L’intérêt pour l’histoire de la Révolution Français ne se dément pas et ces dernières années ont vu la parution de synthèses sur la France révolutionnaire. C’est le cas de l’ouvrage de Claude Quétel, directeur scientifique du Mémorial de Caen et auteur de nombreux ouvrages. Ecrire une histoire de la Révolution n’est pas
politiquement neutre ; l’auteur se situe explicitement à droite du spectre historiographique et considère que la Révolution française « fut un épisode exécrable, de bout en bout, de l’histoire de France ». Contrairement à François Furet qui célébrait les droits de l’homme et la souveraineté du peuple nés en 1789, Claude Quétel critique la mise en œuvre politique des droits de l’homme que la révolution n’a pas inventés et qu’elle n’a pas respectés, surtout à partir de 1793. A ses yeux, la Révolution aurait une triple origine : les théories abstraites d’égalité (ce que l’auteur, après Hyppolyte Taine, sa grande référence, nomme le « philosophisme ») diffusées dans les salons et reprises par la « bourgeoisie à talents » ( les avocats par exemple), les émeutes populaires, en particulier parisiennes, et la faiblesse de Louis XVI qui n’a pas su ou voulu réprimer la révolution à ses débuts. Le titre de l’ouvrage est une citation d’un texte de Mallet du Pan publié dans le Mercure de France du 17 octobre 1789 : « C’est le fer ou la corde à la main que l’opinion dicte aujourd’hui ses arrêts. Crois ou meurs !, voilà l’anathème que prononcent les esprits ardents, ils le prononcent au nom de la liberté. Vainement, au milieu de tant d’écueils prendrait–on pour guide la modération ; elle est devenue un crime ».
Pour Claude Quétel « le dérapage » de la Révolution commence dès 1789. Toutefois , l’ouvrage est moins idéologique que ne pourrait le faire croire ces déclarations liminaires. Il s’agit d’une intéressante histoire politique de la Révolution. L’analyse est assez classique, parfois injuste, sur la Déclaration des Droits de l’ homme
ou la Nuit du 4 Août par exemple, mais les développements sur la violence et l’extrémisme de la Terreur en 1793-1794 donnent à réfléchir sur le processus révolutionnaire. Somme toute, la conception de l’auteur est conservatrice : le maintien de l’ordre politique et de la tradition sont préférables aux théories égalitaires abstraites et à la passion révolutionnaire du changement. L’ouvrage comporte également une synthèse sur l’historiographie de la Révolution.
1) Les débuts de la Révolution
Le tableau de la France à la veille de la Révolution illustre la démarche de Claude Quétel. Il analyse d’abord le rôle des idées abstraites d’ égalité, les utopies politiques, diffusées dans les salons et reprises par les journalistes ou les avocats . Mais en même temps, il dresse un tableau assez sombre de la France de 1789 : malgré la forte croissance du XVIIIe siècle, la France est marquée par les inégalités, le très difficile accès du Tiers Etat à des fonctions prestigieuses, la lourdeur et l’iniquité des impôts, la misère du peuple des villes. Il faut y ajouter l’endettement de la monarchie , l’indécision de Louis XVI et le refus des privilégiés de consentir à toute réforme. Dès lors, les Parlements se posent en défenseurs de la liberté du peuple. Sans doute, s’agit–il là de la contradiction majeure des conceptions de Claude Quétel . Une société et un régime politique inégalitaires et incapables de conduire des réformes pouvaient–ils se réformer ? Quoi qu’il en soit face à la grave crise politique et financière, Louis XVI convoque les Etats généraux. L’auteur donne une analyse intéressante des cahiers de doléances du Tiers Etat ( égalité , respect de la propriété , confiance dans les capacités réformatrices de Louis XVI). A la suite de l’historien Augustin Cochin , il souligne que les députés du Tiers sont souvent des membres de la moyenne bourgeoisie urbaine qui se rencontraient dans les salons ou les loges maçonniques.
Une fois les Etats généraux réunis, Claude Quétel se montre critique lorsque, le 17 juin, les députés du Tiers, rejoints par quelques députés du Clergé, se proclament Assemblée nationale. A ses yeux, il s’agit d’un coup d’Etat. L’auteur évoque les violences qui ont marqué la prise de la Bastille. Il voit dans la Nuit du 4 Août, un mélange de générosité ostentatoire et de peur face aux mouvements paysans. Il évoque la rédaction de la Déclaration des Droits de l’ Homme, mais insiste sur les critiques qu’elle a suscitées, notamment son caractère inapplicable. L’auteur souligne également les graves troubles économiques, en particulier la hausse du prix du pain qui marquent l’été et l’automne 1789.
Claude Quétel décrit les débuts de la vie politique sous la Révolution : les débats à l’Assemblée, la multiplication des journaux et des clubs dont le plus radical, mais aussi le plus organisé se révèle être le club des Jacobins. Les Jacobins développent des thèses radicales et préparent les débats de l’ Assemblée. L’auteur n’épargne pas les membres du club présentés soit comme des extrémistes, soit comme des déclassés. Seule la Fête de la Fédération, moment d’unanimité nationale, peut être considérée comme un moment où la Révolution aurait pu être stabilisée.
2) La radicalisation de la Révolution
Dès lors la Révolution suit son cours au gré d’évènements parfois fortuits que personne ne parvient vraiment à maîtriser. C’est d’abord l’échec de la fuite de Louis
XVI qui divise les révolutionnaires entre ceux qui veulent terminer la révolution en installant une monarchie constitutionnelle et ceux qui souhaitent la création d’une République et qui sont l’objet des tirs de la garde nationale. Pour la première fois lors de la fusillade du Champ de mars le 17 juillet 1791, « l a Révolution a tiré sur la Révolution ». La confiscation des biens nationaux et la constitution civile du Clergé engendrent une division politique et religieuse durable A partir de 1792, c’est surtout la guerre qui donne une nouvelle inflexion à la Révolution : développement du patriotisme et de l’idée de nation, engagement des volontaires, mais aussi hausse des prix, menaces proférées par le chef des armées prussiennes le duc de Brunswick et radicalisation qui aboutit à la journée du 10 Août 1792 organisée par les sections sans culottes et qui se traduit par la fin de la monarchie constitutionnelle. La période est marquée par l’arrestation de nombreux suspects et par la création d’un « Tribunal criminel » élu par les sections parisiennes et présidé par Fouquier-Tinville. Les premiers guillotinés politiques sont exécutés. La période qui suit le 10 août vient conforter la thèse de Claude Quétel : violence des massacres de septembre, forte abstention aux élections à la Convention . Quétel souligne cependant que Robespierre et son ambition d’être le seul à incarner les principes révolutionnaires peuvent encore être critiqués. La radicalisation s’accélère avec le procès et la mort de Louis XVI et l’invasion de la Belgique qui provoque l’entrée en guerre de l’ Angleterre. Le soulèvement de la Vendée aggrave la situation. « Le coup d’ Etat » des 31 mai et 2 juin 1793, lorsque la Convention décrète l’arrestation de 29 députés girondins sous la pression des sections parisiennes marque un tournant dans le processus de radicalisation.
La période qui s’étend de l’automne 1793 au 9 Thermidor marque la période la plus sombre de la Révolution. Les menaces sont nombreuses : sédition de nombreuses villes, insurrection vendéenne, défaites militaires. Le comité de salut public joue un rôle prépondérant et la notion de gouvernement d’exception, de gouvernement révolutionnaire l’emporte. La loi des suspects du 17 septembre 1793 jette les bases de la Terreur politique. La Révolution finit par l’emporter ( Quétel rend un hommage appuyé à Saint- Just représentant en mission, tout en critiquant son radicalisme politique) sur ses adversaires extérieurs et intérieurs, mais au prix de massacres et d’exécution, à Paris, en Vendée où une partie de la population est systématiquement massacrée (220000 morts) mais aussi à Lyon et à Marseille. La Terreur s’accompagne d’une grande vague de déchristianisation. A partir du printemps 1794, les victoires posent la question de la poursuite de la Terreur.
Une fois les hébertistes et Danton exécutés, la Terreur ne disparaît pas, le décalage entre les principes et la politique de terreur s’accentue. L’utopie l’emporte. On le voit avec la Fête de l’Etre suprême et les lois de prairial qui accentuent la Terreur. En fin de compte, le 9 Thermidor marque la fin de la Terreur.
3 ) L’impossible stabilisation
La chute de Robespierre marque la fin de la Terreur, mais les problèmes économiques subsistent. Les Thermidoriens répriment les insurrections populaires. L’adoption de la Constitution de l’ An III qui crée le Directoire ne parvient à stabiliser le régime. Le Directoire ne respecte pas ses propres règles en annulant les élections trop favorables aux royalistes ou aux jacobins. En fin de compte, les victoires extérieures, en particulier celles de Bonaparte en Italie se révèlent décisives. Elles assurent le prestige de Bonaparte et fournissent de substantiels revenus au Directoire, sans oublier le pillage des œuvres d’art. En fin de compte, en 1799, l’impasse politique conduit au coup d’Etat du 18 Brumaire dont Claude Quétel fournit un récit détaillé fort intéressant.
4 ) Historiographie
Dès 1789, la Révolution a donné lieu à des interprétations et des analyses historiques. Il s’agit d’abord d’écrivains contre-révolutionnaires comme l’abbé Barruel qui voit dans la révolution une punition divine et un complot des philosophes. Le député anglais Burke dénonce lui aussi une révolution fondée sur des théories abstraites. Dès le Directoire, Benjamin Constant, puis Madame de Staël développent la conception des deux révolutions, la Révolution des Droits de l’ homme et la Révolution de la Terreur.
Cette vision libérale de la Révolution prend son essor au XIXe siècle avec Thiers, Michelet ou Lamartine. Tocqueville souligne que la Révolution est l’héritière de la
centralisation de la monarchie. A gauche, le socialiste Louis Blanc défend le salut public et la Terreur. Inversement, Hippolyte Taine dénonce l’abstraction du
« philosophisme » et les violences du peuple. La IIIe République marque l’apogée de l‘historiographie républicaine de la Révolution. On connaît la célèbre phrase de
Clemenceau en 1891 : « La Révolution est un bloc ». C’est aussi l’époque de l’institutionnalisation universitaire de l’histoire de la Révolution. En 1891, Alphonse
Aulard devient le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution Française. C’est aussi l’époque où Jaurès publie « L’ Histoire socialiste de la Révolution française ». Il existe une opposition entre Aulard, admirateur de Danton et Albert Mathiez, admirateur de la révolution russe et défenseur de Robespierre . Georges Lefebvre défend une histoire sociale de la Révolution.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale l’historiographie « jacobino-marxiste » incarnée par la figure d’Albert Soboul, domine. Mais il existe des positions discordantes comme celle de Daniel Guérin qui fait l’éloge des mouvements populaires « trahis » par la bourgeoisie. A partir des années 1960, l’historiographie marxiste est contestée. Des historiens comme Jacques Godechot avancent le concept de « Révolutions atlantiques ». En 1965-1966 François Furet et Denis Richet mettent en question la vision marxiste de la Révolution. La Révolution est le fait d’élites réformatrices partisanes d’une monarchie constitutionnelle, les évènements de 1793-1794 étant une sorte de « dérapage » de la Révolution. Dans ses ouvrages ultérieurs François Furet approfondissait ses analyses : il soulignait que 1789 marquait la naissance de l’égalité et de la démocratie, mais notait également qu’il fallait conserver à la Révolution son caractère inattendu. Le Bicentenaire donna lieu à une très importante production historique. Bien que la production historique soit moins importante aujourd’hui, le débat n’a pas disparu. D’autres sujets, tels que le rôle des femmes, sont davantage étudiés. Les débats restent vifs sur la place de la Terreur dans le processus révolutionnaire.