Cette BD documentaire nous retrace l’histoire passionnante de la bière, une histoire commencée il y a maintenant plus de 15 000 ans ! Après le vin et la cuisine, Besnoit Simmat complète ainsi la très belle et riche collection des Arènes BD avec ce nouveau volume consacré à la boisson la plus consommée au monde avec 200 milliards de litres consommés chaque année, soit 25 litres par personne !
Les origines de la boisson fermentée de céréales
C’est à la fin du Paléolithique que les hommes découvrent les boissons fermentées et donc alcoolisées. Les archéologues ont retrouvé des traces de cuisson de céréales ou de brassages primitifs en Israël, en Anatolie, dans le bassin du fleuve Jaune ou en Haute-Egypte. Dès l’origine, les usages de la bière sont multiples, à la fois breuvage festif, moyen de communiquer avec les dieux ou monnaie d’échange. Les recettes variées en fonction des civilisations : en Asie, on conçoit une boisson fermentée à base de riz ou de millet alors que les Mayas utilisent le maïs. La production et le commerce sont rapidement organisés et règlementés par le pouvoir en place. C’est par exemple le cas à Babylone où le Sikaru (« pain liquide ») est codifié par le célèbre Hammurabi. Dans l’Égypte antique, des sites de production comparables à de véritables brasseries apparaissent comme à Hiérakonpolis avec la production de 300 litres de bière par jour !
Les périodes grecque et romaine puis le christianisation marquent un coup d’arrêt pour la bière avec une nette préférence pour le vin qui devient la boisson des princes, des prêtres et des riches. Bien sûr, la bière subsiste notamment dans les campagnes. Dans les régions où il n’y a pas ou peu de vin, la bière connaît une période de prospérité : dans la Chine des Han, l’Amérique des Mayas, en Scandinavie ou en Irlande.
La période médiévale : modernisation et professionnalisation de l’activité brassicole
Il faut attendre l’Europe carolingienne chrétienne afin que la bière retrouve une place importante notamment dans les monastères. L’administration de Charlemagne s’emploie à réglementer le métier de brasseur. C’est un tournant important car la fabrication de la bière bascule alors de la sphère domestique et féminine à la sphère religieuse et masculine. En se « professionnalisant », l’activité brassicole migre des campagnes vers les villages où se trouvent les établissements religieux. Ces sites se modernisent, la bière devient plus limpide et plus subtile.
Aussi, en Europe, les paysans-brasseurs vont remplacer le gruit, mélange d’épices à ajouter au malt moulu, qui était à acheter aux monastères, par une plante herbacée : le houblon. On fabrique rapidement ces bières nouvelles à Hambourg, à Einbeck, à Bruges, à Louvain, en Bourgogne, en Alsace ou en Suède. En France, le terme « bière » apparaît justement sous le règne de Charles VII afin de qualifier ces nouvelles bières houblonnées.
Révolutions scientifique et industrielle
Les XVIIIe et XIXe siècles révolutionnent la production et le commerce de la bière. En 1784, en Angleterre, James Watt expérimente sa machine à vapeur dans l’usine du brasseur Whitbread. Les brasseries de bière sont ainsi les premières usines modernes ! On réfléchit aussi à produire des bières qui doivent répondre aux exigences de goût et de transport. Ainsi, la pale se voit concurrencer l’India Pale Ale, une bière « exotique » plus claire, plus amère et plus rafraichissante qui connaît rapidement un grand succès. La porter devient elle la bière des classes populaires. Sa production est soutenue par le Parlement qui voit ici l’occasion de renflouer les caisses du royaume en taxant ce produit si populaire. Une porter stout va notamment connaître un immense succès depuis l’Irlande : la Guinness. C’est en Europe centrale qu’un nouveau type de de bière, « enfant de la science », voit le jour et va conquérir le monde : les lagers et la Pils, des bières à fermentation basse température. La pasteurisation sera bien sûr un progrès immense en stabilisant le produit mais sera aussi à l’origine de l’uniformisation du goût de la bière. La révolution des transports achève de faire des lagers et des pilsners et autres pale ales des produits d’exportation mondiaux. De grandes marques commencent à écraser le marché : Budweiser aux Etats-Unis, Heineken aux Pays-Bas, Carlsberg au Danemark ou encore Stella Artois en Belgique. C’est le début de l’ère des « Léviathans » qui vont rapidement comprendre l’importance de la publicité dans ce vaste marché de masse mondialisé.
La « réinvention » de la bière
Le renouveau a notamment lieu en Belgique où au XIXe siècle les monastères trappistes se mettent à produire leurs propres bières et se forgent une réputation d’excellence, les moines contrôlant eux-mêmes le processus de production et de qualité. Ainsi, Westmalle, Rochefort, Westvleteren ou Orval deviennent des bières de référence. Dans les années 1950 et 1960, toujours en Belgique, des « résistants » vont tenter de freiner le rouleau compresseur du modèle universel de la lager. Ainsi vont se développer des bières industrielles mais particulières : Chouffe, Duvel, Mort Subite, Queue de Charrue, Saint Bernardus ou Saint Feuillien. Les « Léviathans » se mettent alors à développer aux aussi leurs bières d’abbaye en utilisant des noms de monastères ayant une antériorité historique : Affligem (Heineken), Leffe (Stella Artois), Grimbergen (Carlsberg), …
Aux États-Unis puis partout dans le monde, à la fin du XXe siècle, des brasseurs vont innover, créer et réinventer de nouvelles bières artisanales, les crafts beers, redonnant ainsi ses lettres de noblesse à ce breuvage. Aujourd’hui, en France, deux ou trois brasseries artisanales sont créées chaque semaine ! Il existe maintenant des dizaines de milliers de bières de quartier qui côtoient les marques bien connues des puissantes multinationales. Ces crafts beers finissent parfois par être absorbées par de plus gros acteurs : la Gallia absorbée par Heineken ou la Brooklyn Brewery qui reste indépendante mais qui a passé un accord de distribution avec Carlsberg.
Avec talent, érudition, pédagogie et humour, Benoist Simmat et l’illustrateur Lucas Landais nous plongent dans l’histoire millénaire de la bière. Un subtile et conséquent volume de plus de 200 pages à savourer de toute urgence !
Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX