Présentation de l’éditeur. « Le Nord-Pas-de-Calais, envahi puis rattaché au gouvernement militaire allemand de Bruxelles jusqu’en septembre 1944, a subi quatre années de violences : massacres de civils et de militaires en mai 1940, répression au quotidien durant l’Occupation et exécutions sommaires à la veille de la Libération.
Après la capitulation allemande, un difficile travail de recherche des criminels de guerre a été entrepris. Les enquêtes ont parfois abouti à des procès devant des tribunaux militaires. Comment les familles des victimes et les rescapés ont-ils vécu dans l’attente des jugements ? La justice a-t-elle vraiment été rendue après la guerre ?
Le travail de Jacqueline Duhem combat l’idée reçue d’une Wehrmacht « aux mains propres » dont les actions auraient été éloignées des méthodes de la Gestapo et de la SS. L’auteure a recensé, pour la première fois dans un ouvrage, les épisodes tragiques qu’ont connus de nombreuses localités de notre région entre 1940 et 1944 ».

 

En mars 2014, Jacqueline Duhem avait publié un ouvrage consacré spécifiquement au drame vécu par les habitants du secteur de la gare d’Ascq dans la nuit du 1er au 2 avril 1944Jacqueline Duhem, Un massacre dans le Nord, une affaire franco-allemande, éd. des Lumières de Lille, mars 2014. L’ouvrage a été réédité chez le même éditeur en 2017, sous le titre Ascq 1944. L’Oradour du Nord., résumé dans le présent livre. Quatre-six habitants avaient été massacrés par des éléments de la 12e Panzerdivision SS Hitlerjugend, dont le convoi ferroviaire provenait de Belgique pour se diriger vers la Normandie. L’affaire avait débouché sur une instruction judiciaire, dont les conséquences pour les auteurs reconnus coupables ont été assez négligeables.

Lors de ses recherches, Jacqueline Duhem s’est rendu compte que bien d’autres massacres avaient touché la région, dès le début de la guerre. Il s’agit là d’épisodes peu connus. Si le massacre de soldats coloniaux a émergé depuis peu, celui des civils n’a guère été évoqué. Pourtant, l’ampleur des exactions, tant géographiquement qu’en nombre de vies humaines, est impressionnant. Cent dix communes du Nord-Pas-de-Calais ont été touché ; l’auteur estime qu’il y a eu environ vingt mille victimes à mesure de la progression des troupes allemandes, sans compter les exécutions de soldats alliés. Jacqueline Duhem fait d’Aubigny-en-Artois le premier village martyr de France, chronologiquement : quatre-vingt douze civils ont été massacrés par des SS de la Totenkopf, les 21 et 22 mai 1940. Toutefois, l’armée allemande a aussi procédé à des exécutions sommaires, notamment dans le bassin minier et la région d’Arras : Oignies, Courrières…

Les causes de ces massacres sont essentiellement constituées par l’inexpérience combattante des SS, malgré la réputation de troupe d’élite qui leur a été attribuée. Face à une résistance importante des Alliés, qui confirme une fois de plus qu’il ne s’agit pas d’un mythe, qui a provoqué des pertes importantes dans ces unités, la réaction a été une vengeance aveugle, qui a touché civils et militaires, le tout accompagné de pillages et de destructions de maisons. Courrières a ainsi été détruite à 85 %. La Wehrmacht, pourtant plus aguerrie, s’est aussi laissé aller dans la même voie, face à l’opposition alliée. La défense de Lille s’est ainsi faite jusqu’à épuisement des munitions et reddition des hommes.

Se pose alors la question du silence surprenant qui a recouvert ces faits. L’imaginaire collectif a retenu Oradour mais aussi Ascq, dans une moindre mesure. Jacqueline Duhem avance l’argument que les massacres de 1940 appartiennent au temps de la défaite, alors que ceux de 1944 ressortent du temps de la victoire, avec la libération du territoire. On remarque d’ailleurs que nul monument vienne rappeler ce qui a été commis : la mémoire locale ne s’est pas mise en place, comme si les exactions commises faisaient partie de l’ordre des choses en temps de guerre. Après tout, la progression allemande de 1914 s’est aussi accompagnée de faits similaires, notamment dans la province de Namur. Toutefois, la propagande alliée s’en est tout de suite emparés pour développer le thème d’Allemands barbares. En 1940, rien de tout cela. Jacqueline Duhem ne va pas jusque là, mais le fait que bon nombre des victimes n’aient pas la nationalité française n’a peut-être pas aidé à la constitution de cette mémoire : parmi elles, beaucoup de réfugiés belges, de familles polonaises, etc.

Les plaintes ont été déposées et instruites tant bien que mal. L’organisation de la justice, en France et en Allemagne, dans un contexte de désordre total (euphémisme) dans l’après-guerre n’ont pas permis un travail efficace et rapide. Quand des auteurs ont pu être démasqués et interpellés, assez tardivement, l’esprit de vengeance était souvent passé, et il fallait reconstruire et se reconstruire. Pendant ce temps, les habitants directement concernés continuaient de vivre dans des conditions précaires, dans des abris provisoires (c’est comme cela qu’ils ont été conçus, originellement), des caves, etc.

On pourrait regretter que le travail de Jacqueline Duhem ne soit pas plus complet sur ces épisodes, précisément. Toutefois, les sources manquent, ne serait-ce que pour établir une liste des victimes ou même leur nombre : les états civils n’ont pas forcément été tenus en temps et en heure ; les rapports de gendarmerie ont été faits a posteriori, sur la base de témoignages forcément partiels dans un contexte passablement troublé ; le travail du SRCGE (service de renseignements sur les crimes de guerre ennemis), encore plus tardif, a souffert des mêmes défauts, malgré la volonté des enquêteurs.

Quoi qu’il en soit, on a là une première pierre dans la constitution mémorielle de ces épisodes de mai-juin 1940, qui en appelle d’autres. L’enquête des chercheurs du « Maitron des fusillés » est justement en train d’y travailler.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes