie les parallélismes de situation et les répliques en écho : ainsi le baiser de Judas que Léonce Ferrand lui avait donné en première partie (p. 44) est présent de façon symétrique dans la deuxième partie de l’album mais cette fois c’est Madeleine Péricourt qui embrasse (p. 89) ; la phrase moqueuse « la roue tourne » prononcée par l’une des nièces Péricourt (p. 64) se retrouve dans la bouche de Madeleine Péricourt au moment du procès et à chaque fois qu’un de ceux qui ont œuvré à sa perte est châtié (p. 169), elle apparaît fugacement telle Edmond Dantès dans le roman Le comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas père pour lui signifier qu’elle est à l‘origine de sa ruine…(p. 137 et 159).
Couleurs de l’incendie : une chronique des années 1930 adaptée graphiquement par Christian de Metter
Le roman (forme de chronique des années 30) était extrêmement documenté, l’album l’est aussi. Pierre Lemaître et Christian De Metter dépeignent grâce aux personnages de Charles Péricourt et de Gustave Joubert les magouilles financières des députés, les délits d’initiés et la spéculation. Dans l’album, tout se négocie de façon feutrée dans des dîners. On y perçoit également la montée du nationalisme lors des diverses assemblées. Christian de Metter souligne aussi l’hypocrisie de l’époque par un retour vers l’ordre moral avec le personnage d’André Delcourt devenu la coqueluche des soirées mondaines depuis qu’il a écrit un article contre l’avortement ainsi qu’avec le chantage dont est victime Hortense Péricourt. Ce climat particulièrement délétère est bien symbolisé par les camaïeux de bruns qui composent l’essentiel de la couleur des pages. On a vraiment l’impression d’y voir « les couleurs de l’incendie », c’est-à-dire l’extension de la tragédie brune hitlérienne… Christian de Metter inclut dans sa bande dessinée des extraits de journaux de l’époque qui relatent le boycottage des magasins juifs (p. 105) et montre par la retranscription in extenso de la lettre que Paul Aulnay-Pradelle adresse à son idole Solange Gallinato qu’un enfant de douze ans, est finalement bien plus clairvoyant que la plupart des adultes de son entourage (p. 106). Il nous emmène également à Berlin où le décorum nazi fonctionne déjà à plein et consacre un long passage au récital de Solange Gallinato afin de souligner comment les artistes furent parfois les premiers à entrer en résistance et à éveiller les consciences (p. 124-127) (la diva provoque ainsi la révolte du chef d’orchestre allemand qui l’accompagne). En guise de conclusion, cette adaptation graphique du roman de Pierre Lemaître par un Christian De Metter, à la fois dessinateur et scénariste, est tout bonnement une véritable réussite du genre…
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour « La Cliothèque »)