Stéphane Gal était un des promoteurs d’une expérience exceptionnelle en 2019 : traverser les Alpes sur les pas de François 1er, en armes en franchissant le col Mary. Ce projet de recherche, histoire, archéologie expérimentale et sciences est décrit dans cet ouvrage.

Stéphane Gal est maître de conférences en histoire moderne à l’Université Grenoble Alpes. Spécialiste des sociétés et cultures en temps de guerre, des relations entre la France et la Savoie et des usages politiques et militaires de la montagne, il a publié en 2018, sur l’histoire de la montagne et de la verticalité à la Renaissance : Histoires verticales. Les usages politiques et culturels de la montagne (XIVe-XVIIIe siècles), Champ Vallon. Il est engagé dans un nouveau projet d’archéologie expérimental : restituer scientifiquement les conditions humaines, matérielles et technologiques de la première ascension du Mont-AiguilleProjet CArMo (Corps Armé en Montagne)-Mont Aiguille 2022, en 1492.

Les mobilités armées à la Renaissance

Tout le monde connaît 1515 mais comment François 1er parti de Blois le 4 juin a-t-il pu rejoindre la plaine du Pô début septembre ? Comment a-t-il, avec son armée, traverser les Alpes ?

La Marche d’un roi : les défis stratégiques de l’année 1515

Le voyage d’Italie est pour le jeune roi à la fois un apprentissage et une aventure, la découverte des Alpes.

Stéphane Gal retrace cette année 1515 des funérailles de Louis XII en janvier à la bataille de Marignan. On retrouve la place de l’Italie dans l’imaginaire des rois français depuis Charles VIII, un enjeu stratégique dans l’Europe de ce début de XVIe siècle.

En ce temps-là, l’armée n’est jamais permanente. Il faut la réunir autour des compagnies d’ordonnance dont le règlement vient d’être revu le 20 janvier 1515, une source importante pour ce projet d’archéologie expérimentale. L’auteur peut ainsi décrire cette cavalerie d’élite, son armement, ses modes de combat. En 1515 on compte 45 compagnies, soit environ 8400 hommes à cheval qui devront se rendre en Italie. 32 compagnies ont combattu à Marignan. Cette chevalerie traditionnelle, coûteuse en entretien et en vies humaines lors des combats est en voie d’être supplantée par l’artillerie royale efficace et mobile, développée depuis Charles VIII.

Recruter une armée, au-delà des compagnies et de l’artillerie, n’est pas une mince affaire surtout quand le roi souhaite le faire rapidement. Ce ne sont pas moins de 40 000 hommes et plus de 20 000 chevaux à réunir. Ces recrues attendent le butin, ils ne sont pas toujours aguerris et souvent mal armés. A ces troupes il faut ajouter les mercenaires présents dans toutes les armées de l’époque comme les lansquenets allemands ou les Suisses. Ces derniers étaient considérés comme les meilleurs.

Après la description précise des différentes troupes, leur équipement, leur valeur, Stéphane Gal consacre un paragraphe à ce petit peuple qui suit les armées : familles des soldats qui ont un rôle d’assistance au quotidien, vivandières, artisans comme les cordonniers. Leur effectif est à peu près égal à celui des soldats. Ce sont donc plus de 100 000 personnes qui parcourent le Dauphiné en cet été 1515. Cette foule aborde un univers à la fois inconnu, peu de cartesJacques Sirot avait réalisé quelques cartes pour Charles VIII, un état détaillé des passages pour traverser les Alpes, redouté pour ses abîmes. La montagne était considérée comme inadaptée à la guerre. Les guides locaux demeurent incontournables face aux Suisses qui contrôlent les passages vers le Piémont : cols du Mont Cenis, du Montgenèvre et l’accès depuis le Queyras.

Faire marcher une armée en montagne

Ce sont des colonnes interminables qui doivent suivre des chemins étroits et accidentés.

« Nous savons en effet que l’avant-garde de Bourbon était déjà en Piémont, le 13 août, quand le roi s’arrêtait à Guillestre, à environ 90 km de là, et que son arrière-garde n’était encore qu’à Embrun. »Citation p. 52.

Stéphane Gal décrit cet incroyable déplacement de troupes, les encombrements nés de bagages encombrants, de viande sur pied pour nourrir cette foule entre aléas climatiques et conditions sanitaires difficiles (poussières, excréments).
En territoire étranger il faut aussi se déplacer en arme pour faire face à une attaque éventuelle. L’armée est mise en ordre de bataille vers le 17 août en arrivant dans la plaine du Pô aux environs de Cunéo, selon la manière décrite par Jacques Chanterau dans Miroir des armes militaires et instruction des gens de pied ». Les descriptions s’appuient sur les écrits de l’époque et de nombreuses représentations iconographiques.

La marche se fait en musique pour rythmer des déplacements de 20 à 40 km/jour en fonction de la difficulté du terrain. A l’étape, logement et nourriture sont d’autant plus difficile que l’on s’éloigne de ses arrières, que la région est pauvre ou hostile même si depuis le début des guerres d’Italie des habitudes logistiques existent : regroupement de l’armée vers Lyon, itinéraire par Grenoble, La Mure, Gap, Guillestre. Les archives de la Chambre des comptes du Dauphiné donnent de précieux renseignements.

Les difficultés comment à partir de Guillestre quand l’armée quitte les vallées. Se pose la question du choix du ou des cols à franchir : Montgenèvre, Agnel ou la Traversette mais les Suisses sont en embuscade. Sur l’avis du vieux général Trivulce, le choix audacieux se porte sur un col inconnu, peut-être reconnu par Bayard, un itinéraire par les cols de Vers et de Larche, connu grâce au Journal de Jean BarrillonCarte p. 92.

Un franchissement des Alpes d’autant plus difficile qu’il faut aller vite car tout ravitaillement semble impossible après Guillestre. Pour accélérer la marche et notamment pour les convois d’artillerie des travaux (élargissement, ponts) sont engagés.

Cette traversée, des écrits du roi lui-même, est une épreuve physique pour des cavaliers en armure à cheval ou à pied tenant la monture en de nombreux endroits. On ne sait rien des blessés ou des morts de cette aventure. La prouesse est reconnue par les Vénitiens qui assistent à l’arrivée de l’armée de François 1er en Piémont. Les Suisses reculent libérant le col Agnel pour l’arrière-garde française avec les canons et les lourds bagages.
François 1er peut marcher vers Milan.

Expérimentations

C’est la partie la plus novatrice de l’ouvrageSur les armées de François 1er : La guerre du roi aux portes de l’Italie 1515-1559, Julien Guinand, Presses universitaires de Rennes, 2020,.

Comprendre l’histoire par le corps et par la montagne

Stéphane Gal explicite la démarche d’archéologie expérimentale. Si ces expérimentations sont assez classiques en préhistoire, elles sont très inhabituelles en histoire moderne.

Le but est de revivre un déplacement en armure, apprendre du corps armé comme l’avait fait Victor Davis Hanson à propos de la cuirasse antique.

L’auteur détaille le raisonnement et décrit les étapes de l’expérimentation en montagne au col Mary en juillet 2019.

Stéphane Gal est lui-même expérimentateur (photographie p. 111) associé à un ancien sportif de haut niveau Patrick Ceria et le mécène et sportif Cameron O’Reilly.

Sont décrit l’entraînement non sans surprise des promeneurs, la fabrication des vêtements, chaussures, armures, le choix des montures et les repérages sur le terrain. La nourriture est aussi conforme aux données de l’époque.

L’itinéraire choisi est le col de Mary car celui de François 1er est aujourd’hui routier.

Le départ fut fixé au 6 juillet 2019 à Maljasset, en route vers la bergerie de Baita, retour prévu par le même chemin le lendemain.

L’auteur décrit cette randonnée un peu particulière qui a donné lieu à un reportageVoir troisième partie, et son bilan.

Mesure du mouvement de l’homme en armure

Lionel Reveret et Laurence Boissieux décrivent leur recherche autour de la question : en quoi l’armure modifie-t-elle les paramètres de la locomotion ?

Ils ont analysé les mesures des mouvements de la marche, l’identification de la trajectoire des segments rigides du squelette. Ils décrivent leur méthodologie et les difficultés liées à la présence de l’armure qui modifie les points d’observation par rapport à l’analyse habituelle de la marche. Les chercheurs ont constaté que la vitesse de marche en armure est plus faible que celle de la marche ordinaire mais l’adaptation permet au sujet de conserver la longueur du pas.

Etude des effets biomécaniques du port de l’armure sur la locomotion en milieu montagnard

Violaine Cahouët, Franck Quaine, Clémentine Darj et Olivier Martin, tous de l’Université Grenoble-Alpes font une étude biomécanique, une description spatio-temporelle d’un cycle de marche et une évaluation du coût énergétique du poids de l’armure.

Les auteurs décrivent les tests faits en laboratoire et leurs conclusions sur l’amplitude articulaire des membres et des mesures physiologiques des échanges gazeux pendant la marche.

Tester un corps à l’épreuve de l’armure : un corps augmenté ou diminué ? L’approche physiologique

Patrice Flore aborde l’approche physiologique en mettant l’expérience en relation la problématique de l’exercice musculaire d’une personne en surpoids. Il étudie les adaptations métaboliques et cardio-respiratoires nécessaires à l’exercice physique d’un homme en armure sur un plan incliné au laboratoire mais aussi sur le terrain avec une comparaison entre la situation du cavalier et celle du fantassin.

Médiation : Une aventure humaine et scientifique mise en images

Evocation dans un court texte et surtout en images du tournage du documentaire

Si chacun connaît au moins la date de Marignan, cet ouvrage permet de découvrir l’avant bataille. L’expérimentation a permis de faire vivre les souffrances subies par les hommes du XVIe siècle lors de cette traversée des Alpes.