La guerre franco-allemande de 1870 est une litanie de défaites. Lorsque le Second Empire s’effondre, au bout d’un mois de conflit, l’armée de métier, écartelée entre Sedan et Metz, est déjà hors de combat. Le gouvernement de la Défense Nationale, qui mène ensuite la lutte, s’appuie sur des reliquats de troupes professionnelles et la constitution de forces de circonstance d’une valeur opérationnelle toute relative. La mystique de la levée en masse à l’image de 1793 révèle ses limites. L’invasion du territoire s’étend jusqu’à la vallée de la Loire et s’élargit ensuite vers l’Ouest, où se constituent des armées de secours. C’est dans ce schéma précaire préfigurant une défaite générale imminente que s’inscrit le combat de Châteaudun.

La sous-préfecture du département de l’Eure-et-Loir est en ligne de mire des forces allemandes qui se sont emparées d’Orléans en refoulant l’armée de la Loire. Elles étendent leur zone de contrôle de manière à sécuriser le siège de Paris en entravant toute contre-attaque extérieure. Elles disposent de moyens militaires importants et ont la maîtrise de l’initiative opérationnelle. Face à elles, le côté français ne brille pas par sa cohérence. Les directives supérieures sont erratiques. Le manque de moyens est critique. Ni cavalerie ni artillerie ne sont disponibles. L’armée régulière est absente, même les forces de la garde mobile font défaut. Les seules troupes françaises dans le secteur sont des unités auxiliaires de franc-tireurs, formées de volontaires en uniforme, et les hommes des gardes nationales locales.

Dans l’indécision générale, la question de la résistance armée est posée par des municipalités en proie au doute, qui craignent les représailles allemandes. Des accrochages ponctuels ont lieu dans de petites localités avoisinantes durant la première quinzaine d’octobre. Elles confirment la supériorité militaire des Allemands et leurs méthodes de représailles : incendie, pillage, exécution des combattants considérés comme irréguliers. Elles attirent aussi leur attention sur Châteaudun, identifiée comme une menace potentielle.

Après bien des hésitations, il est décidé de défendre la ville. Le 18 octobre, les 6000 hommes de la division du général von Wittich, dotée de 10 batteries d’artillerie, se portent sur Châteaudun. Ils sont attendus par 1200 combattants issus de la garde nationale de la cité et de plusieurs formations de francs-tireurs. La force principale est le bataillon des francs-tireurs de Paris, dont le chef Ernest de Lipowski, un Saint-Cyrien radié des cadres, assume le commandement supérieur de la garnison. La disproportion des forces est écrasante. Les Français n’ont aucune pièce de canon. Ils peuvent s’appuyer sur un réseau d’une vingtaine de barricades de rues. L’organisation de la défense manque de coordination, flottant entre amateurisme de guerriers improvisés et mésententes de chefs gaulois.

La lutte dure pourtant toute la journée et une partie de la nuit avant que les défenseurs ne finissent par se retirer de la ville. Une partie de celle-ci est incendiée. Le bilan humain est relativement modéré des deux côtés. Une centaine d’Allemands ont été tués, de même qu’une soixantaine de Français et une trentaine de civils. Il y a aussi de nombreux blessés et prisonniers. Enfin les Allemands imposent une contribution de guerre à la municipalité. Une défaite parmi tant d’autres, serait-on tenté de relativiser. Or il semble pourtant que ce combat-là ait vite pris une épaisseur symbolique et mémorielle particulière, que l’on entrevoit à l’énumération des récompenses distribuées par la suite aux défenseurs et aux honneurs accordés à la cité.

Maître de conférence en droit social, l’auteur est également spécialiste de la Commune de Paris. Son étude sur le combat de Châteaudun est dense et riche en détails, témoignant d’un travail de compilation de sources d’une vaste ampleur. Le destin ultérieur des détachements de francs-tireurs est aussi évoqué, notamment ceux de Paris dont une partie est ensuite impliquée dans les combats de la Commune. Le foisonnement documentaire va jusqu’aux listes biographiques, classées par unités, d’une partie des participants. Les chefs ennemis sont également présentés. Au total, un volume très complet qui mérite l’estime, même si on aurait pu en attendre davantage de perspectives d’ensemble, notamment sur la construction mémorielle qui en résulte.

© Guillaume Lévêque