Alors que le LOSC vient de battre l’ogre madrilène en Ligue des Champions à la plus grande joie des supporters lillois massés dans l’enceinte du stade Pierre Mauroy ou devant leurs écrans (1-0, le 02 octobre 2024), il convient de se pencher sur l’histoire populaire du football français.

Qui de mieux placer qu’un historien (et supporter lillois) pour faire ce travail nécessaire ! Après deux ouvrages déjà parus aux Éditions Du Détour, Les Bleus et La Coupe, de Kopa à Mbappé (2020) et Une histoire de France en crampons (2022), François da Rocha CarneiroDocteur en histoire contemporaine et chercheur associé au CREHS (Université d’Artois), François da Rocha Carneiro est spécialiste de l’équipe de France de football. propose une nouvelle fois de faire du football un objet historique. Mais ici, l’approche diffère, elle se veut plus encore sociale. En effet, sport ultra-populaire et (sur)médiatisé, le football est devenu, tout au long du siècle dernier, un véritable phénomène culturel qui irradie désormais l’ensemble de la société française, de manière volontaire ou parfois subie. Le football mérite ainsi toute l’attention des historiens comme François da Rocha Carneiro. 

Des légendes populaires au crible de l’approche historique

Au fil des pages, l’auteur dessine les contours de multiples portraits : des clubs mythiques comme le RC Lens, le LOSC ou encore le FC Sochaux-Montbéliard mais aussi des figures footballistiques comme les joueurs Raoul Diagne, Gusti Jordan, Joseph Ujlaki, les présidents comme Gervais Martel ou encore les présentateurs sportifs comme Thierry Roland. En supporter lillois (qui s’assume), l’auteur multiplie les exemples nordistes. Ainsi, il nous permet de saisir une identité qui s’est structurée autour des acteurs du football, des compétitions, des lieux ou des drames.

François da Rocha Carneiro souligne aussi, à raison, que cette identité a parfois été modelée afin de construire une certaine image et servir des intérêts économiques et/ou sportifs jusqu’à incarner l’identité d’une ville ou d’un club. Par exemple, le FC Sochaux a prospéré sous la coupe de l’entreprise Peugeot désireuse d’être associée à cette culture prolétaire. Il en est de même pour le RC Lens qui, en pays minier, a prospéré grâce au paternalisme, outil de domination sur les masses populaires. Le stade, qui porte encore le nom du directeur de la société des mines Félix Bollaert a été construit par des mineurs de la fosse 5 alors au chômage en raison de la crise du charbon dans les années 1930. Depuis, le club est entré dans une ère ultra-libérale incarnée par Gervais Martel, l’industriel azéri Mammadov puis l’homme d’affaires Joseph Oughourlian. Nous sommes donc bien loin de l’image d’Epinal véhiculée encore aujourd’hui par le stade qui entonne Les Corons de Pierre Bachelet !

 

Le football comme révélateur de la lutte des classes

Après ses premiers pas bourgeois en France au XIXe siècle, sous l’impulsion des immigrés britanniques, des élites éduquées à l’anglaise et des patronages de l’Église (on pense bien sûr à l’abbé Deschamps à Auxerre), le football se popularise et se démocratise après la Première Guerre mondiale jusqu’à devenir le sport du peuple. Alors qu’il se professionnalise (le championnat devient professionnel en 1932), l’élite s’en détache préférant l’amateurisme, bien plus noble. Depuis, pour François da Rocha Carneiro, les élites culturelles françaises ont développé un dédain, voire un véritable mépris, vis-à-vis de ce sport. Les footballeurs sont donc désormais confrontés à  une imagerie négative et des exigences nouvelles : ils ne seraient pas assez Français, beaucoup seraient des « racailles » bien trop payées pour le seul mérite de savoir taper dans un ballon, etc.

L’auteur ne ferme pas non plus les yeux devant certaines dérives du football : l’alcool dans les stades, les « affaires » comme celles qui ont entaché l’OM des années 90 ou encore le culte de la masculinité encore présent qui explique une certaine homophobie dans le milieu footballistique.