Si vous vous êtes parfois demandé ce qui se passait dans les ambassades, et comment se prenaient certaines décisions au quai d’Orsay, ce livre est fait pour vous. Il propose des archives issues de ce service et il est consacré aux années qui vont de 1945 à nos jours.

Un matériau unique très clairement présenté

L’ouvrage permet de savoir comment la France a vu le monde et ce, à travers les rapports de ses diplomates. Les archives proposées ici ne sont pas ultra-sensibles car la proximité des évènements en rendrait impossible la communication. De plus,  l’intérêt de ce qui est donné à lire ici est justement d’observer, d’une certaine manière, le travail quotidien des services d’ambassades. L’information est en effet, en plus des fonctions de représentation et de négociations, au coeur des fonctions des diplomates. Le livre s’arrête donc sur des grands évènements et chaque entrée est organisée de la façon suivante : une chronologie qui remet en perspective l’évènement, une explication et un commentaire du ou des documents présentés, la reproduction d’une partie de ceux-ci et leur traduction en longueur. On peut voir également des annotations portées sur certains documents. Les auteurs rappellent qu’il ne faut pas non plus céder à la fascination pour l’archive et certains documents sont donc à examiner avec du recul. Le livre est donc chronologique mais il laisse aussi apparaitre quatre préoccupations qui ont marqué ces années d’après 1945, à savoir : les armes de destruction massive, la confrontation est-ouest, la construction européenne et les zones de tension dans le monde. 

De 1945 à 1962 : la guerre froide

On regroupe ici en fait deux parties de l’ouvrage, mais la première sur 1945-1947 est assez courte avec trois notices. On trouve un document qui est le rapport d’un diplomate qui s’est rendu à Hiroshima six mois après le bombardement. Son texte est très factuel mais il n’élude pas les questions morales et ne manque pas non plus de s’interroger sur l’attitude que la France devra adopter face à l’atome. Le dossier suivant est moins connu et montre l’attitude de la France vis-à-vis de Leni Riefensthal. Tout fut entrepris pour la faire condamner en raison de ses liens avec les dirigeants nazis. On peut lire ensuite le récit, empreint d’émotion, du chargé d’affaire de la France en Inde lors de l’assassinat de Gandhi. Les archives permettent aussi de mesurer que la France a attendu quelques mois avant de reconnaitre officiellement l’existence d’Israël. Le tour du monde se poursuit avec des témoignages venant d’URSS, que ce soit au moment de la mort de Staline ou du pseudo rapport secret de Kroutchev. On mesure aussi avec Budapest en 1956 combien il est difficile pour un diplomate de mesurer ce qui est en train de se passer. La partie s’achève avec d’autres moments forts des relations internationales, comme la construction du mur de Berlin supervisée par Erich Honecker qui avait prévu 485 tonnes de barbelés. On peut découvrir également les informations transmises par l’ambassadeur de France à Cuba qui signale aux Etats-Unis que des mouvements de troupes suspects se déroulent sur l’île.

1962-1973 : La Détente

La partie s’ouvre sur les coulisses du traité de l’Elysée entre la France et l’Allemagne. L’évènement  est remis en perspective car on sort à peine de la tension autour de Cuba, et le général De Gaulle vient de s’opposer à l’entrée de la Grande Bretagne dans la CEE. Ce traité, qui est aujourd’hui une référence, n’avait pourtant pas cette ambition au départ et ne fut pas unanimement accepté, y compris en Allemagne. En effet, le parlement fit ajouter un préambule qui en restreignait la signification politique. Parmi les autres archives proposées, on peut noter un témoignage sur les émeutes à Harlem en 1964 ou sur la révolution culturelle en Chine. L’ouvrage offre également un éventail des réactions après le discours fracassant du général De Gaulle au Québec. On découvre les réactions enthousiastes de certains tandis que d’autres soupçonnent le dirigeant français de vouloir participer ainsi à la création d’un état socialiste au Québec. On pourra lire aussi  les courriers échangés lors de l’arrestation de Klaus Barbie en Bolivie ainsi que l’analyse de René de Saint-Légier à propos du coup d’état contre Salvador Allende. Le moins que l’on puisse dire,  c’est que son texte ne se caractérise pas par une grande clairvoyance à propos du rôle des Etats-Unis. 

1974-2001: Vers un nouveau monde

On regroupe ici en réalité les quatrième et cinquième parties de l’ouvrage. On pourra sourire, ou pas, à la lecture du portrait de Saddam Hussein réalisé en 1974 par les services français.  » On le dit pur et dur mais il sait être direct et chaleureux dans le contact ». Six ans plus tard, on insiste davantage sur ses méthodes musclées. On mesure, à travers deux articles sur la Corée du Nord en 1974 et sur le sacre de Bokassa en 1977, que la clairvoyance des diplomates est variable : Etienne Manac’h livra, dans le premier cas, un rapport pour le moins complaisant tandis que Robert Picquet se montre très critique sur le leader africain. La tâche du diplomate n’est pas toujours aisée et l’évocation de la chute du Shah montre qu’il est parfois difficile pour celui-ci de se faire entendre et de faire comprendre ce qui se passe dans le pays où il est établi. La dernière partie de l’ouvrage propose l’approche de quelques autres évènements phares comme la chute du mur de Berlin, les débuts de la guerre du Golfe ou les attentats du 11 septembre 2001 qui clôturent d’ailleurs l’ensemble. 

Cet ouvrage permet donc, à sa façon, de revivre les grands évènements qui ont eu lieu après 1945 et il permet en même temps d’approcher le travail quotidien des diplomates. Il fournit également des reproductions de documents qui pourront être utiles à l’enseignant pour montrer le cours de certains évènements. 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes