Darwin et l’évolution expliqués à nos petits-enfants,
Le Seuil, janvier 2009, 155 pages, 8.50 euros.
L’année 2009 fut l’occasion de revenir sur l’œuvre pionnière du naturaliste anglais, Charles Darwin, dont on célébrait les 200 ans de la naissance et les 150 ans de la publication de son maître-ouvrage, l’origine des espèces, 1859.
Les éditions du Seuil ont lancé il y a quelques années une collection dans laquelle les grands spécialistes français des sciences et religions s’adressent aux enfants, par l’entremise d’un dialogue fictif afin de présenter et d’exposer un thème précis ayant trait à leurs recherches et l’actualité. Ainsi, on peut y retrouver par exemple, Louis XIV expliqué à… par Jean-Christian Petitfils, ou le Moyen âge expliqué à par Jacques LeGoff….
Ici, c’est Pascal Picq, peut-être le paléoanthropologue français le plus célèbre du moment après Yves Coppens avec qui il a collaboré au Collège de France, qui s’attèle à la tâche d’exposer l’histoire, les tenants et les aboutissants de la théorie de l’évolution.
L’objectif de l’ouvrage est clair pour Pascal Picq et il l’expose dans son avant-propos, non sans un certain militantisme, à savoir lutter contre l’obscurantisme de toute nature.
Dans cet ouvrage, Pascal Picq s’attache à retracer l’histoire de l’idée d’évolution, des prémisses aux avancées actuelles de la génétique. Son propos s’articule autour de deux questions : pourquoi le vivant a-t-il évolué ?, c’est l’objet des trois premières parties ; et Comment le vivant a-t-il évolué ?, en dernière partie.
Un chapitre entier est logiquement consacré à Charles Darwin, à sa vie et sa pensée, tout en replaçant son travail dans le contexte international d’épanouissement des sciences naturelles de la géologie à la biologie en passant par l’anatomie comparée.
L’Occident face à l’idée d’évolution
La première partie est très habile car Pascal Picq y pose les bases lexicales indispensables à la compréhension des théories de l’évolution, espèce, genre, famille, ontogénèse… Sans céder à la simplification, il montre la difficile naissance de l’idée d’évolution entravée tour à tour et simultanément par la théologie et la politique.
Après avoir évoqué le fixisme perdurant jusqu’au XVIIIème siècle et la systématique initié par Charles Linné, Pascal Picq s’attarde sur les premiers pas officiels de l’idée d’évolution au travers du transformisme initié par Buffon et surtout son disciple Lamarck, non sans dénoncer au passage le néo-lamarckisme dont le documentaire à succès, l’Odyssée de l’espèce, s’est récemment fait l’écho sous le patronage scientifique d’un certain Yves Coppens…
Darwin, un génie bien entouré ou la naissance de la science moderne
Ensuite, l’auteur retrace la vie et la carrière scientifique de Charles Darwin en soulignant sa filiation intellectuelle avec Lamarck. Il expose clairement la théorie de la sélection naturelle de Darwin en montrant qu’elle est pensée comme une variable d’ajustement entre ressources et population et qu’elle se traduit par le transformisme de certains individus au sein de chaque espèce. Ce transformisme consiste en la modification de certains caractères qui permettent aux individus de survivre aux changements de leur environnement ; c’est alors celui-ci qui joue le rôle de sélection et de régulation des populations.
Deux questions, celle de l’origine de cette variabilité des caractères et celle de leur transmission chez les individus restent cependant un mystère mais Darwin propose deux processus, la sélection naturelle (par les changements de l’environnement) et, moins connue, la sélection sexuelle (par le choix des partenaires de reproduction).
Dans les pas de l’évolution, la génétique et la paléontologie
Ce sont les découvertes du XXème siècle, grâce à la génétique qui compléteront les théories de l’évolution en élucidant ce mystère de la variabilité des caractères et de leur transmission, par l’entremise des mutations génétiques. C’est la théorie synthétique de l’évolution qui propose une évolution graduelle, de génération en génération, ce qui conduit au programme adaptationniste. Cependant, les découvertes de la paléontologie amendent la théorie synthétique en présentant une évolution aux rythmes différenciés, c’est la théorie des équilibres ponctuels du paléontologue Stephen Jay Gould.
Histoire naturelle et histoire de l’Homme, une longue coévolution
La dernière partie s’attache à retracer brièvement l’histoire de l’évolution de la vie, de son apparition sur Terre aux premiers vertébrés et mammifères. Dans cette histoire de la vie, Pascal Picq prend bien garde de ne pas reproduire la scala natura, c’est-à-dire d’offrir une vision progressiste et anthropocentrique de la vie et se plaît plutôt à parler de « bricolage » de l’évolution. Enfin, il souligne l’importance de replacer l’Homme dans cette histoire naturelle et de ne pas le confiner à une histoire particulière, en marge, comme un horizon indépassable. L’homme, les animaux, les plantes, toute forme de vie participent d’une évolution conjointe, une coévolution dans laquelle la vie ne peut être séparée de sa communauté écologique.
la connaissance et l’universel contre l’obscurantisme et le particularisme
Cet ouvrage, comme l’ensemble de la collection d’ailleurs, est remarquable de simplicité et de limpidité. Ces qualités s’expliquent avant tout par la forme choisie par la collection, un dialogue plus ou moins fictif, rendant la lecture accessible et surtout vivante et attractive au travers d’un jeu de questions candides d’un enfant dont la naïveté, parfois émouvante constitue le moteur du récit explicatif. Cette naïveté qui pourrait aisément être la nôtre s’estompe au fil du dialogue, l’enfant grandit, évolue pourrait-on dire, grâce à la connaissance scientifique, c’est un des messages que souhaitait faire passer Pascal Picq et il y réussit avec brio. Ainsi, Pascal Picq réussit le tour de force de rendre clair et accessible un propos scientifique complexe sans jamais sombrer dans la simplification abusive ; l’écriture sans fard mais non dénuée d’humour, le récit illustré d’exemples clairs et concrets y sont pour beaucoup et font de cet ouvrage un outil pédagogique précieux tant pour les enseignants du primaire comme du secondaire que pour les parents soucieux de combattre, comme Pascal Picq, l’obscurantisme et faire jaillir la lumière de la connaissance scientifique au sein des esprits de demain.
Enfin, certains liront entre les lignes de ce dialogue l’engagement de Pascal Picq pour un monde de raison et de connaissance, mais comment pourrait-il en être autrement pour un chercheur scientifique ?
On pourra cependant regretter l’absence d’une bibliographie succincte qui aurait pu étancher la curiosité de certains lecteurs suscitée par cet enrichissant dialogue.