par Morvandiau
Coédité par l’œil électrique Éditions et Maison rouge. 2007 20 Euros
Voilà une BD qui pourrait bien intéresser nos élèves, et compléter leur apprentissage en histoire, programme de Terminale d’Histoire en particulier.
Il s’agit d’une sorte de chronique où se mêlent éléments autobiographiques et « grande histoire », avec un certain brio. Ce sont en tous cas mes propres élèves qui m’ont fait découvrir cet album, qui a été primé, après un rassemblement d’amateurs de BD organisé par les actifs Requins Marteaux, une association d’Albi qui a acquis une grande notoriété dans ce domaine (http://www.lesrequinsmarteaux.org/)
L’auteur, qui signe Morvandiau, a participé au dernier Festival Rétine. Une exposition était organisée pour l’occasion, ainsi que la projection d’un film (« Algéries intimes » de Nathalie Marcault, une coproduction Vivement Lundi ! / TV Rennes 35) pour accompagner la diffusion de son livre.
Il y raconte une histoire personnelle et familiale, mais aussi décrit certains aspects de l’histoire coloniale et surtout un épisode tragique dans le contexte récent de l’Algérie en proie à la violence des années 90.
Né en 1974, Morvandiau est donc encore enfant lorsque ses parents offrent à toute la famille un voyage en Algérie. En 1988, le pays est alors indépendant depuis un quart de siècle. La guerre est déjà loin, et c’est pour lui l’occasion de découvrir le pays où est né et a grandi son père. Les liens familiaux ne s’arrêtent pas là, puisque son oncle maternel vit en Algérie : il est missionnaire dans une toute petite communauté de quatre pères blancs, à Tizi Ouzou, en Kabylie.
En 1994, six ans plus tard, Morvandiau a 20 ans quand la nouvelle tragique arrive en France : les quatre prêtres ont été assassinés dans un guet-apens organisé par de faux policiers algériens, sans doute avec des complicités haut placées, dans le contexte particulier de l’Algérie de ces années.
Cet événement tragique est le point de départ de l’album « D’Algérie », qui est paru en 2007. Morvandiau essaie de démêler l’écheveau de son ascendance personnelle, de l’histoire du pays, de la colonisation à la guerre d’indépendance. Tout en interrogeant son propre passé familial, il engage une réflexion sur la complexité des rapports entre la France et l’Algérie.
On passe de l’autobiographie, voire de l’introspection, à l’enquête historique, de la chronique coloniale aux éléments de mémoire historique de la guerre, de l’Algérie. Et ce faisant, c’est une réflexion sur la manière dont se construit le récit historique, du personnel et de l’intime au collectif, de l’anecdotique à l’universel. Formellement, c’est extrêmement réussi : on retrouve dans le dessin, sobre, dépouillé (tout est en noir et blanc) une plume aiguisée, épurée et la précision graphique d’un Willem. On sait aussi depuis les célèbres albums de Mauss combien la BD peut être féconde lorsqu’elle emmêle ainsi le regard personnel et la réflexion historique.
On croise ainsi d’une page à l’autre les personnages connus de tous : De Gaulle et Boudiaf, Massu ou Messali Hadj, Pétain ou Camus… : tous sont « croqués » avec un sens du portrait indéniable.
Mais on trouve aussi des trajectoires personnelles qui ont pu conduire en toute bonne foi des français ordinaires du Périgord, du Berry ou de Bretagne, via la guerre de 14, l’Ecole Normale ou le Séminaire, jusqu’à cette Algérie coloniale.
Je joins à ce compte-rendu quelques images, BD oblige (ci-dessous, mais vous les aurez reconnus : Ferhat Abbas et de Gaulle)
Ainsi que quelques pistes complémentaires pour ceux qui voudraient remonter le filon…
Un blog est tenu par Morvandiau lui-même, qui peut prolonger cette lecture, voire permettre à ceux qui le souhaiteraient d’entrer en contact avec lui.
http://dalgerie.over-blog.com/
On peut y trouver des commentaires, des élargissements, à la manière des blogs, avec donc aussi des liens. Ces apports complémentaires reviennent à la fois sur la période de la guerre d’Algérie et sur les développements postérieurs, jusqu’à des évènements récents. Ils permettent par exemple de revenir sur le « parcours Maurice Audin », magnifique hommage réalisé par le peintre Ernest Pignon Ernest, en 2003, dans les rues d’Alger ; ou sur l’affaire des moines de Tibérihine, assassinés en 1996 dans des conditions bien proches du meurtre des pères blancs de Kabylie qui est au centre de « D’Algérie ».
Un tel ouvrage, dont chacun d’entre nous peut tirer profit, a aussi sa place dans un CDI, pour permettre à nos élèves d’y trouver un certain nombre de questionnements importants.
Gérard Buono © 2010