La guerre d’Indochine reste un conflit largement méconnu en France, pourtant cette guerre participe à la fois aux  logiques de la décolonisation et  de la Guerre froide.  Cependant, parce qu’elle ouvre aussi un cycle de conflit sur le territoire du Vietnam, elle fait l’objet de nombreuses études à l’étranger. Mais alors que beaucoup  se limitent à la période 1946 (ou 1945) 1954, l’originalité de l’ouvrage d’Ivan Cadeau est de replacer cette guerre dans un cadre chronologique plus large. En commençant en 1940, l’auteur permet de mieux mesurer l’impact qu’a eu l’occupation japonaise sur la relation entre colonisateur et colonisés. Tandis qu’en prolongeant jusqu’en 1956 on peut comprendre pourquoi la puissance américaine n’a pas de mal à remplacer l’ancienne domination coloniale.

 

Une colonie occupée et coupée du monde.

L’Indochine française constitue un ensemble colonial plutôt divers. Conquise dans la deuxième moitié du 19° siècle, celle-ci comprend une colonie (la Cochinchine) et quatre protectorats (Annam, Tonkin, Laos, Cambodge) agglomérés dans une Union indochinoise. La mise en valeur du territoire permet la mise en place d’un réseau routier et ferré destiné à favoriser le commerce à partir des ports de Saïgon et Haïphong. Une activité économique au profit d’entreprises françaises mais un peuplement européen qui reste limité (30 000 personnes). Ces transformations   économiques bouleversent en partie les sociétés traditionnelles en concentrant des travailleurs indigènes dans de vastes plantations et usines. Cela  fait naître une classe ouvrière dont les effectifs vont être sensibles aux différents mouvements nationalistes qui se développent alors.

Mais c’est l’occupation japonaise de l’Indochine qui va donner à l’ensemble un formidable coup d’accélérateur. La défaite de juin 1940 entraîne de fait la coupure des communications entre la métropole et l’Indochine. La colonie dispose de peu de forces armées, mal équipées et davantage destinées à réprimer les soulèvements qu’à défendre le territoire. Dès lors les Japonais mettent la pression sur le gouverneur général Catroux pour que l’Indochine ferme ses ports aux matériels destinés aux armées chinoises et établir une mission de contrôle japonaise en Indochine. L’acceptation de l’ultimatum japonais par Catroux provoque son remplacement par le vice-amiral Decoux, mais celui-ci n’a pas plus de moyens que son prédécesseur.

Et donc, en septembre 1940, le principe du déploiement de troupes japonaise au Tonkin, et la mise à disposition d’aérodromes sont actés. La présence japonaise provoque un regain d’activité des groupes nationalistes qui sont sévèrement réprimés par les forces françaises. Des forces qui doivent également faire face à une offensive thaïlandaise qui oblige la France à céder 70 000 km² au royaume voisin. Les exigences japonaises vont crescendo, leurs troupes occupent désormais l’ensemble du Vietnam et en utilisent les aérodromes pour leurs opérations militaires. La souveraineté française n’est plus que de façade lorsque le 9 mars 1945, les Japonais désireux de sécuriser définitivement le Vietnam éliminent ou internent les forces françaises totalement surprises. Pour remplacer les Français, les Japonais proclament empereur Bao Daï, souverain de façade qui peine à trouver un gouvernement et qui doit composer avec une administration japonaise toute puissante.

L’impossible  rétablissement de la souveraineté française…

C’est le Vietminh d’Hô Chi Minh qui tire profit de la situation en août 1945. Profitant de l’effondrement japonais et d’une certaine passiveté bienveillante des Américains, il proclame l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945. Faute de moyens, la France doit laisser le champ libre au Vietminh tandis que Chinois et Britanniques désarment les troupes japonaises.

Avec l’arrivée de Leclerc, en octobre 1945, les troupes françaises commencent une lente montée en puissance qui leur permet peu à peu de réaffirmer leur autorité en Cochinchine, en Annam et au  Cambodge. Au nord, le retour est plus difficile en raison de la mauvaise volonté chinoise et de difficiles négociations avec le Vietminh. Des négociations sur l’avenir du pays qui occupent une grande partie de l’année, en Indochine comme en métropole, pour finalement s’achever sur un échec tellement les divergences entre les deux parties sont importantes.

Le conflit qui débute à la fin de l’année 1946 voit un corps expéditionnaire français aux moyens faibles, tentér de pacifier un territoire bien trop grand pour lui. Une grande partie de l’ouvrage permet de comprendre les déboires de cette pacification impossible, faute de moyens mais surtout faute de vrais objectifs politique de sortie de guerre. Face à la guerre révolutionnaire menée par le Vietminh, le corps expéditionnaire ne peut  contrôler que quelques axes et postes, il remporte des victoires tactiques mais qui n’ont aucun impact sur le déroulement du conflit. Celui-ci s’enlise peu à peu dans un faux rythme d’ouverture de routes, d’attaques et de défense de postes classiques. On voit cependant se développer des opérations aéroportées ou fluviales qui témoignent de la capacité d’adaptation des forces armées mais elles se révèlent insuffisantes.

La dimension politique et idéologique du conflit échappe cependant aux Français, il leur faut deux ans de négociations pour convaincre un Bao Dai peu crédible d’accepter le trône d’un Vietnam indépendant. Mais en face, depuis 1949, les communistes de Mao ont pris le contrôle de la Chine et établi des liens étroits avec le Vietminh . La guerre d’Indochine change  de dimension.

 

Décolonisation et guerre froide (1950-1954)

Le soutien chinois permet de faciliter la montée en puissance des forces vietminh. Si celles-ci n’ont pas encore la puissance de feu des troupes françaises, elles reçoivent désormais un entraînement plus poussé, des conseillers et du matériel plus performant. Elles en font l’éclatante démonstration lors de la bataille de Cao Bang, bien aidées en cela par les errements de la stratégie française.

L’onde de choc atteint la métropole et provoque l’envoi du maréchal de Lattre, celui-ci va s’attacher à redonner confiance aux troupes tout en essayant d’obtenir le maximum de soutien de la part des Etats-Unis. L’Indochine devient, comme la Corée, un front de la Guerre froide.  L’action de de Lattre  permet de stabiliser la situation en bétonnant le delta du Tokin, mais non de reprendre le terrain perdu. La pacification militaire d’une zone ne s’accompagne pas de mesures politiques susceptibles d’obtenir l’adhésion des populations. La dimension irrégulière du conflit et les stratégies de pacification auraient  d’ailleurs mérités une plus grande place dans l’ouvrage. La vietnamisation du conflit reste une illusion, le régime de Bao Dai ne mobilise pas les foules et les espaces contrôlés par les Français sont quand même infiltrés par le vietminh. Dans une telle situation, les gouvernements peinent à définir une stratégie de sortie de crise comme à trouver un chef motivé au corps expéditionnaire. Du coup les militaires gèrent la situation sans véritable plan d’ensemble, faute de buts et de moyens. Certes ils remportent des victoires dans la défense du pays Thaï, mais celles-ci sont sans lendemain à l’image des combats de Na San (1952).

C’est dans l’espérance d’une sortie de guerre honorable, afin de négocier en position de force, que  se décide la bataille de Dien Bien Phu. Le désastre final impacte une conférence de Genève où l’on voit des Chinois fort actifs. Si les accords ne prévoient pas la partition du Vietnam, les crispations des positions au nord comme au sud aboutissent cependant à celle-ci.

Les gouvernements français peinent à élaborer une doctrine vis-à-vis du Nord-Vietnam ce qui aboutit au départ de la plupart des français et la fin des intérêts économiques. Au sud, le corps expéditionnaire se voit chargé de s’occuper de l’accueil des réfugiés venus du Nord avant de devoir lui aussi quitter les lieux ; les hommes sont appelés en Algérie tandis qu’au Vietnam on tourne désormais la page d’une influence française dont on n’a plus rien à attendre.

 

En conclusion

L’auteur, en utilisant des travaux récents, relativise un certain nombre d’idées reçues sur le rôle de certains acteurs ou moments clés du conflit. Dans cet ouvrage  dense mais à la cartographie perfectible, on a une approche complète qui permet de comprendre les raisons de l’échec français en replaçant les évènements dans leur contexte politico-militaire.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau

Pour compléter, sur Dien Bien Phu, du même auteur Ivan Cadeau Diên Biên Phu 13 mars-7 mai 1954 Collection Texto, éditions Tallandier, 208 pages, 8,5€