Premier volume de Révolution, une trilogie sur la Révolution française, « Liberté » ressuscite 1789 en se promenant dans tous les étages de la société. Une fresque grandiose, brassant de multiples personnages et qui totalisera près de 1000 pages. Un livre-événement, par les auteurs d’Éloi ».

Cette BD est le premier tome d’une trilogie intitulée très sobrement Révolution. Cet opus est lui-même appelé « Liberté » et sera suivi d’ « Égalité » et enfin « Ou la mort ». Actes Sud –  L’An 2 publie ce travail colossal de Younn Locard et Florent Grouazel qui ont donné chez le même éditeur, en 2013, Eloi, un huis-clos situé à bord d’un navire du XIXe siècle. Locard et Grouazel sont à la fois scénaristes et dessinateurs de Révolution. L’édition, avec tranche rouge et papier de haute qualité, rend hommage à cet ensemble très documenté et abouti.

« Liberté » est le résultat d’un travail de recherche de cinq ans et évoque pour reprendre les termes de l’éditeur « les événements de 1789 à 1794 en se tenant au plus près du peuple, et non dans les pas des grandes figures de l’époque ». Nous sommes ici dans les courants historiographiques actuels, c’est-à-dire ceux qui s’intéressent à l’histoire par le bas, celle des acteurs anonymes qui ont vécu, subi, initié les grandes ruptures de notre histoire. C’est dans cette voie aussi qu’il faut comprendre la participation à ces cinq ans d’efforts de Pierre Serna, professeur d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, et qui signe la postface de ce livre.

Si cet ouvrage a le mérite de combler l’absence remarquée et incompréhensible d’ouvrages de bande dessinée traitant du sujet révolutionnaire, il n’en est pas pour autant un ouvrage sur les événements en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Il est une plongée intimiste, mouvementée, haletante dans un Paris bouleversé par les événements de cette fin de siècle. Les auteurs partent chronologiquement des États généraux pour terminer au début de l’ascension de Robespierre.

Ils nous font suivre le destin de Louise, une domestique orpheline, brinquebalée avec sa sœur, Marie, gamine solitaire et paumée arpentant les rues et les égouts sales et en proie aux pires difficultés dans cette tourmente historique ; de Laigret, pseudo-journaliste pamphlétaire et comploteur, témoignant des controverses politiques mais aussi de la peur de certaines catégories sociales face à l’incompréhension du mouvement ; de deux nobles bretons, jumeaux, Abel et Augustin de Kervélégan et fraichement arrivés dans la capitale, aux visions opposées quant aux événements.. S’ajoute à cela une galerie de personnages secondaires qui transpirent tous de la même ambition éditoriale, celle de raconter une autre vision de la Révolution, celle du peuple au sens large, élite ou non.

Il en résulte un ouvrage de référence, extrêmement fouillé, dense, riche, parfois confus tant nous sommes plongés dans une mêlée qui retranscrit parfaitement cette ébullition, cette perte de repères que la période semble avoir été pour les contemporains. Un écueil à noter, qui pourrait rebuter certains : le style graphique qui est très particulier, qu’il faut dépasser à plusieurs reprises et qui semble, à plusieurs moments, être adapté aux classes sociales représentées. Néanmoins, les autres tomes sont attendus avec impatience, en espérant qu’il ne faille pas cinq ans entre chaque : l’attente risque d’être trop longue.


Mathieu Henry, pour Les Clionautes